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Redevance TV : comment la réformer ?

La disparition prochaine de la taxe d’habitation pose le problème de l’adossement de la redevance TV. La proposition de Gérald Darmanin de supprimer les 4 milliards de financement de la Culture apparait un brin démagogique même si le ministre a raison de pointer du doigt le problème du futur coût de collecte de la redevance. Quelles seraient les solutions ? 

La redevance TV, « contribution à l’audiovisuel public ».

La redevance TV est perçue depuis 1981 sur tous les foyers, quel que soit le nombre de résidences, redevables de la taxe d’habitation (sauf encore principalement les handicapés et les personnes dont le revenu fiscal est nul). La taxe est de 139 euros (89 en Outremer)[1] et est payée par 27,9 millions de foyers.

Les dégrèvements en faveur de personnes de condition modeste ont atteint 563 millions d’euros en 2016 pour 4,2 millions de ménages bénéficiaires et au total, les rentrées fiscales ont atteint presque 3,9 milliards d’euros. La taxe est affectée à l’audiovisuel public, et principalement à France Télévisions (65%) et à Radio-France (17%). Elle couvre environ les trois-quarts de leurs besoins.

Depuis 2009, la redevance est appelée « contribution à l’audiovisuel public » (CAP) : un changement de nom qui suggère une modification sémantique, le terme de redevance étant en principe réservé à ce que payent les « usagers » d’un service public en contrepartie de la prestation qu’ils reçoivent. La contribution est au contraire un impôt pas nécessairement payé par les seuls usagers d’un service public. Mais à ce changement de terme n’a pas correspondu une modification de fond, les redevables de la CAP restant toujours les seuls possesseurs de téléviseurs.

Une situation insatisfaisante mais bloquée

Adossée à la taxe d’habitation, la CAP va se trouver difficile à collecter avec la disparition de la première. C’est l’occasion qu’a saisie Gérard Darmanin pour proposer, à titre personnel, la suppression de la CAP. Ses arguments sont effectivement la difficulté de collecte lorsque la TH aura disparu, et le caractère « injuste » d’une taxe dont l’assiette est devenue obsolète car la CAP ne s'applique pas aux équipements informatiques nouveaux (ordinateurs, tablettes, téléphones) qui, eux, permettent de capter des émissions autrefois réservées aux écrans de télévision.

La CAP, qui touche la très grande majorité des Français, est très impopulaire, et son montant a augmenté plus que l’inflation dans les années 2009 à 2015. Par ailleurs, les Français sont aussi très sollicités par des offres concurrentes très nombreuses qui ont l’avantage de la variété et surtout de la souplesse : paiement à l’acte, émissions à la demande [2]. Le fait de devoir payer une redevance obligatoire non fractionnable pour un service peu ou pas consommé apparaît comme un signe antédiluvien de prélèvement.

La ministre de la Culture, Françoise Nyssen, évoquait l'idée, en septembre 2018, de modifier les règles d’assiette de la CAP afin de l’élargir à tous les moyens techniques de captage du contenu audiovisuel public. Compte tenu de l’impopularité de la taxe en question et du contexte actuel, il semble que cette idée soit abandonnée, forte heureusement. D’où la proposition inverse du ministre des comptes d'une suppression complète de la CAP ?

Cette proposition a immédiatement suscité l’opposition très ferme du ministère de la Culture, au nom des ressources nécessaires de l’audiovisuel public. Il faut reconnaître que remplacer près de 4 milliards d’impôts sur un claquement de doigts n’est pas chose aisée, et que les  propositions d’utilisation d’autres taxes comme la CRDS ou le fonds de réserve des retraites sur lequel on mettrait la main (la tactique du coucou, ou les trous du sapeur Camember !) sont proprement scandaleuses.

Tout en reconnaissant la nécessité de mettre fin à la confusion actuelle qui décrédibilise la fiscalité française un peu plus, la proposition d'une suppression complète de la CAP n'apparait pas comme une solution pérenne. 

Que préconiser ?

Il est nécessaire de rester fidèle à la règle selon laquelle les services publics doivent, par principe, être financés, non pas par l’impôt, mais par celui que l’administration appelle « l’usager », et de résister à la tendance infernale pour les finances publiques - et les Français - qui voudrait que tout usage d’un service public pouvant être qualifié de dépense contrainte, doive être gratuit. Cette tendance est particulièrement à la mode actuellement, notamment avec les demandes de gratuité dans le domaine des transports.

Mais le service public de l’audiovisuel présente une spécificité par rapport aux autres services publics, à savoir que la CAP est payée par les possesseurs de téléviseurs, qu’ils les utilisent ou non pour accéder aux programmes de l’audiovisuel public. On retrouve le problème « bien d’chez nous », qui consiste à faire payer les Français de façon obligatoire, sans leur donner le choix de recourir ou non aux prestations auxquelles le prélèvement donne droit. Lorsqu’il s’agit de faire reposer l’assiette du prélèvement sur des équipements comme les ordinateurs dont l’usage le plus courant n’est pas de donner accès auxdites prestations, la proposition n’est pas acceptable et a toutes les chances de mettre les Français en fureur.

L’affaire est d’autant plus compliquée qu’un tiers des ressources de la PAC, en tant que  « contribution à l’audiovisuel public », assure le financement d’autres coûts que celui de la télévision (radio, INA). La taxe Copé sur les opérateurs Télécom complète les ressources de l’audiovisuel, mais elle est largement détournée de son but. Enfin, l’audiovisuel public (dépendant du ministère de la Culture) est censé être financé par l’impôt de façon générale par le budget de la Nation. 

Les différentes solutions

La contribution volontaire. C’est la solution japonaise du NHK (le réseau public) reposant sur la signature d’un contrat de réception. Cette contractualisation répondrait parfaitement à l’objection de l’absence de choix que nous avons soulignée. C’est aussi semblable à la solution britannique dans la mesure où la prise d’une licence n’est obligatoire que si l’on possède un équipement donnant accès à l’audiovisuel. Mais les fraudes sont punies d’amendes et de prison au Royaume-Uni ! Le risque en France serait d’affaiblir grandement le rendement par rapport aux besoins de l’audiovisuel, et de révéler probablement que l’Etat voit trop grand par rapport aux désirs de la population – ce qui serait quand même salutaire…

La contribution obligatoire universelle. C’est la solution généralement retenue ailleurs qu’en France, et notamment en Allemagne, où la taxe est adossée à la taxe d’habitation depuis 2013. Cette solution a l’avantage d’être claire et cohérente, en faisant de la redevance un complément fiscal au budget d’ensemble de l’audiovisuel public, ce qu’elle est en partie en France aussi puisqu’elle ne finance pas que la télévision.

Il faut avoir le courage de dire aux Français que la taxe est nécessaire pour le financement de la mission générale du ministère de la Culture, outre les prestations spécifiques de diffusion des émissions des chaînes publiques. Tous les pays la connaissent, à des montants souvent supérieurs aux nôtres (voir encadré ci-dessous). A 71%, les Suisses viennent de voter contre sa suppression, et un pays phare de la culture comme la France ne doit pas se payer la honte de faire autrement.

On ne peut plus adosser cette taxe à la taxe d’habitation, ni à l’impôt sur le revenu, qui n’est plus payé en France que par moins de 45% des ménages. Bien que tout citoyen même non imposable soit tenu de remplir une déclaration, il est question de dispenser certains Français de déclaration à partir de 2020. Il reste à Bercy à trouver le meilleur support (licence comme au Royaume-Uni, facture d’électricité comme en Italie, délégation de recouvrement à une société privée comme en Suisse… et pourquoi pas, s’inspirer aussi des Etats-Unis, où les dons déductibles financent l’audiovisuel public ?)

Bien sûr, ceci ne retire rien à la nécessité de réformer concomitamment l’audiovisuel public, qui doit chercher à renforcer ses ressources propres, notamment en vendant ses émissions à l’étranger (comme le fait très efficacement le Royaume-Uni), et en limitant le nombre des chaînes publiques dont beaucoup ont une diffusion trop faible.

Le financement de l’audiovisuel comparé

Pays

Montant total (Mds)

Montant par foyer (euros)

Part financée par la redevance (%)

Part financée par l'impôt (%) et adossement

Part financée par la publicité (%)

Financements dans les dons privé

France

4,6

139

89 (TV)

0

TH

12 (TV)

 

82 (radio)

18 (radio)

Japon

5

 

97

 

 

 

Finlande

0,4

143 (max)

 

100

IR

 

 

Allemagne

8,2

215

 

85

TH

6

 

Italie

2,3

100

 

74

Electricité

22

 

Etats-Unis

2,5

 

 

36

Divers

 

64

Royaume-Uni

5,8

170

 

77

Licence

 

 

Chine

 

 

 

+ que 90

 

 

 

Source : INA

Note.

  • Le financement en France provient d’une redevance qui est en fait un impôt puisqu’elle repose sur une assiette qui n’est pas nécessairement liée à un usage effectif ;
  • Le financement au Japon repose sur une contribution volontaire suivant la signature d’un contrat de réception audiovisuelle, signé en fait par 75% des foyers. Cette situation est d’une logique idéale… mais unique ! ;
  • En Finlande, le montant de la taxe est proportionnel au revenu ;
  • En Allemagne, c’est une contribution forfaitaire obligatoire adossée depuis 2013 à la taxe d’habitation et non plus sur la possession d’un téléviseur ;
  • En Italie, la taxe est adossée à la facture d’électricité. C’est le pays où la contribution de la publicité est la plus forte ;
  • La particularité américaine consiste dans le financement aux deux tiers par dons privés ;
  • Au Royaume-Uni, les sources ne sont pas concordantes sur la part de la redevance dans le financement, certaines avançant plus de 90% ;
  • En Chine c’est l’impôt qui finance.

 

[1] Les professionnels voient leur taxe quadruplée lorsqu’ils sont débits de boissons.

[2] Qui sont en progression fulgurante. On attend 251 milliards de dollars de rendement mondial en 2023 pour la VOD.