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Suivre vraiment la situation mensuelle des organismes publics, chiche ?

Antoine Armand ministre de l'Economie et des Finances du Gouvernement Barnier vient de constituer un groupe d’experts de haut niveau afin de travailler sur un plan d’action à dévoiler mi-décembre afin d’améliorer les prévisions macroéconomiques de Bercy, mais aussi de mieux suivre en cours d’année, l’exécution du budget et assurer la transparence sur la situation des finances publiques auprès du Parlement. Par rapport à ce qui a été voté au Parlement en 2024, la dépense publique a dérapé de 42 milliards d'euros et les recettes ont été surestimé de 38 milliards. Ce comité scientifique devra formuler des propositions opérationnelles afin d’expliciter la dérive des comptes observée en 2023 et 2024, aboutissant à des déficits publics de -5,5% du PIB et de -6,1% du PIB respectivement. La Fondation iFRAP appelle à une amélioration sensible des documents de suivis actuellement publiés et à la mise en place d’une synthèse toutes APU afin d’en consolider les résultats. 

Un dérapage des comptes publics très dissymétrique en 2023 et 2024 :

La 1ère difficulté qui apparaît lorsque l’on cherche à expliciter la situation des comptes publics en 2023 et en 2024 repose sur un effet de centralisation des manques à gagner par rapport à la LFI en termes de prélèvements obligatoires au niveau de l’Etat et à un moindre degré au niveau des administrations de sécurité sociale (liés à l’évolution de la masse salariale), dont un quasi-doublement au niveau des administrations publiques centrales (APUC) entre 2023 et 2024 (-17,5 Mds € deviennent -30,5 Mds €). Un phénomène constaté également en dépenses en 2023 par rapport au prévisionnel en LFI sauf au niveau de l’Etat (-1 Md APUC) avec +17 milliards pour les ASSO et +11 milliards pour les APUL, puis dans des proportions symétriques en 2024 avec +14 milliards environ en 2024 sur chaque niveau d’APU en PLFG par rapport à la LFI 2024 :
 

Évolution et ajustements des finances publiques centrales : bilan 2023 et perspectives 2024

Le déficit des administrations publiques centrales, Etat+ ODAC (solde APUC) prévu à -5,8% du PIB dans la loi LFI pour 2023 a été révisé à 5,5% lors de l'exécution. Cela représente une amélioration de 0,3 point de PIB. Nous l'expliquons par une meilleure performance des recettes publiques qui ont dépassé les prévisions de 2 milliards. Pour 2024, le déficit public est prévu à 5,4% du PIB, ce qui montre une dégradation par rapport à l'objectif initial de la LFI (-4.8%). Cela reflète une augmentation des dépenses publiques prévision révisée à 653,9 milliards d’euros, soit +13,9 milliards par rapport à la LFI) et une baisse significative des prélèvements obligatoires (-30,5 milliards par rapport à la LFI), qui impacte directement les recettes. De leur côté, les prélèvements obligatoires (hors UE et flux internes) sont fortement revus à la baisse pour 2024, passant de 381 milliards d’euros dans la LFI à 350,6 milliards dans le PLFG (-30,5 milliards). Les dépenses publiques continuent de croitre, en 2023, elles ont été légèrement inférieures aux prévisions initiales (-1 milliard) mais pour 2024, elles sont fortement révisées à la hausse, atteignant 653,9 milliards d’euros, soit +13,9 milliards par rapport à la LFI. Les variations importantes entre la LFI (prévisions initiales) et le PLFG ou les chiffres d'exécution montrent des difficultés à tenir les objectifs initiaux. En 2023, un écart positif sur les recettes (+2 milliards) et un ajustement maîtrisé des dépenses (-1 milliard). En 2024, les prévisions montrent une trajectoire budgétaire plus tendue avec une pression sur les recettes et une hausse des dépenses.

Évolution budgétaire du solde des administrations publiques locales (APUL) : Prévisions et ajustements 2023-2024

Le solde des administrations publiques locales s'est détérioré entre 2023 et 2024. Malgré une légère amélioration des recettes ( +1.4 milliards en 2023 et -0.6 milliards en 2024 par rapport aux prévisions de la LFI), l'augmentation plus rapide des dépenses (+ 11 milliards en 2023 et +14 milliards en 2024 par rapport aux prévisions de la LFI) entraine un déficit croissant. Les dépenses locales progressent bien au-delà des prévisions. La LFI avait prévu des dépenses publiques locales de 305 milliards en 2023, elles ont atteint 316 milliards (+11 milliards). En 2024, ces dépenses augmentent à 336 milliards soit une hausse de +14 milliards par rapport à la LFI 2024. De leur côté, les prélèvements obligatoires ont été légèrement révisés à la baisse. En 2023 les prélèvements obligatoires hors CI prévus dans la LFI étaient de 176,8 milliards d'euros, mais ils ont été ajustés à 177,8 milliards d'euros, soit une hausse de +1 milliard d'euros. En 2024, ces prélèvements sont révisés à 184 milliards d'euros, mais cela représente une baisse de -0,6 milliard d'euros par rapport aux prévisions de la LFI.

Évolution budgétaire des administrations de sécurité sociale (ASSO) : Prévisions et ajustements 2023-2024

Ces données budgétaires pour les administrations de sécurité sociale (ASSO) montrent que les dépenses publiques augmentent beaucoup plus vite que prévu, en 2023 (+17 milliards) et en 2024 (+14.4 milliards), ce qui pèse sur le solde des ASSO. Bien que les recettes augmentent, elles ne compensent pas l'explosion des dépenses. Par exemple, les recettes prévues en 2024 (775.8 milliards) restent inférieures aux dépenses (776.4 milliards). Les prélèvements obligatoires sont inférieurs aux attentes, notamment en 2024 (-8.2 milliards par rapport à la LFI). De leur côté, le solde budgétaire des ASSO est fragile, oscillant autour de 0 en 2023 et 2024. Cela montre que les administrations de sécurité sociale peinent à équilibrer recettes et dépenses. 

Dans ces conditions, le suivi de l’exécution des comptes publics ne peut pas se résumer à celui de la situation mensuelle budgétaire nette de l’Etat, mais intégrer également les autres niveaux d’administrations publiques (situation mensuelle des collectivités territoriales et situation mensuelle de la sécurité sociale) et y ajouter des remontées comptables des opérateurs de l’Etat, des hôpitaux, de l’Unedic et de l’Agirc-Arrco afin de disposer des éléments suffisants pour aborder un pilotage efficace des finances publiques et son suivi par le Parlement.

Des documents lacunaires aux délais de publication trop lents :

Actuellement au niveau de l’Etat deux documents sont disponibles :

  • La situation mensuelle budgétaire (SMB) réalisée par la Direction du budget qui propose une présentation des dépenses et des recettes nettes et du solde budgétaire de l’Etat (Budget principal, annexe, comptes spéciaux) avec une fréquence de publication à 1 mois d’intervalle (la SMB publiée au 5 novembre 2024 représente la situation au 30 septembre 2024[2]).

  • La situation mensuelle de l’Etat (SME), réalisée par la DGFiP et qui propose une situation brute des dépenses, recettes de l’Etat, beaucoup plus détaillée, ainsi que la position du solde budgétaire de l’Etat, de la dette financière de l’Etat, de sa situation de trésorerie et des mouvements intervenus sur les comptes annexes et spéciaux. Elle est également publiée avec 2 mois de retard, à la même fréquence que la SMB ;

On notera que le temps de rédaction de ces deux notes est sans doute un peu trop long, ce qui ne permet pas une vision « en temps réel » de la situation budgétaire de l’Etat par le Parlement[3]. Il serait sans doute possible d’en accélérer la production notamment par la publication d’une situation « provisoire » des deux documents au 15 du mois suivant, qui serait ensuite ajustée dans une note « définitive » 15 jours à 3 semaines plus tard.  

Les deux documents sont largement perfectibles :

  • Tout d’abord, il n’y a pas de rapprochement avec les profils de recettes et de dépenses mensualisés élaborés par la Direction du Budget dans le cadre de la LFI en cours. Tout au plus mettons en exergue l’exécution de l’année passée, ainsi que les montants totaux votés en LFI sans périodisation. Il n’est donc pas possible de vérifier s’il y a déviation par rapport au prévisionnel voté, mais uniquement par rapport à l’exécution passée ce qui sauf choc majeur, en euros courants, ne permet pas de relever les écarts.

  • Ensuite, il n’existe pas de réconciliation simple entre les deux documents, en particulier s’agissant de la granularité (faible) offerte par la SMB par rapport à celle beaucoup plus forte de la SME. C’est tout particulièrement le cas s’agissant de la bascule entre recettes brutes et recettes nettes par imputation des remboursements et dégrèvements d’impôts dont la ventilation par impôt n’est pas fournie.

  • Enfin, il serait sans doute bon de disposer d’une clé de passage en comptabilité générale afin de dépasser la logique de présentation « de caisse » strictement budgétaire pour passer à une logique de « droits constatés », ce qui limiterait certains écarts entre comptabilité budgétaire et comptabilité nationale tant en recettes qu’en dépenses (hors opérations militaires). 

  • Des éléments complémentaires pourraient être fournis comme les élasticités des différents prélèvements obligatoires et leur confrontation éventuelle aux indicateurs de croissance publiés trimestriellement par l’INSEE.

S’agissant des collectivités territoriales, la DGCL publie en relation avec la DGFiP une situation mensuelle des collectivités territoriales[4] dans les 15 jours suivant la fin du mois précédent, à partir des remontées des comptables publics travaillant auprès des Trésoreries locales. L’information y est succincte, et se focalise essentiellement sur la section de fonctionnement des budgets principaux des collectivités (RRF et DRF (recettes et dépenses réelles de fonctionnement)… suivant la présentation habituelle des instructions comptables et budgétaires locales (M14, M57 etc.). Avec une présentation consolidée pour l’ensemble des collectivités puis par niveau de collectivité.

On constate cependant une grande lacune s’agissant du suivi des dépenses réelles d’investissement et de leur financement par les excédents de fonctionnements, la trésorerie et les recettes d’investissement. On y trouve également l’évolution de l’épargne brute et nette correspondant à la CAF (capacité d’autofinancement avant et après déduction du remboursement des dettes des collectivités), ainsi que leur trésorerie brute et nette (avec et hors concours financiers à court terme sur les fonds déposés sur le compte du Trésor, en vertu du principe d’unité de trésorerie de la comptabilité publique). Cependant, cette approche ne permet pas de prévoir l’évolution du solde de ces mêmes collectivités territoriales en comptabilité nationale. Or ce suivi est possible, si l’on retraitait ces mêmes comptes pour les présenter en mode LOLF (à la comptabilité de caisse prêt) ou cherchant à présenter le solde des collectivités en fonction de leur situation nette comptable totale (unifiant les deux sections) et présentant l’impacte de leur endettement sur ce solde. 

Il serait également bénéfique de disposer de remontées comptables s’agissant des budgets annexes, afin de disposer d’une situation consolidée des collectivités intégrant toutes leurs dépenses et recettes BP et BA confondus. Un détail s’agissant des dépenses et des recettes serait également intéressant car il permettrait de bien faire la séparation entre les recettes fiscales affectées aux collectivités, les produits de leur fiscalité locale et leurs recettes propres (tarifaires, domaniales et autres). 

Enfin, nous disposons théoriquement d’une situation mensuelle de la sécurité sociale[5]. Cependant contrairement à son intitulé les comptes mensuels des organismes sécurité sociale sont publiés trimestriellement. Elle ne peut donc pas servir au rythme de publication actuel à un suivi précis et actualisé des finances sociales. Ainsi en septembre 2024 le législateur ne pouvait bénéficier que de la situation trimestrielle des comptes sociaux au 30 juin 2024. Par ailleurs le document ne couvre que 88,7% du champ des régimes de base (ROBSS) en termes de niveau de dépenses. Seule la publication de fin de l’année permet de reconstituer le champ complet. Un caveat explicite cette difficulté : « en raison de l’indisponibilité des données de certains régimes ». 

Par ailleurs les résultats obtenus « ne prennent pas en compte ni les opérations d’inventaire[6] (provisions, reprises de provision, produits à recevoir etc.), ni certaines écritures comptables connues uniquement en fin d’exercice, ainsi que certaines consolidations. »

Là encore, il serait bon que la fréquence de publication soit mensuelle et non plus trimestrielle, avec un délai de publication synchronisé avec celui des collectivités territoriales et de la situation budgétaire de l’Etat. Par ailleurs, les profils mensuels actualisés devraient être comparés non seulement aux exercices passés, mais surtout au prévisionnel lui aussi mensualisé dans le cadre de la constitution du PLFSS de l’année en cours. 

Le trou noir des « opérateurs » de l’Etat et des organismes divers locaux et sociaux :

Enfin, gros points aveugles, l’absence de publication sur les remontées comptables qui pourraient émaner auprès de leur tutelle des « agences publiques ». On entend par là le périmètre « budgétaire » des Opérateurs, mais plus largement des entités qui composent les ODAC, les ODAL et les ODASS en comptabilité nationale.

Afin de disposer de remontées mensuelles de ces entités et d’en publier « une » ou « des » synthèses, il serait nécessaire :

  • De demander à la direction du budget de procéder à des remontées mensuelles comptables des « opérateurs ». Ces derniers comprenant également des ODAL (Sté des Grands Projets, IDF mobilités etc.), mais aussi des ODASS (France Travail) et des ODAC (France Compétences).

  • De demander à l’UNEDIC de publier mensuellement la situation financière de l’Assurance Chômage, en sus des publications prévisionnelles financières qui interviennent 3 fois/an (octobre, février et juin). Une situation qui devrait confronter l’évolution constatée de ses comptes au prévisionnel publié et actualisé, mais aussi à la situation financière des 2 exercices précédents.

  • De réaliser également un suivi mensualisé des comptes des hôpitaux (ODASS) publics par l’intermédiaire de la DGOS et de la DS du Ministère de la Santé. Actuellement leur situation ne fait l’objet d’un suivi public qu’au travers d’une publication annuelle de la DREES (les établissements de santé) avec 2 ans de retard (l’édition 2024 de juillet se réfère à la situation 2022). Il l’est également via un rapport non rendu public du Gouvernement au Parlement relatif au financement des établissements de santé, publié par la DGOS.

Elaborer une synthèse de l’ensemble de ces documents en cohérence avec les publications trimestrielles de l’INSEE :

L’INSEE assure la publication trimestrielle des comptes publics. Cette publication qui s’inscrit comme une actualisation de séries longues des comptes nationaux, dans la rubrique Finances publiques[7] est disponible 1 mois après la période de référence donnée : T3 2024 donc au 30 septembre 2024 disponible au 30 octobre 2024 (du moins en théorie car la livraison à date a actualisé les séries précédentes mais n'a pas encore mis à jour le T3 2024 pour les APU). La dette trimestrielle, elle, est publiée avec plus de retard puisque sa mise à jour est réalisée à la fin du mois qui suit la publication des résultats détaillés » donc dans ce cas d’espèce au 30 novembre 2024 pour des comptes arrêtés au 30 septembre, soit 2 mois plus tard. 

La question est donc posée de savoir s’il est techniquement possible d’effectuer des remontées comptables toutes APU en comptabilité nationale tous les mois au lieu de seulement à fréquence trimestrielle. Par ailleurs dans l’affirmative, il pourrait revenir au HCFP (Haut Conseil des finances publiques) d’assurer la synthèse de l’ensemble de ces publications et de la comparer à la publication mensuelle des comptes publics en comptabilité nationale publiée par l’INSEE. Lui ou un autre organisme comme la DB ou le Trésor pourrait également comparer ces remontées en comptabilité nationale aux prévisions arrêtées en LFI de l’année en cours (moyennant une actualisation de la mensualisation des comptes profilée pour la confection du PLF) et ajustées par les décrets d’avance et les lois de finances rectificatives éventuellement. 

Conclusion :

Un pilotage efficace des finances publiques suppose une information des pouvoirs publics et significativement du Parlement et du public à 360°. Pour y parvenir :

  • La publication mensuelle effective et synchronisée (mêmes périodes de référence, même temporalité) de la situation mensuelle de l’Etat, des collectivités territoriales, et des comptes de la sécurité sociale devrait être mise en place ;

  • L’ensemble de ces documents devraient disposer d’une trajectoire prévisionnelle arrêtée ou non en loi de finances (documents postérieurs et pour certains organismes, leurs propres prévisions) afin de comparer la consommation/encaissement des crédits/recettes à ces prévisions ;

  • Pour cela et significativement pour l’Etat et les collectivités territoriales, l’information doit être enrichie afin de permettre un suivi pertinent à la granularité la plus fine.

  • Ces éléments devraient pouvoir être comparés à des publications mensuelles de l’INSEE spécifiquement pour les comptes publics, avec une actualisation/révision sur base trimestrielle. Le suivi de la dette faisant l’objet d’une publication adaptée.

  • Les « Opérateurs » a minima et/ou une proportion importante des ODAC, ODASS (notamment France Travail et les hôpitaux), mais aussi les ODAL (les plus gros d’entre eux) devraient également faire l’objet d’une publication synthétique mensuelle.

  • La synthèse de l’ensemble de ces publications devrait faire l’objet d’une note publiée elle aussi sur base mensuelle par un organisme indépendant. Le Haut Conseil des finances publiques semble constituer le relai pertinent pour réaliser un tel suivi et rapprocher les prévisions. Pour cela une modification organique des textes régissant ses compétences semble nécessaire. 


[1] Voir notre note en date du 12 novembre 2024 : https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/2024-les-depenses-de-letat-des-collectivites-et-de-la-securite-sociale-augmentent-chacune-denviron-14-milliards-deuros-par 

[2] https://www.budget.gouv.fr/documentation/publications-direction/situation-mensuelle-budget-letat/smb-2024 

[3] De ce point de vue la situation mensuelle des collectivités territoriales apparaît comme plus courte d’environ 15 jours. Voir https://www.collectivites-locales.gouv.fr/situation-mensuelle-comptable-des-collectivites-locales

[4] Op. cit note précédente. 

[5] https://www.securite-sociale.fr/la-secu-en-detail/comptes-de-la-securite-sociale/comptes-mensuels

[6] Correspondant aux opérations d’ordre pour les collectivités territoriales. C’est d’ailleurs pourquoi ces dernières n’expriment leurs budgets qu’en termes réels (pour neutraliser précisément ces opérations d’ordre).

[7] Par exemple au T3 2024, https://www.insee.fr/fr/statistiques/8253524?sommaire=8254943