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“Nous sommes arrivés à un maximum sur les impôts”

Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation IFRAP, regrette qu'il soit toujours plus facile d'augmenter la fiscalité que de diminuer la dépense, malgré les efforts encore insuffisants du gouvernement en la matière. Les mesures pour 2025 ré enclenchent une dynamique d'exil fiscal pour nos entrepreneurs. Avec un risque de décollecte d'impôts qui pourrait inquiéter les agences de notation et nos prêteurs.

Propos recueillis par Marie de Greef-Madelin et Frédéric Paya. 

Cet entretien a été publié dans les pages de Valeurs Actuelles du 6 au 12 novembre 2024

Fitch et Moody's n'ont finalement pas dégradé la notation française, mais l'ont placée sous perspective négative. À quoi faut-il s'attendre ? 

Tout d'abord, il faudra attendre la note la plus importante qui sera délivrée par Standard & Poor's fin novembre. Ensuite, il semble que les marchés aient déjà intégré l'augmentation du risque lié à la souscription de la dette française dans les cours. On emprunte aujourd'hui à moyen terme plus cher que la Grèce, et à long terme (dix ans), plus cher que le Portugal et l'Espagne. Cela en dit long sur la perception de la qualité de la gestion publique nationale par les investisseurs nationaux ou étrangers. 

Si l'abondance de la dette française reste prisée par les investisseurs, c'est parce que la France a encore la réputation de savoir faire rentrer les impôts. Enfin, le FMI ou les agences de notation commencent à bien intégrer que nous sommes arrivés à un maximum sur les impôts, taxes et cotisations. La barque est trop lourde. Le FMI exhorte maintenant à baisser les dépenses publiques. Nous sommes à un tournant.

Si les agences viennent à constater que les impôts ne rentrent pas comme anticipé, que les acteurs économiques se désespèrent, que les économies sur les dépenses sont moindres qu'annoncé et que les déficits ne se résorbent pas, alors le risque est connu : une hausse brutale des taux. Hausse qui entraîne rait un coût insoutenable de la charge de la dette. La suite, on la connaît...

Dans son projet de budget 2025, le gouvernement table sur un effort de 60 milliards réparti en 20 milliards de hausses d'impôts et 40 milliards de baisses des dépenses. Croyez vous à la réalité de ces chiffres ?

Malheureusement, les 40 milliards de baisses de dépenses sont à ce stade une illusion pour 2025. En partant des mesures gouvernementales vraiment documentées, nous trouvons environ 25 milliards d'économies. À condition de ne pas reculer sur le report de l'indexation des pensions, par exemple... Saluons ici l'effort pour faire reculer l'absentéisme des agents publics et faire économiser 1,2 milliard. On peut décemment se demander pourquoi le gouvernement n'a pas choisi de geler aussi les aides sociales (3 milliards d'économies possibles) et les rémunérations publiques (3,4 milliards d'économies possibles). Cela permettrait de faire plus de 30 milliards de vraies économies et de répartir les efforts entre les retraités, les collectivités, les agents publics et les ménages.

 Sur le volet impôts, il y aura en 2025 plutôt 24 milliards de hausses que les 20 annoncés. Soulignons aussi que, quand on prend les perspectives budgétaires, les recettes des prélèvements obligatoires vont augmenter entre 2024 et 2025 de 60 milliards d'euros en valeurs, et les dépenses publiques, de presque 40 milliards...

Dans les hausses d'impôts annoncées lors de son discours de politique générale, Michel Barnier a clairement désigné les classes aisées. Mais n'est-ce pas l'ensemble des Français qui sera concerné ?

En réalité, il y a une concentration de l'impôt qui devient de plus en plus insupportable. Les 10 % qui déclarent le plus de revenus paient 75 % de la recette de l'impôt sur le revenu. Les 1 % les plus aisés (qui sont majoritairement des entrepreneurs) paient déjà plus de 30 % de la recette totale de celui-ci. Avec la création du plancher à 20 % sur l'IR pour les hauts revenus, 24300 personnes vont payer en moyenne 82300 euros d'impôts en plus par personne et par an. Cette nouvelle taxe “plancher” va se combiner à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus créée “temporairement” il y a douze ans et toujours en vigueur. Ce précédent rend donc dérisoire l'engagement qui veut que cette taxe ne soit appliquée que pendant trois ans ; sa survie, voire son aggravation, devenant certainement un enjeu de l'élection présidentielle de 2027. 

Avec un taux effectif complet de 37,2 % sur les revenus du capital lorsque les autres pays sont plutôt à 26 %, voire à moins (la Belgique ne taxe pas les plus-values de cession d'entreprise), l'écart sera tel que l'on prépare dès aujourd'hui les exils fiscaux de demain. Cela n'a aucun sens alors qu'on a besoin de nos entrepreneurs pour contribuer à la réindustrialisation de la France, pour créer de la richesse et, in fine, dynamiser nos recettes fiscales. 

Parions que les recettes escomptées ne seront pas au rendez-vous. Et qui dit que les 20 % de l'an prochain ne seront pas 25 % puis 30 % ensuite, et que les contribuables ciblés ne seront pas de plus en plus nombreux et de moins en moins riches ? Dans le pays le plus taxé, où le capital et les revenus du capital sont imposés près de 67 milliards de plus par an que dans le reste de la zone euro... où la recette de la taxe foncière aura remplacé en 2030 taxe d'habitation et taxe foncière, en étant payée uniquement par les propriétaires... parler encore de justice fiscale est très dommageable dans le pays qui taxe le plus. S'il y a bien deux expressions à proscrire dans notre pays, c'est “justice fiscale” et “quoi qu'il en coûte”.

N'est-ce pas paradoxal qu'un gouvernement, apriori plutôt à droite, augmente les impôts et les prélèvements obligatoires ? Au risque d'ailleurs de pénaliser la croissance ?

C'est tout à fait paradoxal mais aussi lié au fait qu'Emmanuel Macron n'a pas baissé les dépenses, n'a pas soutenu ceux qui voulaient enclencher la dynamique de la baisse de la dépense et n'a pas voulu de loi de finances rectificative pour 2024. En choisissant la dissolution, le président a préféré passer la responsabilité d'augmenter les impôts à d'autres. Comme nous l'avions proposé à la Fondation IFRAP, il aurait fallu mettre en place une vraie coalition dotée d'une majorité absolue dès 2022. Une coalition avec un programme de baisse de dépenses pour préserver les baisses d'impôts et la politique de l'offre enclenchée depuis 2017. Cela n'a pas été fait pour des raisons qui relèvent moins de l'intérêt général que de que relles d'ego. Au lieu de cela, les hausses d'impôts sur les entrepreneurs et sur les entreprises annoncées pour 2025 sont des incitations tout simplement à arrêter les investissements et les embauches dans notre pays. Rien que la suppression de 5 milliards de baisses de charges sur les salaires va détruire à moyen terme 45 000 emplois dans le secteur marchand dont 5000 dans l'in dustrie. La croissance marchande va être pénalisée.

Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron... Sous quel président de la République les impôts ont-ils le plus augmenté ?

N'oublions pas qu'il y a eu des périodes de cohabitation... En prenant les statistiques au niveau le plus fin, semestre par semestre, hors cohabitation, les données sont très claires. Pendant le deuxième mandat de Jacques Chirac, le taux de prélèvements obligatoires hors cotisations sociales imputées a baissé de 0,3 point; sous Nicolas Sar kozy, il est monté de 1,3 point et sous François Hollande, de 2,3 points. 

On voit bien l'aggravation des impôts entre 2007 et 2017. Sous le premier mandat d'Emmanuel Macron, le taux de prélèvements obligatoires a baissé de 0,4 %. D'ici 2027, le risque est de voir réaugmenter le taux de prélèvements obligatoires ; au passage, on a connu une année record en 2022. Pour éviter cela, il nous faut en urgence un plan de 110 milliards d'économies sur les dépenses d'ici 2029. Avec des engagements forts et un calendrier clair car la hausse des impôts ne peut être la solution. Globalement, ce qu'on peut retenir, c'est que tous les présidents ont joué à la hausse ou à la baissé sur les prélèvements obligatoires alors que, pendant ce temps-là, la dépense publique n'a cessé d'augmenter. Elle était autour de 50% du PIB pendant le deuxième mandat de Jacques Chirac et atteint désormais, en 2024...56,8% du PIB ! 

Comment expliquez vous qu'à une maîtrise de la dépense publique, les gouvernements successifs préfèrent trop souvent le concours Lépine de la fiscalité ? 
Quels sont les impôts les plus néfastes pour l'économie ?

II est toujours plus facile de monter les impôts que de baisser les dépenses. Les administrations publiques sont en plus calibrées pour cela. On l'a bien vu ces dernières semaines. Toutes les idées qui remontent de Bercy sont des hausses d'impôts et très peu de baisses de dépenses. Les tiroirs de nos administrations et penseurs publics sont pleins d'idées fiscales mais vides d'idées de meilleure utilisation des deniers publics. L'évaluation de l'efficience et de l'efficacité de la dépense est au point mort. Cela n'intéresse pas tellement nos agents et pas non plus nos élus. 

Les impôts les plus néfastes à supprimer sont les suivants: taxation des successions sur les entreprises a minima, impôt sur la fortune immobilière, taxation sur les plus-values de cession des entreprises (surtout TPE, PME, entre prises de croissance), taxation sur les plus-values de cessions immobilières à supprimer après cinq ou dix ans de détention... Mais il faut aussi descendre la flat tax à 26 %, comme ailleurs en Europe, mettre un forfait pour attirer les entrepreneurs à 200000 euros maximum par couple pour des revenus de sources étrangères (non-résidents), également poursuivre la suppression des impôts de production qui pèsent sur les entreprises — à commencer par la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Les prélèvements obligatoires sont au plus haut, pourtant les Français ont l'impression d'avoir de moins en moins des services publics de qualité...Comment est-ce possible ?

Car on a sédimenté, laissé se bureau-cratiser la France depuis les années 1980... La création du statut à vie des agents à l'hôpital et dans les collectivités y a contribué, et la retraite à 60 ans aussi. Au-delà de cela, il n'y a pas qu'un problème de prélèvements obligatoires, mais aussi de PIB et de productivité. On ne travaille pas assez par an et pas assez longtemps sur une vie. On ne crée pas assez de richesse marchande. Notre PIB est trop faible, pas assez industriel, le poids du secteur non marchand y est trop important. On ne produit plus assez en France et, en face, on dépense comme si la ressource publique était inépuisable, comme si l'argent public venait d'un puits sans fond... et cela nous coûte 70 milliards de plus par an pour produire nos services publics (selon l'OCDE).

Quel pourrait être l'élément qui déclencherait une jacquerie fiscale ? Comprenez vous la résilience à l'impôt, et notamment celle des classes les plus aisées ?

Il n'y a plus tellement de résilience. La jacquerie se fait à bas bruit. Le drame, c'est que c'est une jacquerie des talents. Tous les jours, des familles passent la frontière pour partir résider fiscalement en dehors de France mais cela ne se sait pas. Demain, si nous n'agissons pas, nous aurons le problème suivant: un modèle social toujours aussi cher mais des “riches” lassés d'être pris pour des idiots qui auront déserté fiscalement. Combien de milliardaires du classement de Challenges résident fiscalement en France ? Une petite moitié ? Combien demain ? 

Si les Français se retrouvent demain à payer les impôts que les entrepreneurs de France dits “les riches” paient aujourd'hui, cela fera très mal au portefeuille et au sacro-saint pouvoir d'achat. Mais qui le dit dans l'Hémicycle de l'Assemblée ? Personne. 

Banquiers, entrepreneurs... De plus en plus d'entreprises appellent à une modération des prélèvements obligatoires, à une prise de conscience de la dégradation des finances publiques et à des engagements de l'État. Etes-vous surprise ?

Enfin ! Ils auraient dû donner l'alerte depuis longtemps... Que ne l'ont-ils pas fait ? Pourquoi avoir attendu une telle dégradation de nos finances ? Où étaient ils pendant la crise du Covid, pendant que toutes les vannes du chômage partiel et des aides à gogo étaient ouvertes ? Les mêmes qui s'inquiètent aujourd'hui n'ont rien dit alors. La Cour des comptes, le Haut Conseil des finances publiques, la direction du budget, la Banque de France, tous auraient dû sonner l'alarme depuis le printemps 2020. 

À la Fondation IFRAP, nous étions déjà en train d'alerter sur les risques, sur les fragilités de la dette française, sur les dépenses folles, sur l'inflation future et la hausse des taux à venir. C'est avant le mur budgétaire qu'il faut alerter.