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Revue de dépenses de la Cour : pistes d'économies ou hausses d'impôts ?

La Cour des comptes vient de publier 9 fiches techniques qui se veulent comme des contributions à la revue des dépenses publiques de juillet 2023. À vrai dire, le rendu ressort de qualité inégale. Les propositions lorsqu’elles existent sont rarement chiffrées et pour cause, la Cour a décidé de se porter sur le volet qualitatif de la dépense publique plutôt que sur le volet quantitatif. Elle tente de donc de dégager des angles morts de 9 politiques publiques qui pourraient être sources d’économies à court, moyen ou long terme. Il s’agit donc plus d’un travail de réflexion et de modification du paradigme actuel d’analyse des dépenses publiques, qu’une véritable revue de dépenses avec l’identification d’économies à la clé. Là où le bât blesse, c’est qu’il s’agit d’une revue de dépenses… mais pour la Cour les dépenses fiscales font partie de la liste alors qu’il s’agit d’allègement d’impôts. Il en résulte un exercice paradoxal où les seules « économies » identifiées sont en réalité des « hausses d’impôts ». C’est un peu court.

Une revue des dépenses foisonnante à laquelle la Cour des comptes vient s’agréger

Sur ce point, on peut considérer que la Cour ne veut pas empiéter sur le travail initié par divers corps d’inspection et qui devraient permettre de documenter les 10 milliards d’économies que le ministre des Finances Bruno Le Maire a assuré avoir identifié lors de la tenue des Assises des finances publiques le 19 juin 2023[1] en préparation du marathon budgétaire 2024. Des pistes développées par ailleurs par la Première ministre Elisabeth Borne à cette occasion[2]. Enfin les fiches techniques de la Cour viennent s’ajouter aux travaux contributifs de la mission parlementaire REDA/LOUWAGIE[3] qui identifiait déjà près de 2,566 milliards d’euros d’économies en 2027 et près de 3 milliards d’euros (2,983 milliards) en 2030 et du récent rapport charges et produits 2024 de l’Assurance maladie, identifiant près de 1,3 milliard d’économies potentielles sur cette branche[4].

La Cour se positionne donc volontaire en dehors du champ immédiat de la revue de dépenses proprement dite et ses propositions ne sont pas directement chiffrées. Elles proposent plutôt des angles d’audits futurs, des mesures systémiques à mettre en place, sans les évaluer et sans proposer d’options pour des économies à court terme.

Les niches fiscales ont le dos large

Puisqu’il s’agit d’une revue des dépenses publiques, la Cour en profite pour légitimer le rabot de certaines niches fiscales (dépenses fiscales), ce qui à proprement parler ne constitue pas une baisse des dépenses publiques mais une hausse des prélèvements obligatoires. À ce titre elle consacre une note exclusivement à ce sujet, et ensuite recherche systématiquement dans d’autres notes thématiques à soulever la pertinence des dispositifs fiscaux dérogatoires liés.

Elle le fait au moins à 3 titres :

  • Au sein de la fiche technique dédiée aux dépenses fiscales
  • Au sein de celle consacrée aux dépenses ayant un impact environnemental
  • Au sein de celle consacrée à la politique de logement

Au titre de la fiche technique sur les dépenses fiscales parmi lesquels elle identifie pour 13,6 milliards de niches (65 dispositifs) en matière de politique de logement. Elle vise le crédit impôt recherche (7 milliards d’euros), ainsi que 25% des dispositifs ultramarins affichant un score d’efficacité nul lors de l’audit des dépenses fiscales de 2011, et incite à la fiabilisation des dépenses fiscales non chiffrées. Elle identifie également pour 20 milliards de niches fiscales TVA qu’elle propose de restreindre et en étend même le spectre à 27 milliards d’euros supplémentaires d’allègements qui relèvent aujourd’hui des modalités de calcul de l’impôt : La Cour demande ainsi très concrètement la suppression de 7,5% du volume des niches fiscales soit 7,1 milliards d’euros et le recentrage (réduction) de 50,4% des autres.

 

Montant

Le logement

13,6

Le soutien à l'innovation et à la recherche

7

L’outre-mer

6,9

les taux réduits de TVA

20

Total

47,5

Total des niches fiscales

94,2

Total des niches dont la suppression est demandée

7,5%

Total des niches dont le recentrage est demandé

50,4%

Les 7,1 milliards de niches à supprimer d’après la Cour des comptes seraient les suivants :

N° DF

Intitulé de la niche fiscale défavorable à l'environnement

Montant

800401

Réduction du champ de l'accise sur les produits énergétiques OM

1,5

800229

Tarif réduit pour les gazoles, les fiouls lourds et les gaz de pétrole liquéfiés utilisés pour les travaux agricoles et forestiers

1,4

800221

Tarif réduit pour les gazoles utilisés comme carburant par les véhicules routiers de transport de marchandises d'au moins 7,5 t

1,2

 

Autres

3,0

 

Total

7,1

A savoir les niches fiscales dont l’impact environnemental serait le plus néfaste, soit précisément les pistes sur lesquelles travaille Bercy en ce moment. Les agriculteurs et transporteurs routiers apprécieront.

S’attaquer aux dépenses ayant un impact environnemental – au niveau de l’État

Deuxième axe d’économies envisagé, les dépenses de l’État ayant un impact environnemental défavorable (hors Défense) dans le cadre du budget « vert » de l’État.

 

Montant 2023

Dépenses favorables à l'environnement

33,9

Dépenses mixtes

2,3

Dépenses défavorables à l'environnement

19,6

Dépenses fiscales

3,7

Total des "dépenses" avec impact environnemental

59,5

Total des dépenses de l'État y.c. niches fiscales

569,4

Total des dépenses dont la suppression est demandée

10,4%

Ces dépenses représenteraient 10,4% des dépenses de l’État identifiées, soit 59,5 milliards d’euros (y compris les niches fiscales). À ce titre la Cour appelle de ses vœux des audits sur la performance environnementale des opérateurs de l’État et des collectivités territoriales, champ pour le moment exclu de la « budgétisation verte ». On s’étonnera qu’à cet égard les dépenses de protection sociale ne fassent pas elles aussi partie des politiques publiques entrant dans la « budgétisation verte ».  Mais même sur ce champ restreint appelé à s’élargir, la Cour ne fourmille pas d’idée. Tout au plus précise-t-elle qu’il importe de « mieux connaître le coût/bénéfice de la dépense » et de proposer des évaluations alternatives des différents scénarii de la transition écologique proposés.

Des préconisations vertueuses s’agissant des transferts financiers de l’État aux collectivités territoriales

Bien que là encore sans proposer d’options chiffrées à arbitrer la Cour rappelle cependant l’indispensable contribution des finances locales au redressement des finances publiques. Elle le fait selon 3 axes :

  • Encadrer l’ensemble des transferts de l’État en direction des collectivités territoriales et les faire participer au redressement des finances publiques ;
  • Renforcer les mécanismes de péréquation verticale (DGF) et horizontale (avec la TVA et autres recettes affectées). Elle se propose à cet égard pour un meilleur ciblage des transferts en direction des territoires qui en ont le plus besoin (sélectivité) et une suppression des critères historiques (DGF).
  • Elle se prononce pour la constitution d’un fonds (mise en réserve) de la TVA (au-delà du dynamisme budgétisé initialement) afin d’améliorer la résilience financière des collectivités territoriales.
  • Elle propose enfin de prioriser les concours financiers de l’État subventionnant les investissements concourant à la transition écologique, avec un mécanisme de bascule (baisse du FCTVA contre montée en puissance des subventions d’investissement ad hoc.

En la matière la Cour des comptes reste au pied du gué. Elle ne propose pas véritablement la reprise de Pactes de Cahors de 2ème génération, mais encourage tout de même à la conclusion de dispositifs de contractualisation. Elle relève par ailleurs qu’en dernière analyse la ponction faite sur la DGF sous le mandat de François Hollande, a été efficace pour limiter la hausse des dépenses locales, en réduisant ainsi les ressources disponibles.

Une cible de choix : les aides aux entreprises

En matière de soutien de l’État aux entreprises, les sages de la rue Cambon ont la dent dure. Les dispositifs de soutien doivent être temporaires et accompagnés d’indicateurs de performance et d’un dispositif d’évaluation. La Cour propose que les dispositifs soient ciblés sur les entités les plus en difficultés et que les données soient partagées comme pendant la crise sanitaire afin de faciliter leur évaluation.

Elle propose par ailleurs que des dispositifs anti-fraude soient institués ab initio, soit simultanément aux aides, avec croisement des données sociales, fiscales et bancaires. C’est sans doute une excellente idée même si la rapidité d’intervention en matière de mise à disposition des fonds ne doit pas être ralentie par la complexité des dispositifs de contrôle (risque accru de non-recours). Là encore la Cour ne propose pas véritablement de suppressions tous azimuts, et ne fait pas de suggestions concrètes non plus.

Un recentrage attendu du soutien public à la formation professionnelle et à l’apprentissage

Le rapport fourni est très intéressant et à jour. Il permet de bien documenter la fragilité actuelle de l’opérateur/régulateur France Compétences, et partage le constat d’une offre abondante et déplafonnée de l’accès à l’apprentissage, même au niveau universitaire qui en sortie de crise a permis de limiter au maximum les entrées des jeunes au chômage.

Cependant les comptes de France compétences sont toujours déficitaires depuis l’origine. La Cour propose donc :

  • De mieux cibler la dépense publique vers les publics prioritaires et les actions vraiment utiles à la montée en qualification des actifs (développement des formations certifiantes et priorisation des dépenses en direction des bas niveaux de qualification) ;
  • De renforcer les exigences en matière de qualité des formations et de lutte contre la fraude (unification des procédures d’enregistrement et couplement du contrôle qualité et de la lutte contre la fraude) ;
  • Instaurer un pilotage stratégique des priorités et de la soutenabilité financière de la formation professionnelle des salariés et des alternants ;

Toutes ces dispositions sont belles et bonnes, mais là encore, la Cour ne calcule pas le montant des gains à espérer de ces opérations de recentrement, de rationalisation et de lutte contre la fraude.

Une éducation plus territorialisée et autonome

En matière de dépenses d’éducation, la Cour fait le constat que nous partageons qu’il faut savoir tirer parti de la baisse démographique, permettant ainsi des redéploiements qui pourraient éventuellement combler une partie des écarts constatés sous la forme de disparités territoriales dans l’allocation des fonds publics dédiés à l’éducation.

La Cour propose de développer le recrutement sur diplôme (et non plus concours) en CDI de 3 à 5 ans, de déconcentrer la gestion (contrats tripartites États-collectivités-établissements, et de limiter un absentéisme dont la Cour chiffre le coût à 4 milliards d’euros/an.

Elle propose surtout la réalisation d’un document intégral de la politique de l’État et de celles des collectivités territoriales en matière d’éducation, mais de façon territorialisée et avec une perspective pluriannuelle. En matière d’éducation cependant, le sujet semble trop sensible pour que la Cour chiffre les redéploiements et les économies susceptibles d’être générées, mais propose une évolution du système vers plus d’autonomie et de déconcentration.

Pas de grain à moudre sur les forces de sécurité intérieure 

La Cour ne propose aucune économie à réaliser sur cette politique publique. Elle propose plutôt de mieux coordonner les forces de sécurité et de rechercher de nouvelles pistes de mutualisation en prenant en compte le déploiement des forces de police municipale. Ce qui revient à raviver le continuum de sécurité qui avait été quelque peu écorné dans le cadre de la LOPMI.

Les magistrats appellent à mettre en œuvre des réformes structurelles (levier non salariaux dont la gestion des contrats et parcours de carrière des personnels actifs contractuels) et de préserver (voire de sanctuariser) les budgets d’investissement des aléas de gestion et de publier une programmation pluriannuelle des principaux projets immobiliers et numériques (ce qui paradoxalement rigidifierait encore un peu plus la dépense publique).

Pas de big bang dans la réorganisation des soins de ville

Là encore en matière de soins de ville des pistes d’économies existent et sont parfaitement identifiées : notamment en matière de surprescriptions et de mésusage des transports sanitaires, d’IJSS (arrêts maladie) etc. Mais ce n’est pas l’angle que retient la Cour des comptes.

Tout au contraire, elle propose d’accélérer les transformations dans l’organisation des soins (virage numérique), de conforter la couverture du territoire par les professionnels de santé, de renforcer la prévision, de mettre en place de nouveaux modes de rémunération et de lutte contre la fraude, de mettre en cohérence les négociations avec les professionnels de santé et les ressources financières disponibles dans une perspective pluriannuelle…

Là encore on doit rester sur sa faim d’autant qu’en matière de politique du médicament les prescriptions de la Cour vont un peu dans tous les sens : il faudrait s’inspirer de l’hôpital pour la gestion prix/volume mais on prend acte que la tarification post-covid du marché du médicament a beaucoup évolué…

Des préconisations en matière de logement assez floues

S’agissant enfin de la politique de logement, la mise en cohérence nécessaire et attendue pour faire face à de nouveaux défis n’est pas claire. La Cour se prononce pour une remise à plat des niches fiscales qui interviennent dans ce secteur (voir supra), et se prononce pour l’amélioration de la dépense publique en faveur du logement via notamment le recentrage sur les publics les plus défavorisés et la location abordable. Mais on n’insiste pas sur les actions nécessaires pour « sortir » les personnes moins prioritaires du parc de logements sociaux.

La Cour évoque la nécessité de rationaliser et de renforcer la cohérence territoriale de la politique de logement, notamment propose de renforcer le pilotage territorial et d’étudier une nouvelle décentralisation de la politique de logement. Mais cette approche de micro-management se heurte à la réticence de certains élus locaux en la matière et au risque d’éclatement et de divergence accrue sur le terrain. C’est en particulier vrai s’agissant du dernier axe évoqué par la Cour : prendre en compte les nouvelles priorités sociales et environnementales (accès digne, qualité énergétique, lutte contre l’artificialisation des sols, amélioration qualitative de l’habitat, différenciation selon les territoires). En effet il est quasiment attendu que les critères retenus soient totalement divergents en fonction des territoires et des moyens garantis qui leurs seront accordés. Là encore, les économies sont introuvables.

Conclusion

Les revues de dépenses proposées par la Cour sont intéressantes d’un point de vue d’orientation mais peu chiffrées et parfois intrinsèquement contradictoires dans leurs objectifs. Par ailleurs, la Cour fait porter lourdement la main sur les dépenses fiscales, qui servent un peu facilement de caution expiatoire à l’absence de véritables économies dûment identifiées. Il semble donc que la Cour penche pour une hausse des impôts plus simple à réaliser pour redresser les finances publiques à court terme qu’une baisse de dépenses. Par ailleurs certains leviers manquent à l’appel : rationalisation des transports sanitaires, arrêts maladie, recentrage des APL, autonomie éducative et évaluation des coûts territorialisés ; rationalisation de la formation professionnelle, contractualisation des collectivités territoriales avec cibles d’économies à la clé etc… autant d’éléments qui sont formellement « évités » par les magistrats pour ne pas soit court-circuiter d’éventuels arbitrages gouvernementaux, soit doublonner avec les revues des dépenses non encore publiées, soit heurter de front des grands ministères dépensiers (éducation nationale, santé) qu’il semble préférable de ménager.


[1] https://www.economie.gouv.fr/video-assises-des-finances-publiques-2023 ainsi que https://www.francetvinfo.fr/politique/bruno-le-maire/assises-des-finances-publiques-bruno-le-maire-annonce-au-moins-10-milliards-d-economies-pour-redresser-les-finances-publiques_5897993.html

[2] https://www.gouvernement.fr/discours/conclusion-des-assises-des-finances-publiques

[3] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1329_rapport-information

[4] https://assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/2023-rapport-propositions-pour-2024-charges-produits et pour une version provisoire préliminaire, https://www.apmnews.com/documents/202306301237490.Projet_rapport_charges_et_produits_2024.pdf