Suppression des petites taxes : encore du chemin à faire
Le Premier ministre a chargé, dans le budget 2019, les ministres de supprimer 17 « micro-taxes », c’est-à-dire, les taxes dont le rendement annuel est inférieur à 150 millions d’euros, pour une baisse de la fiscalité globale de 131 millions d’euros… mais, sous l’influence d’un référé de la Cour des comptes, le gouvernement est allé (un peu) plus loin et a finalement supprimé 18 taxes à faible rendement pour une baisse globale de 261 millions d’euros. En plus, 4 taxes supplémentaires pour 163 millions d’euros devront réformer leur mode de gestion et de collecte : aucune baisse de fiscalité n’est fixée sur ces rationalisations.
L’effort du gouvernement est louable mais cela reste bien peu. On dénombre, en France, 192 « micro-taxes », pour une collecte totale de 5,3 milliards d’euros. Initialement, un rapport de l’IGF allait jusqu’à proposer la suppression de 67 taxes pour un montant global de 801 millions d’euros d’ici 2022. La Fondation iFRAP, elle, propose la suppression des petites taxes non rentables, soit rapportant moins de 100 millions d’euros par an, pour baisser la fiscalité de 2,5 milliards d’euros.
Les recommandations de la Cour des comptes
- Plus de transparence
Premier conseil de bon sens, les magistrats de la rue Cambon recommandent au gouvernement d’établir un inventaire annuel exhaustif des taxes à faible rendement (inférieur à 150 millions d’euros par an) dans le but d’apporter plus de lisibilité et de transparence[1] dans ce domaine qui en manque cruellement. En effet, ces nombreuses « micro-taxes » sont très compliquées à identifier pour les redevables. Le Premier ministre a répondu à la Cour qu’un « recensement exhaustif et fiable de ces taxes s’avère complexe à effectuer dans un contexte marqué par de fréquentes modifications d’autant plus que les données comptables du recouvrement sont recensées par des administrations distinctes »[2]. Paradoxalement, cette réponse met en lumière le manque de lisibilité du paysage fiscal et le besoin de transparence recommandé.
- Suppression des taxes antérieures au marché intérieur européen
Second point, la Cour a recommandé la suppression des « micro-taxes » antérieures au marché intérieur européen qui sont en contradiction avec la logique de libre circulation des biens et des marchandises[3]. Le gouvernement a déjà entrepris d’abroger la taxe sur la farine et celle sur les céréales qui rapportaient seulement 64 millions d’euros à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole[4]. La Cour souligne qu’il serait, par conséquent, logique qu’une taxe qui « présente des caractéristiques comparables à celles de la taxe sur les farines[5] et, partant, les mêmes inconvénients » soit aussi abrogée pour des raisons de cohérence. En ligne de mire, la taxe sur les huiles végétales destinées à la consommation humaine, qui affiche un rendement annuel de l’ordre de 130 millions d’euros. Le gouvernement a finalement décidé de supprimer cette taxe.
- Supprimer les taxes « dont les objectifs pourraient être atteints par d’autres moyens »
De plus les magistrats proposent de « remplacer les taxes dont les objectifs pourraient être atteints par d’autres moyens »[6] et plus particulièrement la taxe de balayage qui, en 2017 était mise en œuvre par uniquement quatre communes… pour un rendement annuel de 113 millions d’euros. La proposition de la Cour de transformer cet impôt en redevance locale a été suivie par le gouvernement.
En revanche, le gouvernement et la Cour sont en désaccord sur la suppression des taxes funéraires « normalement destinées à permettre aux communes de financer l’inhumation des personnes indigentes, [et qui] sont comptabilisées comme des recettes de fonctionnement communales »[7]. La Cour jugeait que ces taxes rapportant seulement 5,8 millions d’euros pouvaient être supprimées et éventuellement compensées par une augmentation des concessions funéraires qui s’apparentent à une redevance. Cependant, le gouvernement argumente que la nature différente des redevances de concessions et des taxes funéraires ne justifie pas une telle suppression. Selon lui, « les premières constituent un produit « domanial » payé par la famille du défunt, les secondes une taxe locale due par l’entreprise des pompes funèbres »[8]. Une argumentation à débattre car les redevances de concessions funéraires comme les taxes funéraires sont destinées aux communes : par conséquent une augmentation de la redevance en contre partie de la suppression des taxes funéraires ne semblerait pas impossible.
- Suppression des taxes qui se doublonnent
Les magistrats prônent également une suppression ou une fusion des taxes dont l’objet est identique. Le gouvernement prévoit déjà la fusion de trois taxes sur les recettes de publicité médiatique dans le budget 2019 mais il existe d’autres taxes qui pourraient être fusionnées comme deux taxes visant les plus-values des cessions de terrains devenus constructibles qui ont une assiette et une liquidation quasiment identique[9]. Néanmoins, le gouvernement ne suit pas la recommandation de la Cour et élude le sujet en argumentant qu’une « fusion éventuelle en une taxe unique nécessite une expertise approfondie »… Les magistrats ne rempliraient-ils donc pas les conditions d’expertise nécessaire ?
- Réformer la collecte
Finalement, la Cour pointe le fait que la collecte de certaines taxes pourrait coûter moins cher si la gestion de ces dernières était réformée. En effet, s’il existe des similitudes entre deux taxes concernant les passagers aériens et maritimes embarqués dans les départements d’outre-mer et en Corse, la collecte de ces taxes, elle, s’effectue par des procédures et des organismes différents. D’ailleurs, la dématérialisation des procédures s’impose aujourd’hui comme la solution la plus efficiente pour rendre la collecte moins onéreuse pour l’administration. Le Premier ministre semble approuver la recommandation de la Cour mais soulève une difficulté liée à la pluralité des affectations de la taxe dans les départements d’outre-mer[10]. Pour l’instant, la recommandation de la Cour n’est donc pas suivie.
Un autre exemple soulevé par la Cour concerne la simplification urgente de la double procédure du « droit annuel de francisation et de navigation (DAFN) et du droit de passeport des navires de plaisance »[11]. Effectivement, le coût de la collecte de ces deux taxes « atteint près de 20% du rendement de ces deux impôts dont le produit annuel est d’environ 45 millions d’euros »[12] soit environ 9 millions d’euros. Le Premier ministre approuve, cette fois, l’avis de la Cour sans réserve, mais laisse au comité interministériel de la mer, le soin de simplifier ce système sur « la base des propositions du ministère de la transition écologique et solidaire et du ministère de l’action et des comptes publics »[13]. Pour l’heure, aucune mesure de simplification ne figure dans le budget 2019.
Récapitulatif des recommandations de la Cour
Taxes | Recommandation de la Cour des comptes | Réponse du Premier ministre | Rendement (en millions €) |
---|---|---|---|
Taxe sur les huiles végétales destinées à la consommation humaine | Suppression de la taxe | Suppression de la taxe | 130 |
Taxe de balayage | Transformation en produit local | Transformation en produit local | 113 |
Taxes funéraires | Remplacement par augmentation des concessions funéraires | Aucune modification | 5,8 |
Taxes des plus-values sur la cession des terrains devenus constructibles | Faire converger les régimes en vue d’une fusion | Aucune modification | nc |
Taxes financement des contrôles sanitaires sur certains produits animaux et végétaux | Faire converger les régimes en vue d’une fusion | Aucune modification | 71 |
Taxe sur les passagers aériens et maritimes embarqués dans les départements d’outre-mer et Taxe sur les passagers aériens et maritimes embarqués et débarqués en Corse | Faire converger le régime appliqué dans les départements d’outre-mer vers le régime appliqué en Corse en vue d’une fusion | Aucune modification | 11,4 et 34,9 |
Droit annuel de francisation et de navigation et droit de passeport des navires de plaisance | Mettre en place une procédure dématérialisée pour et simplifier la double procédure | Le comité interministériel de la mer doit examiner cette proposition | 45 |
Source : Cour des comptes, référé S2018-3303, « Les taxes à faible rendement », décembre 2018 et le Premier ministre, réponse au référé de la Cour des comptes S2018-3303 sur les taxes à faible rendement, février 2019.
En fin de compte, le gouvernement n’a repris qu’une recommandation de suppression pour une baisse additionnelle de 130 millions d’euros de la fiscalité, et qu’une recommandation de réforme avec la transformation en produit local de la taxe de balayage, ce qui n’aura pas d’impact sur la fiscalité.
Récapitulatif des suppressions et des réformes
| Suppressions | Réforme de la gestion et de la collecte |
---|---|---|
Projet initial du gouvernement | 17 taxes supprimées pour 131 millions d’euros au total | 3 taxes pour une collecte de 50 millions d’euros au total |
Recommandations de la Cour | 1 taxe supprimée pour 130 millions | 10 taxes pour une collecte de 281,1 millions d’euros au total |
Projet final du budget 2019 | 18 taxes supprimées pour 261 millions d’euros au total | 4 taxes pour une collecte de 163 millions d’euros (le gouvernement n’a repris que 113 millions recommandés par la Cour) |
Les créations et suppressions de taxes depuis 2010 Le cabinet Ernst & Young Société d’Avocats qui publie chaque année un observatoire des politiques budgétaires et fiscales, fait un point sur les créations et les suppressions des taxes (indépendamment du rendement) en France par année. Sur la période de 2010 à 2017, la simplification du paysage est très faible car 57 nouvelles taxes ont vu le jour alors que seulement 16 ont été supprimées[14]… soit une moyenne de plus de 5 nouvelles taxes crées par année. Cependant, la loi de finances pour 2019 change la donne. En effet, uniquement pour l’année 2018, ce n’est pas moins de 42 taxes qui ont été supprimées, contre 5 nouvelles taxes crées (indépendamment de la nature des taxes)[15].
Source : Ernst & Young Société d’Avocats, Charles Ménard, Observatoire des politiques budgétaires et fiscales 2019. |
[1] Cour des comptes, référé S2018-3303, « Les taxes à faible rendement », décembre 2018.
[2] Le Premier ministre, réponse au référé de la Cour des comptes S2018-3303 sur les taxes à faible rendement, février 2019.
[3] Cour des comptes, référé S2018-3303, « Les taxes à faible rendement », décembre 2018
[4] Fondation iFRAP, « Petites taxes : il faudra 40 ans pour toutes les supprimer… », septembre 2018.
[5] La suppression de la taxe sur les farines était déjà prévue dans le PLF 2019.
[6] Cour des comptes, référé S2018-3303, « Les taxes à faible rendement », décembre 2018
[7] Cour des comptes, référé S2018-3303, « Les taxes à faible rendement », décembre 2018
[8] Le Premier ministre, réponse au référé de la Cour des comptes S2018-3303 sur les taxes à faible rendement, février 2019.
[9] Cour des comptes, référé S2018-3303, « Les taxes à faible rendement », décembre 2018
[10] Le Premier ministre, réponse au référé de la Cour des comptes S2018-3303 sur les taxes à faible rendement, février 2019.
[11] Cour des comptes, référé S2018-3303, « Les taxes à faible rendement », décembre 2018
[12] Cour des comptes, référé S2018-3303, « Les taxes à faible rendement », décembre 2018
[13] Le Premier ministre, réponse au référé de la Cour des comptes S2018-3303 sur les taxes à faible rendement, février 2019.
[14] Ernst & Young Société d’Avocats, Charles Ménard, Observatoire des politiques budgétaires et fiscales 2019.
[15] Ernst & Young Société d’Avocats, Charles Ménard, Observatoire des politiques budgétaires et fiscales 2019.