« Pour combler le déficit public, faire les poches des Français et de leurs entreprises n’est plus la solution »
La séquence est tout bonnement sidérante. Nous avons les meilleurs technos à Bercy, qu’ils soient ministres ou dans nos grandes directions, ils ont fait les meilleures écoles, ils savent tout sur tout et ils n’auraient pas vu arriver l’iceberg du déficit 2023 ? Le plus gros déficit hors crise que la Ve République ait porté ?
Cette tribune a été publiée dans les pages du Figaro, le mercredi 27 mars 2024. |
Impossible à croire et ce d’autant plus que tous les éléments étaient là depuis juillet dernier pour laisser accroire que les recettes publiques seraient moindres et les dépenses plus importantes. Étonnamment, personne ne semble prêt à endosser la responsabilité des gigantesques 154 milliards de déficit public. C’est une affaire sérieuse qui nous engage tous et pourrait nous coûter très cher. Au moment où il aurait fallu réagir fortement, l’été dernier, nous étions en train de changer de ministre des Comptes publics. Très mauvais timing.
Pourtant, le budget 2023 était censé être un budget « à l’euro près ». Dixit Bruno Le Maire. C’est plutôt un budget à 16 milliards de déficit près ! Ce qui a péché est avant tout la dépense. Selon la loi de finances initiale, les dépenses publiques totales devaient être en 2023 de 1587 milliards, elles ont été de 1607 milliards. Soit 20 milliards de plus. Quant aux prélèvements obligatoires, ils sont 10 milliards en dessous de la prévision. Par rapport à 2022, les prélèvements augmentent de 36 milliards et les dépenses de… 70 milliards. Bizarrement, dans les jours qui ont précédé la publication des chiffres de l’Insee, beaucoup d’informations ont couru comme quoi les dépenses étaient tenues et les recettes moins importantes que prévu. C’est tout le contraire en réalité. Les moindres recettes sont moins importantes que les dépenses supplémentaires.
L’aggravation du déficit doit beaucoup à l’envolée des dépenses publiques de fonctionnement. Comme le montre l’Insee, elles ont bondi de 29 milliards entre 2022 et 2023. Au sein de ces 29 milliards, le premier poste est celui des dépenses de rémunération des agents (+ 15 milliards). Par rapport au vote initial, on observe 10 milliards de dérapage de la masse salariale publique. Ce dérapage explique les deux tiers de l’aggravation du déficit public. Ce n’est d’ailleurs pas sans lien avec les revalorisations salariales de juillet 2023 et la croissance de l’emploi public relevée par l’Insee : + 57.800 agents en plus en 2023.
Sur le volet recette, même si l’impôt sur les sociétés, la TVA, les droits de mutation à titre onéreux (frais de notaire dans le langage courant) et les cotisations sociales sont moins bien rentrés que prévu à cause de prévisions économiques trop optimistes des services de Bercy, cela ne nous enlève pas notre statut de champion d’Europe des prélèvements obligatoires. Et certains voudraient tout de même augmenter les impôts ? Une folie totale. Ils ont la mémoire courte. Le GNR, cela ne leur dit rien ? La TICPE non plus ? Que souhaitent ces apprentis sorciers ? Mettre la France à feu et a sang avec des « gilets jaunes », « gilets verts » ou « gilets rouges » partout ? Et la chienlit dans tout le pays ?
Ceux qui croient que frapper les superdividendes ou les superprofits ou les hauts revenus avec des taxes « exceptionnelles » dont on sait qu’elles ne disparaissent jamais permettrait de résoudre l’équation n’ont rien compris du tout. On parle ici d’un déficit à 154 milliards et ce genre de propositions ne permet que quelques centaines de millions d’euros de recettes en plus. Ce serait même un risque d’éroder la recette sur les revenus du capital en poussant à l’expatriation les plus aisés.
D’autres, qui pensent qu’en supprimant des niches fiscales ou en faisant des baisses d’exonérations sociales on peut résoudre l’équation de nos finances publiques ne sont pas mieux avisés. Nos soi-disant « aides aux entreprises » par exemple sur lesquelles Bercy a demandé une revue de dépenses pour trouver des économies sont pour leur très grande majorité des allègements de charges et d’impôts. 125 milliards sur 1575 milliards. Les supprimer reviendrait à taxer plus nos entreprises déjà surtaxées et à donner un mot d’ordre de dégradation de leur compétitivité.
Enfin, ceux qui voudraient que les plus riches paient plus cher que les autres citoyens leurs services publics proposent un engrenage grave pour la démocratie. En effet, pourquoi continuer à payer des tombereaux d’impôts pour avoir droit à rien en face et payer deux fois ? Attention, il y a les jacqueries qui se voient et les jacqueries silencieuses. Celles qui se voient dans les manifestations et les silencieuses, celles de ceux qui partent, sans rien dire avec leurs familles, leurs avoirs et leurs entreprises à la semelle de leurs souliers.
Nous sommes au pied du mur. Le levier fiscal est mort. Enterrons-le et activons enfin le levier dépenses. Car le « quoi qu’il en coûte » n’a jamais cessé. Sa fin est de la poudre de perlimpinpin. La dépense publique est toujours 2 points au-dessus de 2019 à 57,3 % du PIB en 2023 et de 7 points au-dessus de la moyenne de la zone euro (soit plus de 200 milliards d’euros). Il serait bon que Bercy et ses ministres cessent de nous faire confondre sciemment dépenses et recettes. Une « baisse de la dépense fiscale » est une augmentation de la charge des prélèvements obligatoires sur les ménages ou les entreprises. Nous payons déjà collectivement trop d’impôts. C’est le niveau de nos dépenses qui pose problème.
Il n’est plus temps de faire les poches des Français et de leurs entreprises. Il est temps de couper l’herbe sous le pied à ceux qui voient toujours l’augmentation des impôts comme premier recours alors que le consentement à l’impôt s’effrite, la croissance potentielle aussi et la capacité de création de richesses marchandes dans notre pays avec. La baisse de la dépense demande plus de courage et de détermination. Elle demande aussi que l’État, les collectivités locales et la Sécurité sociale marchent main dans la main pour faire les efforts au lieu de se refiler la patate chaude. Avec la dégradation de la note de la France à venir, les coups de rabot et les taxes exceptionnelles ne pourront plus faire illusion.