Stop aux cotisations sans droits
Les cotisations sociales sont censées représenter des prélèvements obligatoires assortis de contreparties. Ainsi, par exemple, les cotisations retraites représentent-elles des revenus différés qui, suivant les systèmes, peuvent être connus ou calculables (à prestations définies) ou non (à contribution définies), ou qui constituent des cotisations d’assurance (assurance chômage, etc.)
Or, depuis quelques années, des dispositions d’ajustement ont consisté à transformer certaines d’entre elles en cotisations « à fonds perdus », ce qui représente une transformation juridique de fait. Ces cotisations ne sont plus des cotisations, mais des contributions (puisqu’elles deviennent sans contrepartie, et ne conduisent à l’ouverture d’aucun droit).
Si ces mesures rentraient dans le cadre de dispositifs d’urgence visant à dégager des recettes supplémentaires pour nos systèmes de sécurité sociale, elles ne peuvent tenir lieu de réformes structurelles. Par ailleurs, elles constituent autant d’irritants pour les cotisants concernés qui se retrouvent prélevés unilatéralement. Dans le cadre du Grand Débat, la Fondation iFRAP pense qu’ouvrir ce champ de réflexion pourrait permettre pour un volume financier somme toute modeste (356 millions d’euros en 2020), de contribuer à renforcer la confiance dans notre système de protection sociale actuel.
La question du cumul emploi/retraite du point de vue de l’UNEDIC
La circulaire n°2014-22 du 17 juillet 2014 a mis en œuvre les règles issues de la convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation chômage et ses textes annexés. Parmi ces dernières, à compter du 1er juillet 2014 il était prévu que la limite d’âge de 65 ans pour le paiement des contributions soit supprimée. En conséquence, les cotisations d’assurance chômage et les cotisations du régime de garantie des salaires (AGS) sont désormais dues par les salariés, quel que soit leur âge.
Ce nouveau dispositif aboutit donc à ce que les retraités qui travaillent doivent désormais cotiser à l’Assurance chômage après 65 ans sans que cette cotisation leur ouvre de droits, puisqu’en cas de chômage ils n’auraient droit à aucune prise en charge à ce titre par l'UNEDIC. Les cotisations employeurs et salariés sur cette population s’effectuent donc à fonds perdu. Ces dispositions prévues à l’article 8 de la convention UNEDIC de 2014, permettent d’améliorer ses recettes de 130 millions d’euros en rythme de croisière[1].
La mesure est intéressante à court terme sur le plan purement financier, mais cela amoindrit l’encouragement à travailler au-delà de 65 ans pour les retraités (slow business), ce qui est dommageable pour l’économie, en ne compensant pas leur plus faible compétitivité pour les employeurs par rapport aux autres actifs via des allègements de cotisation spécifiques :
- pour les entreprises : productivité plus faible (ou adaptée), mais gains d’expérience ;
- Pour les bénéficiaires eux-mêmes (afin de se constituer un complément de revenu en sus de la retraite).
La Fondation iFRAP pense qu’il serait nécessaire de revenir sur cette mesure en supprimant purement et simplement les cotisations chômages pour ces publics.
La question du cumul emploi/retraite du point de vue des droits à retraite
Symétriquement, l’article 19-II de la loi 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite[2], a prévu que « toute reprise d’activité professionnelle par un retraité n’ouvrira droit à aucun avantage de vieillesse, de droit direct ou dérivé, auprès d’aucun régime légal ou rendu légalement obligatoire d’assurance vieillesse, de base ou complémentaire. » Disposition désormais codifiée à l’article L.161-22-1A du Code de la sécurité sociale (CSS).
Il s’agit encore d’une mesure de rendement. L’évaluation préalable des articles précisant (art.12 du PJL) : « la généralisation du principe de cotisation non productrice de nouveaux droits à pension entrainera un impact positif pour l’ensemble des régimes. » Cette mesure touche aujourd’hui environ 100.000 assurés bénéficiant d’un cumul emploi/retraite (CER), c’est-à-dire ayant liquidé leurs droits à retraite dans un régime et cotisant dans un autre. « Ainsi 70% de ces assurés acquièrent de nouveaux droits à retraite dans le régime où ils sont néo-cotisants. » [à la date de dépôt du projet de loi, puisque cet état du droit alors plus favorable est désormais caduc. Cliquer pour le nouveau régime à compter du 1er janvier 2015 ndr]
La réforme « systémique » des retraites à venir devrait contribuer à une remise à plat de ce dispositif, là encore afin d’améliorer la faculté des cotisants à liquider des pensions à droits complets. Actuellement dans le dispositif en vigueur l’ouverture de droits gèle (hors professions spécifiques : militaires, marins, sociétaires de l’Opéra de Paris) toute possibilité d’acquisition de nouveaux droits à retraite. Revenir sur cette mesure de rendement devrait aboutir à une augmentation mécanique des dépenses de 161 millions d’euros en 2020[3].
L’assujettissement du versement de certains dividendes aux cotisations sociales
Dans les SARL depuis la LFSS 2013 (loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013), il a été décidé que les dividendes touchés par les gérants majoritaires de SARL ne pourront plus échapper aux cotisations sociales. Bref, cette loi empêche que les dirigeants de SARL au besoin unipersonnelles EURL puissent réaliser un arbitrage salaire/dividendes au bénéfice des seconds afin de minorer leurs cotisations sociales.
Les dispositions prises sont rigoureuses et se conjuguent avec un durcissement de l’imposition des dividendes, avec suppression de l’abattement de 1.525 euros pour les personnes seules et 3.050 euros pour les couples. Elles touchent donc directement les indépendants. Désormais, jusqu’à 10% du montant des capitaux propres, les dividendes ainsi que les sommes versées en compte courant d’associé sont soumis aux prélèvements sociaux. Au-delà, les cotisations sociales sont appliquées sur les dividendes et les sommes versées en compte courant sont considérées comme des revenus d’activité.
C’est cette disposition qui a conduit d’une part à la transformation de beaucoup de SARL en SAS lorsque cette opération était possible compte tenu de l’activité exercée et du montant du capital social de la société. D’autre part qui a également conduit certains indépendants à procéder à des incorporations de réserves au capital afin d’en augmenter le montant et de repousser le plafond des 10% en valeur. Cette « optimisation » est, nous semble-t-il, légitime parce qu’elle permet de compenser des droits sociaux plus faibles pour les indépendants et la possibilité de choisir en toute connaissance de cause la voie la moins imposée. Elle semble d’autant plus légitime aujourd’hui dans le cadre d’une fusion en cours entre le RSI et le régime général. Les coûts induits étant désormais mutualisés.
Le retour en arrière sur ce dispositif qui, rappelons-le, n’ouvre aucun droit supplémentaire pour le cotisant, est légitime dans la mesure où « l’iniquité supposée des situations entre affiliés » ne semble pas vérifiée. Il n’y a pas de passager clandestin dans cette affaire. Le coût d’un retour au libre choix du mode de rémunération et de la neutralité de la forme sociale (SARL) devrait concourir à apaiser ces mêmes indépendants qui forment une fraction non négligeable des « gilets jaunes ».
Le coût d’un retour au libre choix dividende/salaire quel qu’en soit le montant, aurait un impact financier modeste de 65 millions d’euros[4].
Conclusion
Un retour sur la conversion subreptice depuis plusieurs années des cotisations en contributions de fait, devrait permettre d’apaiser le sentiment selon lequel les assujettis contribuent toujours plus sans ouverture de droits supplémentaires en vis-à-vis. Les montants financiers en jeu ne sont pas énormes pour les finances publiques. Nous les avons résumés dans le tableau récapitulatif suivant :
Mesure d'impact des dispositifs identifiés (M€) | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2020 |
---|---|---|---|---|---|
Suppression des cotisations retraites à fonds perdus dans le cadre des cumuls emplois-retraites et constitution de droits |
|
| 31 | 57 | 161 |
Dé-assujettissement des dividendes aux cotisations sociales | 75 | 65 | 55 | 65 | 65 |
Contribution à fonds perdus à l'indemnisation chômage pour les salariés de 65 ans et plus |
| 60 | 130 | 130 | 130 |
Total | 75 | 125 | 216 | 252 | 356 |
Sources : PLFSS 2013, UNEDIC, A.N, Fondation iFRAP 2019
Avec un coût global de 356 millions d’euros en 2020, un « retour » modéré sur des mesures paramétriques entrées en vigueur sous le précédent quinquennat entre 2014 et 2015 pourrait contribuer à clarifier des situations où les assurés sociaux se trouvent "cotisants malgré eux" et à rendre plus attractive l’activité des séniors.
[1] Perspectives financières de l’UNEDIC 2016-2019, p.45 https://www.unedic.org/sites/default/files/2017-01/perspectives_financieres_2016-2019.pdf
[2] Consulter la circulaire 2015-4-DRJ publiée par l’AGIRC/ARRCO en date du 08/04/216.
[3] http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/projets/pl1376-ei.pdf#page=65
[4] http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/plfss_2013_annexe10.pdf#page=40