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PLF 2014 : censure partielle du Conseil constitutionnel quels enseignements ?

Traditionnellement, dans notre pays, il est de coutume de déférer la loi de finances initiale de l'année future à l'initiative de l'opposition devant le Conseil constitutionnel, par la saisine en vertu de l'article 61 de la Constitution de 60 députés et/ou de 60 sénateurs. Le PLF 2014 ne fait pas exception à la règle, avec la censure de 17 articles sur les 143 que comporte le projet de loi. Il s'en distingue toutefois par l'attitude du gouvernement s'agissant des motifs de censure ; en effet, ces derniers interviennent pour la plupart concernant des articles inclus ou modifiés par sa propre majorité parlementaire contre son avis. Par ailleurs, le Conseil n'hésite pas à se saisir d'office d'un certain nombre de dispositifs dont en première analyse la constitutionnalité lui semble sujette à caution. Petite revue de détail…

Les revenus latents sont exclus du plafonnement de l'ISF :

Première satisfaction pour le lecteur attentif de la décision n°2013-685 DC du 29 décembre 2013, le Conseil constitutionnel réaffirme et précise sa jurisprudence traditionnelle exposée dans sa précédente décision du 29 décembre 2012 relative à la loi de finances pour 2013 s'agissant de la prise en compte de revenus « virtuels » dans le plafonnement de l'ISF. Rappelons qu'à l'heure actuelle, le plafonnement de l'ISF se déclenche lorsque la cotisation d'ISF additionnée à celle des impositions sur le revenu dépasse 75% de l'ensemble des revenus du contribuable [1].

Ainsi, comme il le rappelle dans le commentaire de sa décision du 29 décembre dernier, le gouvernement pour le PLF 2013 avait tenté de faire entrer dans le calcul du plafonnement des « revenus capitalisés ou distribuables ou distribuables non distribués », c'est-à-dire à considérer (présomption légale irréfragable) acquis des revenus de nature soit incertaine, soit « dont le redevable n'a pas la libre disposition ». Une fiction qui aurait conduit à faire peser une charge fiscale manifestement disproportionnée « en traitant comme des revenus des sommes qui n'ont pas été effectivement perçues et qui pourront dans certains cas ne jamais l'être. »

En l'espèce, il législateur avait décidé de réintroduire à l'article 13 du PLF 2014, trois dispositifs censurés par le Conseil constitutionnel à l'article 13 du PLF 2013 s'agissant des produits de plans d'épargne logement, des revenus des bons ou contrats de capitalisation et des placements de même nature (assurance-vie avec contrats en euros ou fraction en euros de contrats multi-supports) puis ressuscités par la volonté de Bercy dans une instruction fiscale du 14 juin 2013 qui les avait réintroduits en violation de sa décision constitutionnelle précédente de décembre 2012.

En clair, le Conseil constitutionnel, avec une particulière vigueur, a décidé de faire respecter sa jurisprudence traditionnelle concernant le refus de prise en compte des revenus latents dans le cadre du plafonnement de l'ISF. Il l'a fait en paralysant une tentative de Bercy cherchant à obtenir une validation législative d'une instruction fiscale au demeurant entachée partiellement d'inconstitutionnalité et récemment censurée par le Conseil d'Etat [2].

Mais l'élément le plus instructif réside dans l'argument de censure : le Conseil constitutionnel estime en effet que « le législateur a fondé son appréciation sur des critères qui méconnaissent l'exigence de prise en compte des facultés contributives » des assujettis. Il le fait d'ailleurs en référence partielle à sa précédente décision du 29 décembre 2012 en insistant sur le fait qu'en « instituant un tel impôt [l'ISF], le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et de droits ». Plus significativement, il choisit de ne pas revenir sur le second membre de phrase qui avait alors été évoqué en citant sa décision QPC n°2011-99 du 11 février 2011, Mme Laurence N., « que la prise en compte de cette capacité contributive n'implique pas que seuls les biens productifs de revenus entrent dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune. »

En conséquence, la décision du Conseil constitutionnel est particulièrement claire, le refus de la prise en compte de revenus latents est une question de principe qui a contrario conduirait à réputer appréhendées par le contribuable des sommes à tout le moins non disponibles (non liquides). En conséquence la prise en compte de telles sommes aboutirait à se méprendre sur la capacité contributive réelle du contribuable. Il s'agit donc de l'affirmation d'une limite à la prise en compte par le législateur de revenus virtuels ou fictifs. Cette censure invite dans ces conditions à s'interroger à nouveau frais sur la constitutionnalité éventuelle de l'introduction de la taxation de loyers implicites, dans la mesure où ces revenus-là non plus ne seraient pas matériellement « disponibles » quant à l'appréciation de la capacité contributive des propriétaires [3].

Imposition des plus-values immobilières sur cession de terrain à bâtir, une approche économique :

En ce qui concerne l'imposition des plus-values immobilières relatives à la cession des terrains à bâtir, le Conseil constitutionnel retient une interprétation « économique » de l'appréciation de la capacité contributive des contribuables nécessaire pour la liquider. En effet, si par principe le distinguo réalisé entre plus-values immobilières sur cessions simples et plus-values immobilières sur cessions de terrains à bâtir ne pose pas de problème aux sages de la rue de Montpensier, en revanche la simple prise en compte de la plus-value résultant du différentiel entre la valeur comptable historique de la transaction initiale comparée à sa valeur de cession de marché entrainerait « une taxation condui[san]t à frapper une fraction du capital initial… »

En effet, et c'est sans doute une première dans la jurisprudence du Conseil, le juge constitutionnel considère que seul l'enrichissement résultant de l'augmentation de la valeur réelle du bien doit être pris en compte. Or celui-ci ne peut être dégagé objectivement sans prise en compte de l'inflation au moyen « d'un coefficient de dépréciation monétaire ou d'un abattement pour durée de détention. » L'absence de ces mécanismes dans le dispositif visé aboutirait « à une imposition équivalente ou supérieure à la totalité de la plus-value réelle, ce qui constituerait une taxation confiscatoire. » La suppression sèche de tout abattement pour durée de détention est donc considérée comme inconstitutionnelle car « elle conduit à déterminer l'assiette de ces taxes dans des conditions qui méconnaissent l'exigence de prise en compte des facultés contributives des contribuables intéressés ». Le Conseil constitutionnel restaure donc l'abattement originel pour durée de détention afin de tenir compte de l'érosion monétaire.

En matière d'imposition des plus-values immobilières, le Conseil constitutionnel adopte une approche résolument économique. A rebours d'un « nominalisme » purement juridique qui aurait abouti à se méprendre artificiellement sur les capacités contributives des contribuables, la prise en compte de l'érosion monétaire est réaffirmée comme une exigence constitutionnelle d'autant plus forte qu'il n'y a pas la possibilité de compenser des plus-values immobilières par des moins-values immobilières comme en matière de revenus mobiliers (elles sont totalement tunnelisées).

La notion de confiance légitime esquissée par le Conseil constitutionnel

Lors de son commentaire relatif à ses décisions n°661 et 662 du 29 décembre 2012 portant respectivement sur les lois de finances pour 2013 et loi de finances rectificative pour 2012, le Conseil constitutionnel est revenu sur la notion de « confiance légitime », principe construit par le droit allemand et reconnu par le droit de l'Union européenne qui peut s'apparenter au principe de sécurité juridique (notamment en matière de rétroactivité de la loi [4]). Le commentaire du Conseil de l'époque vaut d'être cité in extenso, il portait (p.29) sur l'appréciation de la rétroactivité des nouvelles mesures fiscales adoptées en lois de finances : « La jurisprudence du Conseil constitutionnel a évolué sur les principes de sécurité juridique et de confiance légitime. Pendant longtemps, le Conseil leur a dénié toute valeur constitutionnelle. Puis, sans les reconnaître, il leur a fait une place substantielle. »

Aujourd'hui cette étape semble partiellement franchie et l'on est passé de la référence implicite à la référence explicite, bien que de façon contournée. Dans la décision 2013-682 du 19 décembre 2013 relative à la loi de financement de la sécurité sociale, il est fait mention (considérants 14 et 18) de la notion d'attente légitime : « Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur statuant dans le domaine de sa compétence de modifier les textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci (…) qu'en particulier il ne saurait, sauf motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises, ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. » Il s'agissait en l'espèce de faire pièce à la décision du législateur d'augmenter sensiblement les taux de prélèvements sociaux actuellement minorés sur certains produits d'épargne (assurance-vie, PEA, plans d'épargne logement, etc.). Seule l'assurance-vie sera finalement concernée mais le dispositif sera partiellement censuré par le Conseil constitutionnel s'agissant de la rétroactivité envisagée sur la fiscalité dérogatoire des contrats d'assurance-vie non échus. L'intérêt général suffisant justifié par la nécessité de rendement pour les finances publiques a donc été partiellement écarté, et le principe d'attente légitime des épargnants reconnu. Ainsi le principe de confiance légitime qui se décline en sécurité juridique de l'administré n'est-il pas reconnu en tant que tel, mais plutôt la garantie constitutionnelle des droits octroyés aux situations légalement acquises et aux effets pouvant être légitimement attendus de telles situations.

Les amendes fiscales portant sur le chiffre d'affaires ne respectent pas le principe de proportionnalité des délits et des peines en matière documentaire :

Le Conseil constitutionnel de façon constante vérifie dans le cadre de son contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, les atteintes au principe de proportionnalité des délits et des peines s'agissant des sanctions en matière fiscale. Il vient ainsi de sanctionner les articles 97 et 99 de la loi de finances 2014 en ce qu'ils instauraient respectivement :

  • Par amendement parlementaire pour l'article 97 la substitution d'une amende représentant 0,5% du chiffre d'affaires à la place de 5% des bénéfices transférés en cas de défaut de réponse ou de réponse partielle après mise en demeure de l'administration dans le cadre du contrôle des prix de transfert. « qu'en réprimant d'une peine dont le montant peut atteindre 0,5% du chiffre d'affaires (…) le législateur a (…) retenu un critère de calcul du maximum de la peine encourue sans lien avec les infractions réprimées et qui revêt un caractère manifestement hors de proportion avec leur gravité. »
  • Par un second amendement parlementaire l'article 99 de la loi de finances pour 2014, la sanction du défaut de production obligatoire de la comptabilité analytique à la demande de l'administration pour les entreprises dont le CA dépasse 152,4 millions d'euros dans les secteurs du commerce ou du logement, ainsi que dans quelques branches d'activité avec des seuils différents [5]. Le défaut de présentation de ces documents comptables était assorti d'une pénalité de 5 ‰ du chiffre d'affaires. En l'espèce, le Conseil constitutionnel a relevé que « le législateur a, s'agissant du manquement à une obligation documentaire, retenu des critères de calcul en proportion du chiffre d'affaires ou du montant des recettes brutes déclarées, sans lien avec les infractions et qui revêtent un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité des infractions réprimées. » (cons. 110).

La préservation du principe de proportionnalité des délits et des peines sur le plan fiscal est effectuée au moyen de la censure systématique des amendes assises sur le chiffre d'affaires lorsqu'elles n'ont pas de lien avec la nature de l'infraction. Cette appréciation est en conformité avec le principe du réalisme du droit fiscal qui impose la non immixtion de l'administration dans la gestion des sociétés (sauf abus ou fraude) et qui ouvre la possibilité aux contribuables de pouvoir choisir la voie la moins profitable ou la moins imposée. Il en résulte qu'en principe les sanctions ne peuvent porter que sur le résultat fiscal net des entités contrôlées, que celui-ci soit ou non partiellement recalculé par l'administration (pouvant aller jusqu'à la reconstitution après rejet de comptabilité), c'est-à-dire après imputation des charges de l'exercice. Dans le cas contraire, adosser une sanction sur le chiffre d'affaires reviendrait à revenir sur ce principe de non-immixtion et à ne pas prendre en compte la réalité et la déductibilité des charges supportées par l'entreprise, ce qui est jugé « manifestement hors de proportion avec la gravité des infractions réprimées », et pourrait déstabiliser économiquement des entités pour simple défauts de productions documentaires.

Exceptions : les peines assises sur le chiffre d'affaires en lien avec l'infraction

Les exemples sont extrêmement limités dans le CGI, et témoigne d'infractions d'une particulière gravité. Nous les avons listés. Il s'agit des infractions mentionnées à l'article 1770 undecies du CGI et qui visent les logiciels ou les caisses enregistreuses trafiquées. Pour les entreprises qui conçoivent, commercialisent ou distribuent ces logiciels, l'amende prévue est de 15% du chiffre d'affaires réalisé par ces entités et sont tenues solidairement à son paiement. Par ailleurs, celles-ci sont également tenues solidairement des droits rappelés auprès des contribuables (personnes morales ou physiques) qui en feraient usage (article 20 IV B de la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013).

Note : En revanche les pénalités prévues entre autres par l'article 1754 du CGI alignées sur celles afférentes aux taxes sur le chiffre d'affaires sont sanctionnées comme en matière de douane et n'entrainent pas d'amendes assises sur le chiffre d'affaires.

La stabilité juridique sort renforcée en matière d'abus de droit fiscal :

C'est dans le cadre du rapport Muet/Woerth du 10 juillet 2013 relatif à l'optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international, et plus précisément dans sa proposition n°1, que l'idée d'une modification allant dans le sens d'un élargissement de l'abus de droit a été exposée. Cette proposition s'est traduite par le dépôt de deux amendements II-CF 195 et II-CF 70 par les députés Pierre-Alain Muet et Eva Sas, dont seul le premier a été adopté.

En la matière la proposition consistait (article 100 de la LFI 2014) à remplacer à l'article L. 64 du LPF (livre des procédures fiscales) la rédaction actuelle visant les actes constitutifs à but exclusivement fiscal [6], par la mention « pour un motif principal ». Cette approche qui d'ailleurs n'avait pas été retenue par le rapport Fouquet de 2008 relatif à l'amélioration des relations entre le contribuable et les entreprises, avait toutefois été en son temps soutenue également par l'actuelle opposition au Sénat où le président de la Commission des finances, Philippe Marini, avait proposé le terme « essentiellement » afin de coller à la jurisprudence de la CJUE dans son célèbre arrêt du 21 février 2006 Halifax qui utilisait le terme « essentially » [7]. Il y aurait cependant eu erreur de traduction dans la mesure où « essentially » aurait dû être traduit par « par essence » ce qui revenait à le lire comme « exclusivement » et non par « principalement [8] », disposition désormais stable de la CJUE.

Le plus intéressant dans l'affaire provient du fait que cette modification est le fruit uniquement d'une initiative du Sénat contre l'avis du gouvernement. Le compte-rendu des débats permet de bien comprendre la position très prudente sur la question du ministre Bernard Cazeneuve : « Compte tenu des difficultés qu'elle soulève, la solution de l'abandon du caractère exclusif du but fiscal a déjà été écartée à plusieurs reprises […] Vous avez déjà annoncé quel serait le vote de l'Assemblée, Monsieur le député. Je ne prétends pas vous convaincre … (sourires). Mais je souhaite approfondir notre échange […] il appartiendra au juge d'apprécier le résultat de la « pesée » effectuée par l'administration. Il en découlera, c'est ma crainte, une insécurité juridique pour les acteurs, compte tenu des positions divergentes que pourraient prendre les différentes juridictions, faute de critères juridiques avérés caractérisant un but « principalement » fiscal. »

Les critères permettant de dégager l'abus de droit fiscal (article L. 64 du LPF)

La définition de l'abus de droit comporte actuellement deux branches alternatives :

  • la fictivité (qui est un critère objectif) ;
  • la recherche de l'application littérale de la loi (avec deux sous-conditions cumulatives) :
    • à l'encontre des objectifs du législateur (critère objectif) ;
    • et dans un but exclusivement fiscal (critère subjectif) qui est compris par la jurisprudence sous une lecture objective « d'artificialité » permettant de caractériser un défaut de substance à l'opération.

Concrètement l'artificialité a fait l'objet d'une récente décision du CE du 17 juillet 2013 SARL Choiseul Holding, où l'appréciation du but exclusivement fiscal a fait l'objet d'un test : si l'avantage fiscal est fortement prépondérant par rapport à l'avantage économique de l'opération celle-ci est caractérisée comme relevant d'un motif exclusivement fiscal.

C'est précisément ce que relève le Conseil constitutionnel pour motiver sa censure de l'article 100 de la loi de finances pour 2014. Il relève notamment :

  • Les insuffisances (volontaires) de la rédaction du législateur dans la définition de l'abus de droit conduisant à accorder une marge d'appréciation importante à l'administration ;
  • Les conséquences pécuniaires de cette insuffisante définition au regard du principe de proportionnalité des délits et des peines (rétablissement de l'impôt normalement dû + intérêts de retard (0,4%/mois) + majoration légale comprise entre 40% et 80% en fonction de la participation active ou non du contribuable au montage.

En conséquence « le législateur ne pouvait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, retenir que seraient constitutifs d'un abus de droit les actes ayant « pour motif principal » d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé aurait dû normalement apporter (cons.118) ».

On comprend que le Conseil constitutionnel s'érige en gardien d'une lecture la plus « objective » possible de l'abus de droit fiscal, non seulement étant données les marges d'appréciations très conséquentes dont l'administration dispose jusqu'à présent, mais également de l'état actuel du droit européen dans la mesure où la Cour de Luxembourg retient une appréciation convergente et stable en matière de fraude à la loi.

La déclaration des schémas d'optimisation fiscale n'est pas constitutionnelle :

Enfin, le Conseil constitutionnel s'est penché sur l'amendement déposé par la députée Karine Berger, relatif à l'introduction d'une obligation de déclaration des schémas d'optimisation fiscale à l'administration (article 96 de la loi issue d'un amendement II-CF 194). Là encore, il s'agissait de transposer dans la loi une proposition du rapport Muet-Woerth du 10 juillet 2013. La disposition consistait concrètement en la mise en place d'une obligation de déclaration des schémas d'optimisation fiscale pour les gestionnaires de patrimoine, préalablement à leur commercialisation au public.

La difficulté bien relevée par le Conseil constitutionnel, mais aussi par certains parlementaires comme M. Charles de Courson, est l'absence de définition d'un système d'optimisation fiscale. Les sages de la rue de Montpensier relèvent en effet que le respect de l'objectif de valeur constitutionnelle (bloc de constitutionnalité) d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi impose de fournir une définition précise de la notion de « schéma d'optimisation fiscale » sous peine de verser sinon, dans le risque d'arbitraire.

Or la définition proposée comme « toute combinaison de procédés et d'instruments juridiques, fiscaux, comptables ou financiers » ayant pour « objet principal » de « minorer la charge fiscale d'un contribuable… » n'est pas suffisamment précise et porte atteinte au but légitime de tout citoyen consistant à chercher à minorer sa charge fiscale (principe sus-évoqué de non immixtion justifiant que le contribuable puisse retenir (sauf abus) la voie la moins imposée) soit par ses propres lumières soit par l'intermédiaire d'un conseil extérieur. En conséquence, le Conseil constitutionnel décide que « le législateur ne pouvait (…) retenir une définition si générale et imprécise de la notion de « schéma d'optimisation fiscale » » et tout particulièrement sur le fondement de la liberté d'entreprendre en choisissant de se placer du côté de la liberté d'exercice des activités de conseil juridique et fiscal.

Au Royaume-Uni : quid de l'abus de droit et des obligations de déclaration des schémas fiscaux ?

Lors des débats relatifs au PLF 2014 et aux dispositions fiscales censurées par le Conseil constitutionnel, les parlementaires ont souvent cherché à se placer dans une logique comparative avec la Grande-Bretagne. L'abus de droit « révisé » aurait consisté à se mettre au diapason de la définition britannique, tandis que la déclaration des schémas d'optimisation fiscaux ferait l'objet là aussi d'un traitement analogue outre-Manche. Qu'en est-il réellement ?

  • S'agissant de l'abus de droit : Pendant fort longtemps il n'y a pas eu de reconnaissance d'un principe général d'abus de droit en Grande-Bretagne [9], tout comme le principe de fraude à la loi. Tout au plus le juge britannique fit progressivement évoluer sa jurisprudence afin de combattre les schémas d'optimisations fiscales selon un triple critère dégagé dans l'affaire Furniss v. Dawson (1984) [10] : l'existence d'une série préconçue de transactions, des étapes intermédiaires qui ont été insérées et qui n'ont aucun but propre, puis la recherche du résultat final par neutralisation du schéma et application de la loi adéquate. Des critères dont l'interprétation a à nouveau été très fortement rétrécie par la jurisprudence Craven v. White (1988) avec l'ajout d'une condition téléologique dès la première étape du montage permettant de déduire les suivantes.

Finalement la répression de l'abus de droit n'intervient que très ponctuellement par l'existence de dispositifs très circonscrits au sein de la loi fiscale elle-même (les statutory anti-avoidance provisions). Il faudra attendre la reddition des conclusions et le rapport de la commission Aaron Graham du 11 novembre 2011, sur l'application en Grande Bretagne de GAAR (general anti-avoidance rules) pour que l'abus de droit fasse son apparition à partir du 15 avril 2013 seulement (mais entrée en vigueur au 17 juillet 2013) [11], sous la forme d'une General anti-Abuse Rule [12]. Son application est donc particulièrement récente en droit britannique et ne préjuge pas de l'appréciation qu'en feront les juridictions britanniques.

  • S'agissant de la déclaration préalable des schémas d'optimisation [13] : la mise en place de telles obligations déclaratives est une pratique relativement ancienne au Royaume-Uni qui date de 2004. Elle a complété la mise en place dès 2002 des WMS (Written ministerial statements) se présentant sous la forme de prises de positions ministérielles en matière légale (dont fiscales) ayant valeur de réponses ministérielles écrites (sans question). La mise en place de ces deux mesures a eu un impact important en matière de répression ex ante (rescrit sur critères définis) et ex post] (prises de positions ministérielles) des schémas agressifs d'optimisation fiscale. Mais ainsi que l'a relevé lors des débats à l'Assemblée nationale M. Bernard Cazeneuve : « ces obligations de présentation sont arrivées longtemps après que la relation de confiance avait été établie [entre l'administration et les contribuables] […] rend[ant] possible le renforcement de la contrainte pour équilibrer l'ensemble ».

Conclusion :

- Prise en compte par le Conseil constitutionnel de la réalité économique du poids de l'impôt au regard des capacités contributives du contribuable, que cela soit sur le volet des revenus latents ou de la compensation de la prise en compte de l'inflation :
- garantie des droits fondamentaux des contribuables sur le fondement de la proportionnalité des délits et des peines (s'agissant du refus des amendes assises sur le chiffre d'affaires, mais aussi de l'extension de l'abus de droit) ;
- Appui sur le fondement de la liberté du commerce et de l'industrie (s'agissant des schémas d'optimisation fiscale),

le Conseil constitutionnel dans sa décision relative à la loi de finances 2014 entend proportionner strictement le renforcement de l'arsenal fiscal au respect des garanties constitutionnelles offertes au contribuable.

Il fait de même d'ailleurs en ce qui concerne sa censure partielle du PLFSS 2014 en reconnaissant un accès limité mais réel aux épargnants à un principe d'"attente légitime" en matière de stabilité fiscale s'agissant des investissements longs.

A mesure que la contrainte fiscale atteint des sommets, les contrôles des sages se révèlent de plus en plus étroits et circonstanciés ; ces décisions constituent en tout cas une vraie leçon de droit pour des parlementaires de la majorité tentés par la "surenchère" fiscale par rapport aux propositions déjà lourdes du gouvernement. Rappelons qu'entre la loi de finances rectificative pour 2012 et le 5 novembre 2013, 58 modifications législatives sont intervenues sur le plan fiscal dont 36 ont résulté de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale, au sein de laquelle 30 provenaient de simples amendements parlementaires [14]

C'est un contrepoids nécessaire si l'on veut faire pièce au sentiment rampant de mécontentement sourd, que ces zakouski fiscaux n'auraient pas manqué de susciter. Le chemin vers la pleine reconnaissance de garanties fondamentales suffisantes en matière fiscale n'est pas encore clos : le Conseil ne reconnait pas encore le principe de confiance légitime, pendant de celui de stabilité juridique, même si des avancées sont perceptible (cf. supra). Son approche devient de plus en plus économique, mais pas au point de rapporter l'ISF à la capacité contributive réelle du patrimoine qui lui sert d'assiette. Mais qu'importe, la justice constitutionnelle progresse et s'affine au profit du contribuable, et c'est le plus important.

[1] En effet le plafonnement du plafonnement dit « Juppé » n'a pas été réintroduit suite à la réforme de l'ISF, mais il n'intègre pas non plus les contributions sociales et les taxes directes locales comme le bouclier fiscal supprimé pour 2013.

[2] Instruction DGFIP du 14 juin 2013, BOI-PAT-ISF-40-60-20130614, paragraphe 200. Dispositif déjà censuré par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 27 novembre 2013 SA AXA France Vie et autres n°371157, 372625, 372675.

[3] Tout au plus pourraient-ils être mis en évidence sous la forme de "non-dépense", ce qui ne revient pas à caractériser une capacité contributive supérieure qui ne peut que s'appuyer sur la constatation d'un revenu (et même pas d'une épargne ou encore moins d'un capital qui relèvent de stratégies patrimoniales individuelles).

[4] Sur son volet de grande rétroactivité mais aussi de petite rétroactivité (qui est légale en droit français, ce qui explique les tempérances du juge constitutionnel français) ou rétrospectivité.

[5] 76,2 millions pour les autres et 400 millions d'actif bruts pour les contribuables tenant une comptabilité analytique quel que soit leur chiffre d'affaires.

[6] La rédaction exacte en est la suivante : « les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif [le critère fictif premier membre de l'alternative n'aurait pas été touché par la nouvelle rédaction], soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales… ».

[7] Se reporter à sa proposition de loi n°726 de juillet 2013.

[8] Voir en la matière les développements éclairants de M. Jérôme Turot, Demain serons-nous tous des Al Capone ? A propos d'une éventuelle prohibition des actes à but principalement fiscal. Droit fiscal n°36, 5 septembre 2013, 394.

[9] Voir en particulier l'article éclairant et décisif de M.Stéfan N. Frommel, l'abus de droit en droit fiscal britannique, Revue internationale de droit comparé, vol.43 n°3, juillet-septembre 1991, p.585-625. Sur le même sujet, Fondation iFRAP, UK Budget 2011, la compétitivité fiscale au Royaume-Uni, 6 avril 2011.

[10] Furnis v. Dawson [1984] S.T.C., 153.

[11] Voir en particulier http://www.etudes-fiscales-internat…

[12] Voir en particulier HMRC, GAAR Guidance, 15 avril 2013.

[13] Voir HMRC Dotas Guidance, 6 avril 2011, Disclosures of tax avoidance schemes, Guidance.

[14] Donc sans passer les fourches caudines du Conseil d'Etat pour en peser la légalité, voir la communication du 15 novembre 2013 sur la question de M. Olivier Fouquet qui déplore ce contournement des garde-fou juridiques de l'Etat sous couvert de l'emballement de la lutte contre la fraude fiscale au détriment de la sécurité juridique, http://www.etudes-fiscales-internat….