Actualité

A quoi servent les riches

de Jean-Philippe Delsol avec la participation de Nicolas Lecaussin

A défaut d'être une question essentielle, l'utilité des riches est un sujet d'actualité brûlant. Curieusement, la campagne électorale s'est concentrée sur cette catégorie, au lieu de s'intéresser à la meilleure façon d'améliorer la situation des pauvres et des moins pauvres. Mais une attitude classique : quand cela va mal, on cherche des boucs émissaires.

Avant de traiter du sujet, Jean-Philippe Delsol et Nicolas Lecaussin sacrifient aux précautions françaises de rigueur : oui, des riches arrogants, méprisants, suffisants, enfermés dans leur bulle, isolés dans leur monde, malhonnêtes, cela existe. [1] Une fois ce point posé, les auteurs se demandent « Qu'est-ce qu'un riche ? », et surtout « Pourquoi les riches veulent-ils tant devenir riches ? ». Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, leur moteur est rarement la volonté de devenir riche, mais plutôt le goût de l'action et même de l'aventure. Cela semble crédible puisque des personnes extrêmement riches comme Bernard Arnault en France ou Steve Jobs aux États-Unis continuent à se dépenser sans compter alors que leur patrimoine (des dizaines de milliards d'euros) dépasse tout ce qu'un être humain peut utiliser dans plusieurs vies.

Utiles ?

Que ces personnes, même une fois riches, aient le droit de continuer à s'activer est généralement admis, encore qu'on pourrait craindre que des partageux français leur reprochent de prendre le travail des autres. Mais reste la question de fond : sont-elles utiles ? Les auteurs n'ont pas de mal à montrer que les riches sont des moteurs de la société, générant des richesses et des emplois qui ont permis les progrès pour tous et dans tous les domaines, santé, bien-être ou éducation.

Combien ?

Reste le problème du combien. Quel écart est admissible entre les personnes ? Même avec des contorsions ridicules, le slogan « les pauvres de plus en plus pauvres » ne peut plus être défendu. Mais de nombreux auteurs ont encore pu démontrer que la situation s'aggrave, en choisissant soigneusement des dates de référence (le jour de la bulle financière, le lendemain du krach, la période du premier choc pétrolier) ou les échantillons de personnes concernées (les déciles, les centiles, les millimes ou carrément les 5 personnes les plus pauvres et les 5 plus riches de France). Mais avec les données qu'ils ont réunies, provenant notamment de l'OCDE, de Piketty et du Conseil des Prélèvements obligatoires, Jean-Philippe Delsol et Nicolas Lecaussin démontrent que les inégalités régressent en France. Par exemple : « Les inégalités sociales ont plutôt tendance à s'estomper : alors que le revenu moyen par foyer de l'ensemble de la population a été multiplié par 4,5 au XXème siècle selon les données de Piketty, celui des foyers du décile supérieur n'a été multiplié que par 3,2 ». Et leurs comparaisons internationales montrent que les inégalités en France sont plutôt inférieures à celles des autres pays.

Mais quel que soit le niveau des inégalités ou de fortune des plus riches, le véritable point qui devrait logiquement retenir l'attention, c'est le progrès des revenus des pauvres et de l'ensemble de la population. Là aussi, les données sont incontestables. Citant Jacques Marseille « En cent ans, le pouvoir d'achat des travailleurs a été multiplié par 10 et le temps de travail divisé par deux ». Et merveille de la chute du mur de Berlin, le progrès se répand maintenant, non seulement dans les pays occidentaux, mais aussi dans la quasi-totalité des pays comme la Chine où les colossales fortunes de certains s'accompagnent, comme partout, de la croissance du pouvoir d'achat de tous.

Taxation

L'interprétation de la règle « contribuer selon ses moyens » donne lieu à des débats qui rappellent ceux autour du sexe des anges, et sont aussi peu productifs. En citant des cas précis récents, les auteurs montrent que Laffer et le simple bon sens ont raison : trop d'impôt tue l'impôt. Bien avant Bush ou Reagan, Kennedy s'était prononcé pour une baisse des impôts « Vérités paradoxales : les taux d'imposition sont trop élevés, et les revenus fiscaux sont trop bas, de sorte que le moyen le plus sûr d'accroître ceux-ci (les rentrées fiscales) est d'abaisser ceux-là (les taux) ». Pour les auteurs, seul l'impôt sur le revenu à taux unique (flat taxe), en responsabilisant tous les citoyens, permet de lutter contre l'excès des dépenses publiques et la tentation de spoliation des minorités riches par les majorités.

Héritage

Un chapitre important est consacré à la taxation des héritages. L'opposition au principe même de l'héritage de certains milliardaires (américains) est séduisante : convaincus que les aides sociales versées aux pauvres se transforment souvent en trappes à l'assistanat, pourquoi prendre des risques similaires avec leurs descendants ? Leur choix est respectable, mais les auteurs indiquent qu'ils peuvent éviter ce problème et se rendre utiles de deux façons : par des donations de leur vivant comme Bill Gates, et surtout en communiquant à leurs enfants leur passion pour l'entreprise. Pour la majorité des êtres humains, transmettre leur œuvre, si modeste soit-elle, à leur famille, constitue une très forte motivation. C'est un fait. La nier dissuaderait ces personnes de poursuivre leur action une fois une « petite » fortune faite et pourrait les encourager à dilapider le surplus de capitaux.

Les niches

Autre grand succès de l'année, les centaines de niches fiscales qui permettent aux plus riches de payer moins d'impôts. Même s'il faut généralement dépenser plus pour payer moins d'impôt. Mais surtout, preuves de l'inconséquence des politiques, puisque ces niches ont justement été faites pour orienter les dépenses des contribuables dans le sens voulu par l'État : cinéma, Outre-mer, logement, emploi à domicile, etc.

Les riches de l'État

Personne, ni dans la fonction publique ni dans la politique (sauf exception) ne devient très riche en se cantonnant à ces activités. Mais un chapitre est consacré aux petits arrangements qui règnent dans tout le secteur public (retraites, logements, cumuls, …). Ces abus, souvent légaux, constituent de très mauvais exemples de la part de personnes qui ne prennent aucun risque financier personnel et qui sont au contraire assurés d'avoir toujours un poste et de conserver leur revenu. Eux qui sont toujours prêts à faire la leçon de morale aux autres Français, ils devraient être exemplaires.

Le « Casse-toi pauv' c... » de notre Président était sans doute déplacé ; mais les conséquences du « Casse-toi pauv' riche » proféré en boucle depuis six mois par la majorité des responsables politiques sont beaucoup plus graves pour les personnes visées (ne devraient-elles pas porter plainte auprès de la Halde pour discrimination ?), mais surtout pour la France entière (adieu veau, vache, cochon, couvée).

[1] Un livre sur les fonctionnaires, les agriculteurs, les arabes, les journalistes, les catholiques, les femmes, etc. serait-il aussi tenu de se dédouaner de la même façon ?