Quel coût de la crise dans la dette de la France ?
Les chiffres les plus fantaisistes circulent ces dernières semaines sur l'aggravation de la dette, les cadeaux aux riches, le déficit… La Fondation iFRAP a souhaité chercher derrière les chiffres et modéliser dépenses et recettes afin de faire apparaître à la fois le vrai coût du déficit « historique » et le vrai coût de la crise. Entre 2007 et 2012, la dette s'est aggravée, selon notre chiffrage, de 510 milliards d'euros.
Pour obtenir ce chiffrage, nous avons cherché à comparer l'évolution des dépenses et des recettes constatées de 2004 à 2011. A partir de 2007 nous avons envisagé ce qu'aurait été une trajectoire alternative des finances publiques sans crise. L'hypothèse de départ a été choisie volontairement peu favorable en tenant compte d'un accroissement des dépenses dues à la mise en place de la première phase de la RGPP. Par la suite, nous avons considéré que le gouvernement aurait été « relativement » dépensier, restant légèrement en dessous de la limite de 3% de déficit de Maastricht pendant la durée de son mandat (très précisément -2,93% du PIB) à compter de 2008, tout en « laissant filer » la dette (qui se serait établie, hors crise, dans notre hypothèse, hors des critères de Maastricht à 72,3% en 2011).
Impact de la crise (Mds euros) | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | 2011 | Total | |
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Déficits sur la législature | -52 | -65 | -143 | -137 | -114 | -510 | |
Déficits sans crise ou "résiduel" | -52 | -58 | -60 | -63 | -66 | -298 | |
Coût de la crise | 0 | 7 | 83 | 74 | 48 | 212 |
Endettement | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | 2011 | |
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Endettement constaté (%PIB) | 65,20% | 66,80% | 64,10% | 64,20% | 68,20% | 79,00% | 82,30% | 85,40% | |
Endettement constaté (Mds euros) | 1079 | 1148 | 1153 | 1211 | 1318 | 1492 | 1591 | 1704 | |
Endettement sans crise (%PIB) | 65,20% | 66,80% | 64,10% | 63,84% | 64,42% | 67,03% | 72,43% | 72,30% | |
Endettement sans crise (Mds euros) | 1079 | 1148 | 1153 | 1204 | 1269 | 1379 | 1555 | 1621 |
Sources : Fondation iFRAP
Au sein de ces 510 milliards d'euros, 298 milliards sont imputables au déficit « structurel cumulé » de la France (entendu comme déficit sans crise [1] que l'on pourrait appeler « déficit résiduel » afin d'éviter toute confusion). En effet, en 2007, le déficit « résiduel » de la France était déjà de 52 milliards. Ce déficit s'est mécaniquement consolidé sans crise entre 2007 et 2011, passant à 66 milliards en 2011. Soit de 2,7% du PIB à 2,93% du PIB. Dans le même temps, le poids de la crise est isolable sur le déficit puisqu'à partir de 2009 où il constitue un pic (58% du déficit total constaté), il décroît progressivement jusqu'en 2011 (42%). Entre 2008 et 2011, la crise a donc coûté 212 milliards d'euros de déficits cumulés à la France.
La question qui se pose reste donc l'impact de la politique que le gouvernement a menée sur l'aggravation de la dette.
Une partie de la réponse est apportée par le rapport du rapporteur général du budget au Sénat, Nicole Bricq (PS) : « Le Gouvernement a pris de 2008 à 2010 un ensemble de mesures de réductions de recettes (loi TEPA, TVA restauration, réforme de la taxe professionnelle) qui ont globalement accru le déficit de 17,6 milliards d'euros, soit 0,9 point de PIB. » Ce qui correspondait en réalité à une politique de relance par l'offre dans un climat économique très déprimé. Sur l'ensemble des 510 milliards d'euros de dettes supplémentaires entre 2007 et 2011, 17,6 milliards au maximum seraient donc imputables à l'action du Gouvernement. Soit seulement 3,4% du total, ne représentant au final que 0,88 point de PIB.
…Et encore ! En effet, plus loin dans le rapport, le Rapporteur général poursuit : « La politique d'allégements de recettes de début de mandat a dû être plus que compensée par des augmentations nettes de recettes (fiscales et non fiscales), en quasi-totalité concentrées sur les années 2011 et 2012, pour un montant total de 1,9 point de PIB (environ 40 milliards d'euros). » Il y a donc eu rattrapage sur les deux ans qui ont suivi afin de juguler très rapidement la forte dégradation des soldes publics, en attendant de pouvoir pleinement agir sur les dépenses [2].
En clair, l'action du gouvernement a été au début de la législature marquée par un allègement de recettes et, en fin de législature, suite à la crise, par une augmentation des impôts. Le Rapporteur évoque aussi les baisses de dépenses structurelles réalisées par le gouvernement : « Compte tenu de son engagement initial de maîtriser les dépenses, et de la nécessité de financer les baisses de recettes tout en réduisant le déficit, on peut supposer - de manière favorable au gouvernement - que cet effort de 1,1 point de PIB aurait également eu lieu en l'absence de crise. »
Au final, le bilan des 510 milliards de dette supplémentaire ne peuvent dès lors pas être imputés au gouvernement mais en partie, comme le démontre notre chiffrage, à la crise et en partie au manque de rigueur structurel qui régit nos finances publiques depuis 30 ans [3] .
Cela n'exonère pas pour autant les gouvernements qui se sont succédé de la responsabilité pour leur manque de vision à long terme du risque que nous fait courir collectivement déficit chronique et dette accumulée.
La Fondation iFRAP propose une meilleure évaluation des coûts induits et des objectifs d'économies de dépenses sur 5 ans, ce qui permettrait d'éviter les incohérences de choix politiques au sein d'une même législature. Ce mécanisme nécessiterait, pour devenir pleinement opérationnel, la mise en place d'un comité budgétaire indépendant. Une disposition qui a d'ailleurs été soutenue dans le dernier rapport de l'OCDE France 2011.
Les facteurs d'évolution du solde public de 2008 à 2012 : une décomposition indicative par facteurs politiques (en points de PIB) * Croissance inférieure à son potentiel, fluctuation de l'élasticité des recettes au PIB. NB : par convention, on retient les hypothèses de croissance et de solde du Gouvernement pour 2011 et 2012. Sources : Insee, DGTPE, documents budgétaires, calculs de la commission des Finances du Sénat.Source : Rapport général fait au nom de la commission des Finances du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2012, adopté par l'Assemblée nationale
[1] Ce qui ne correspond pas terme à terme à ce que l'on entend généralement comme déficit structurel qui est en réalité le déficit constaté hors cycle conjoncturel, ce qui est plus précis), pour une prévision de croissance donnée.
[2] De ce point de vue, le gouvernement de Nicolas Sarkozy n'a pas fondamentalement innové économiquement. Il y a consensus chez les économistes pour penser que les ajustements les plus rapides se font par la fiscalité. Tous les gouvernements ont eu d'abord recours à l'arme fiscale (ce qui suppose aussi la limitation des niches, qui est en réalité une augmentation d'impôts). Ce qui diverge toutefois, c'est la propension à faire ensuite des économies sur les dépenses. Pour certains en période de crise, le mécanisme est pro-cyclique, tout comme l'allègement des prélèvements obligatoires en haut de cycle. Cependant, l'ensemble des ajustements budgétaires durables observés sur longue période dans les pays analysés l'ont été par une action résolue sur la dépense. Voir Bernard Schwengler, Déficits publics, l'inertie française, L'Harmattan, Paris, 2012.
[3] Le « classicisme » de la politique budgétaire et fiscale du gouvernement de Nicolas Sarkozy hors crise et hors RGPP est même à souligner en dépit de son approche plus importante par l'offre ainsi que l'évoque d'ailleurs la Cour des comptes dans son Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2011, p.30 : « Comme le souligne l'OCDE dans sa dernière étude sur la France [France 2011], les politiques budgétaires sont assez systématiquement contra cycliques dans les phases de mauvaise conjoncture, avec des mesures de relance de l'activité, et pro cycliques dans les phases de bonne conjoncture, avec des baisses d'impôts et des hausses de dépenses. »