Suppression de l'ISF
Les impôts doivent permettre de financer les dépenses collectives, chacun y contribuant en fonction de ses capacités, tout en affaiblissant le moins possible l'économie. Comme le rappelait récemment encore le conseiller Fouquet, pour ce faire, un bon impôt est un impôt à assiette large et à taux faible. Soumis à de tels impôts, les agents économiques sont incités à accroître l'efficacité de leur travail ou de leur investissement pour améliorer leurs ressources après paiement de l'impôt.
Durant le 20ème siècle est venu s'ajouter la notion de justice fiscale, confiant en plus à l'impôt le soin de réduire les inégalités entre les individus que la différence des talents, le niveau d'activité, la chance et bien d'autres causes développent au fil du temps. Traditionnellement ce rôle revenait aux droits de succession qui, comme le jubilé hébraïque, devaient en partie rebattre les cartes du succès à chaque génération.
L'impôt sur les grandes fortunes dont descend l'ISF était clairement un impôt de justice sociale pour « faire payer les riches » et donc un impôt à assiette étroite : il est payé encore aujourd'hui par moins de 500.000 contribuables, et au taux moyen de 0,8% environ, ses 4Md€ de recette brute correspondent à un patrimoine taxé de l'ordre de 500Md€ alors que l'INSEE évalue le patrimoine des français entre 8 et 9.000 Md€.
C'était aussi un impôt à taux élevé. Comme l'a rappelé le conseil constitutionnel, un impôt annuel a vocation à être payé sur les revenus du patrimoine taxé, sinon ce n'est plus un impôt mais une confiscation. Historiquement le rendement réel sur longue durée d'un investissement est compris entre 2 et 3% par an ; une taxation entre 0,5% et 1,5% (0,55% à 1,8% aujourd'hui) soit entre 1/5 et 1/2 du revenu réel, s'ajoutant à un impôt sur le revenu qui lui-même peut atteindre 50% du revenu, est un taux très élevé.
Un impôt ainsi conçu a obligatoirement des effets pervers :
dès le départ il a fallu en exclure l'outil de travail et les œuvres d'art pour éviter le départ à l'étranger du capital des entreprises et du patrimoine artistique, ce qui a réduit l'assiette,
ensuite un plafonnement par rapport au revenu a été nécessaire pour éviter des départs massifs de capitaux à l'étranger,
puis des dispositifs complexes d'engagements de conservation ont été nécessaires pour éviter la cession à l'étranger du capital des entreprises détenu principalement par des associés ne bénéficiant pas de l'outil de travail,
Mais ces mesures exonérant certains biens d'une taxation à taux élevé ont à leur tour leurs propres effets pervers tels que :
l'apparition de montages juridiques pour faire rentrer des biens dans l'outil de travail,
la réduction des revenus pour profiter du plafonnement,
le maintien en place de dirigeants très âgés pour conserver l'exonération,
et plus généralement ce que la sagesse populaire a résumé en disant que « l'ISF est un impôt sur les millionnaires qui épargne les milliardaires »
Effets que l'administration essaye de pallier par des mesures dites « anti abus » :
taxation de la « trésorerie excédentaire » des sociétés outil de travail,
plafonnement du plafonnement.
limite d'âge des dirigeants …
Ces mesures « anti abus » successives complexifient le système et entraînent une instabilité juridique qui décourage l'investissement de long terme.
Avec le temps les assujettis comprennent le système et modifient leur comportement économique en fonction de l'impôt marginal, préférant souvent le loisir à un supplément d'activité taxable ou la dépense à l'investissement ou choisissant de quitter le pays pour pouvoir développer normalement leur activité. Pour pallier cette réaction, de nouvelles exonérations sont nécessaires :
exonération d'assiette des investissements en capital dans les PME à partir de 2003,
réduction d'impôt ISF/PME,
bouclier fiscal,
Mesures qui à leur tour créent de nouveaux effets pervers, il a ainsi fallu sortir du bouclier les suppléments d'impôts pour financer la réforme des retraites sans quoi les plus fortunés y auraient échappé.
Ainsi, après bientôt 30 ans de mesures et de contre mesures, le caractère anti économique de ce système devient évident et la réforme est décidée. Mais les contraintes annoncées de cette réforme, pas de transfert de la charge sur d'autres catégories de contribuables et recette constante, font craindre que la nouvelle imposition n'ait les mêmes vices congénitaux que l'ISF : assiette étroite et taux élevé. Ainsi, les premières pistes évoquées, exonération de la résidence principale et exonération des assujettis de la 1ère tranche -avec le risque de conserver une déclaration obligatoire pour tous- viendraient encore réduire l'assiette du nouvel impôt.
En bonne gestion fiscale, si l'on voulait maintenir une imposition annuelle sur le capital, la réforme technique serait :
une très forte baisse de taux avec un taux unique sans progressivité de 0,2 ou 0,3%,
une assiette beaucoup plus large avec un abaissement du seuil de déclenchement de l'impôt,
la suppression de toutes les exonérations sauf pour les entreprises industrielles, commerciales, artisanales et agricoles,
la compensation de la perte de recette partielle par la prise en compte des recettes fiscales et sociales que ne manqueront pas d'apporter, via les autres impôts et charges, les capitaux et les talents que cette réforme permettrait de conserver en France.
Mais alors on ne tarderait pas à constater, comme tous nos voisins européens, que le coût de collecte et de gestion de cet impôt est déraisonnable !
Ainsi l'ISF n'est pas réparable et, pour en sortir, il faut en reporter une petite moitié sur d'autres impôts existants, principalement impôt sur le revenu, et impôt foncier et attendre l'autre moitié du regain de croissance qu'entraînerait sa disparition et de l'économie de ses dépenses de gestion.