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Rationaliser les opérateurs de l’État, ne pas se tromper de combat

Le Gouvernement semble décidé à prendre à bras le corps la question des « agences de l’État », ces opérateurs ou en comptabilité nationale (ODAC), organismes divers d’administration centrale, qui représentaient en dépenses selon cette métrique entre 137,3 milliards d’euros (bruts des flux entre administrations) et 121,3 milliards nets de ces mêmes flux en 2023. Il ne s’agit pas d’une paille. À la clé, la volonté de trouver sans doute autour de 2 à 3 milliards d’euros d’économies pérennes (et non pas de simples prélèvements sur leur trésorerie par exemple). Mais pour y parvenir et sortir des incantations, il faudrait au moins que ces organismes soient transparents sur leurs comptes, que ces derniers comme leur rapport social unique soient publiés tous les ans et à date fixes, tout comme leur budget prévisionnel, le rapport d’activité et les résultats de leur certification lorsque celle-ci est prévue à raison de leur forme juridique. Aujourd’hui nous en sommes très loin, pour la plupart d’entre eux, exception faite de l’ADEME, qui est sans doute l’agence la plus transparente sur ce sujet. 

Une volonté manifeste de réforme compréhensible étant donné l’incomplétude du « jaune opérateur » :

Il est nécessaire de le redire, le « jaune opérateur » c’est-à-dire l’annexe qui permet aux parlementaires de prendre connaissance de « l’agenciarisation » de l’État reste un document très perfectible et surtout incomplet. En effet, les critères retenus pour définir la notion d’opérateur de l’État au sens « budgétaire » ne recouvrent pas parfaitement ceux permettant à l’INSEE de classer ces derniers dans la catégorie des ODAC (organismes divers d’administration centrale). Or l’ironie de la situation c’est précisément cette catégorie qui fait foi dans la structuration du solde public au sens de Maastricht

Comme nous l’avons déjà montré dans des notes précédentes[1], il n’existe pas dans le jaune budgétaire de présentation des opérateurs « en format ODAC ». Or cette donnée pourrait être structurée en mettant en place un groupe de travail entre la DB (direction du budget) qui prépare ce rapport, mais aussi la direction du Trésor et l’INSEE (pour le prévisionnel ODAC inscrit en lois de finances et la remontée des statistiques disponibles des comptes arrêtés ou prévisionnels transmirent par les opérateurs). Cela montre surtout les lacunes de suivi et de synthèse des tutelles en charge de ces organismes, qui ne doivent pas rester hors de portée du contrôle parlementaire – surtout en phase de « reparlementarisation » actuelle de notre vie politique. 

On peut donc isoler assez facilement les éléments manquants actuels du « jaune budgétaire » opérateurs :

  • L’ensemble des comptes des opérateurs ne sont pas systématiquement publiés ;

  • Lorsqu’ils le sont, ils peuvent l’être sous forme de comptabilité générale et/ou budgétaire en fonction de leur forme juridique (EPIC, associations, EPA, etc.).

  • Aucune consolidation des comptes n’est réalisée, ce qui permettrait au moins de disposer net de flux entre ces mêmes organismes d’un solde budgétaire global, avec une idée précise du montant de leurs recettes et de leurs dépenses.

  • Bien entendu on ne dispose pas non plus du périmètre de ces opérateurs en comptabilité nationale sur le champ des ODAC et d’une présentation désagrégée et consolidée de leurs comptes selon cette métrique. Or rappelons-le, il s’agit pourtant de la seule norme valide du point de vue du pilotage de nos finances publiques et du respect de nos engagements européens

Enfin, il n’existe pas de « pendant » aux « jaunes budgétaires » dans le cadre du « printemps de l’évaluation » et de l’adoption de la loi d’exécution des comptes de l’année précédente. On ne dispose généralement que des budgets initiaux en PLF de l’année n-1, aucun budget prévisionnel et encore moins les budgets exécutés. Par ailleurs, il n’y a pas de site unique de recollement de l’ensemble des documents financiers ou d’activité produits par ces agences (ce que la direction du budget pourrait mettre en place), ce qui permettrait au moins de disposer de l’ensemble de ces documents ainsi que de leur rapport social unique. 

Les parlementaires ne peuvent donc pas (ou très difficilement, à l’occasion d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information, voire d’un rapport spécial) vérifier et constater les écarts entre les prévisions, la budgétisation initiale et l’exécution des comptes de ces opérateurs (ou agences lorsqu’elles sont hors champ du budget de l’État proprement dit). Par ailleurs, les opérateurs se rétractent souvent vis-à-vis du public derrières des rapports d’activité souvent très peu fournis et très visuels, dont les attendus sont laissés à la libre appréciation des agences elles-mêmes dans le cadre de leur communication publique, ce qui ne permet pas là encore au public de disposer nécessairement des éléments pertinents pour relier action et gestion[2].

A minima un effort de « synchronisation » des publications, par alignement des exercices comptables de l’ensemble de ces entités devrait permettre de disposer d’une vision consolidée à date fixe, compatible avec le « printemps de l’évaluation » lancé par Edouard Philippe en 2018. Il faudrait ensuite procéder à une modification chirurgicale de la LOLF et de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques[3].

C’est dans ce contexte que le Gouvernement Bayrou cherche à dégager des économies sur le champ des opérateurs (77 milliards d’euros en 2024) de l’ordre de 3 milliards d’euros dans le cadre du budget 2026 en préparation dès à présent sous la houlette du ministre des finances Eric Lombard[4], reprenant la méthode des « rendez-vous de Bercy » avec les partis politiques présents au Parlement[5]. Une action dans le prolongement de celle du précédent gouvernement Barnier qui lui cherchait 3,6 milliards d’euros dès 2025…

Des écueils à éviter, permettant de privilégier des solutions « souples » :

Comme l’a bien relevé le haut fonctionnaire Jean-Ludovic Silicani dans une récente interview[6], l’agenciarisation a d’abord été – comme en Suède d’ailleurs – une façon pour l’administration de se débarrasser des charges de gestion courantes des ministères centraux, ces derniers se concentrant sur les tâches de prospectives et de contrôle. Las, les agences semblent également pour certaines d’entre elles avoir également développé ce type de compétences, ce qui parfois déséquilibre les rapports entre l’opérateur et sa tutelle. Par ailleurs, contrairement à la Suède, la France n’a pas encore mis en place de système permettant de faire en sorte que chaque ministre soit son propre « ministre des finances » c’est-à-dire l’émanation du ministre des Finances dans son administration, mais s’en fait au contraire le représentant de cette dernière, en tant que « ministre dépensier ». 

Cette situation pourrait évoluer dans la mesure où Laurent Marcangeli, ministre de l’Action publique, de la fonction publique et de la simplification devrait proposer aux dirigeants de chaque ministère dès la mi-avril de lui soumettre des contrats de « simplification » et d’efficience dans chaque ministère[7]. Ces travaux étant coordonnés par les secrétariats généraux des ministères puis analysés dans le cadre d’un comité interministériel de la transformation publique (CITP) au printemps. Il serait souhaitable que ces contrats de « simplification » comportent un volet « opérateur » spécifique. Idéalement, il serait bon pour faire la pédagogie de la réforme que ces contrats (CSE) soient rendus publics après arbitrage, afin que les citoyens/contribuables ne soient pas tenus à bonne distance des démarches entreprises. 

La démarche de simplification selon Jean-Ludovic Silicani pourrait être simple :

  • Regrouper et fusionner les opérateurs exerçant des tâches proches ou complémentaires afin « d’améliorer leur productivité » en réalisant des économies d’échelles et en rationalisant leurs coûts (achats, consommables, emprises immobilières,[8] etc.). 

  • Conserver aux opérateurs une certaine autonomie tout en les rebudgétisants : via notamment leur transformation en services à compétence nationale (SCN) : « plus simples à créer que des établissements publics », ces services bénéficieraient eux aussi d’une « large » autonomie de gestion », « sans pour autant disposer de la personnalité morale ». 

Reste que cette dernière option pour élégante qu’elle soit, ne permettrait alors plus de contrôle serré de la part des parlementaires. Il faudrait pour y parvenir constituer un « nouveau jaune » budgétaire relatif par exemple aux entités contrôlées par l’État, disposant d’une comptabilité (tels des fonds), mais sans personnalité morale. Sur le plan de la comptabilité publique, cette méthode pourrait faire baisser le périmètre des ODAC (lorsque ces opérateurs sont aussi des ODAC), ou rester neutre (lorsque les opérateurs ne sont pas considérés comme des ODAC et donc déjà consolidés dans le périmètre de l’État). 

Conclusion :

Si les contrats de simplification et d’efficience voient le jour dans un proche avenir, il s’agit d’une avancée majeure permettant de responsabiliser les ministères vis-à-vis de la préparation en « base zéro » de leur budget (en reconstruisant leurs dépenses et en interrogeant chacune d’entre elles) comme veut le faire dès à présent Eric Lombard. Pour que cette démarche soit constructive, il faudrait que ces contrats soient rendus publics et qu’ils comportent un volet « opérateurs » afin de permettre de vérifier leur contribution à la baisse des dépenses du budget de l’état dans la préparation du budget 2026.

D’un point de vue plus structurel, les documents budgétaires devraient être modifiés et enrichis, avec extension des « jaunes budgétaires » au format des ODAC, avec consolidation des comptes en comptabilité budgétaire et nationale (à raison des périmètres État/ODAC), mais aussi être déclinés en appuis des RAP (rapports annuels des performances) dans le cadre de l’examen de l’exécution des comptes dans le cadre du « printemps de l’évaluation ». Pour pérenniser la démarche, il faudrait que la DB édicte des mesures d’application pour pousser à la production de ces documents (et ensuite, procéder à une modification des documents organiques en ce sens), mais aussi synchroniser les exercices comptables de l’ensemble de ces entités même à caractère industriel et commercial, afin de disposer de l’ensemble des documents financiers préparatoires, initiaux ou exécutés à date fixe, utiles pour leur exploitation financière par la Représentation nationale sur un site unique (celui de la DB par exemple).

D’un point de vue pratique, si la démarche de « simplification et d’efficience » fonctionne, il serait nécessaire que le Parlement dispose d’un « jaune » nouveau relatif aux services et fonds sans personnalité morale, mais tenant une comptabilité, permettant de suivre après « rebudgétisation » le devenir des entités transformées en services a compétence nationale. C’est d’autant plus nécessaire que la transversalité de la LOLF empêche aujourd’hui de suivre « financièrement » de façon précise l’activité des services, faute de déploiement d’une comptabilité analytique normalisée pour l’ensemble des ministères publics (le déploiement du CAC comptabilité d’analyse des coûts ayant été abandonné depuis la fin du quinquennat de François Hollande). 

Enfin des gains pourraient être dégagés en terme de réinternalisation de "taxes affectées" (ITAF) si l'on priorisait la rebudgétisation raisonnée d'organismes qui en sont bénéficiaires. Aux gains d'efficience en dépenses pourraient s'ajouter des gains en recettes, permettant de supprimer toute trésorerie oisive (principe d'unité de trésorerie du budget de l'Etat). 


[1] Voir par exemple, Fondation iFRAP, A quand la transparence sur les opérateurs et agences de l’État ?, 1er mars 2023, mais aussi, Fondation iFRAP, les fusions reprennent, mais à quand une baisse des dépenses ?, 30 avril 2024. 

[2] Dans d’autres pays, notamment aux Pays-Bas, l’équivalent de la Cour des comptes certifie les rapports d’activité à l’occasion de ses audits. 

[3]https://www.vie-publique.fr/loi/281020-loi-28-decembre-2021-lolf-modernisation-gestion-des-finances-publiques

[4]https://www.lefigaro.fr/conjoncture/budget-ou-trouver-3-milliards-d-euros-d-economies-chez-les-operateurs-de-l-etat-20250121

[5]https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/01/29/bercy-prepare-deja-le-budget-2026_6521385_823448.html

[6]https://acteurspublics.fr/articles/les-agences-responsables-ou-boucs-emissaires-des-dysfonctionnements-de-letat

[7]https://acteurspublics.fr/articles/le-gouvernement-veut-reexaminer-la-repartition-des-competences-entre-operateurs-et-administrations-centrales

[8] Un sujet d’autant moins trivial que le Conseil constitutionnel dans sa décision relative à la loi de finances pour 2026 a écarté comme cavalier législatif la mise en place d’une foncière de l’État. Voir https://acteurspublics.fr/articles/budget-2025-le-conseil-constitutionnel-retoque-le-projet-de-creation-dune-fonciere-de-letat, avec notamment sa transformation de SA en Epic… pour une critique de cette approche, voir https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/immobilier-public-reprendre-la-main. La censure du CC ne met toutefois pas fin aux fonctions de l’Agile…