Planquer les chiffres sur la dette publique ne la fera pas disparaitre
Est-il devenu interdit de constater qu’entre 2020 et 2023, l’ensemble de nos administrations publiques auront emprunté entre 300 et 400 milliards d’euros par an ? Il semblerait que oui tant le sujet est hyper sensible. Quasi secret défense. Quand on demande à Bercy l’estimation du besoin de financement pour la totalité de nos administrations publiques (et pas seulement l’Etat) en 2022 et 2023, silence radio. Tout comme le montant total de sa politique d’émission obligataire. Le sujet est pourtant essentiel. Pour que tout le monde soit bien au clair avec les montants en jeu, faisons une petite mise au point.
Cette tribune a été publiée sur le site d'Atlantico, le samedi 12 février. |
2020 restera l’année de tous les records avec plus de 438 milliards empruntés par nos administrations publiques : 314 milliards au niveau de l’Etat, entre 19 et 21 milliards d’euros pour les collectivités locales dont 4 milliards sur le marché obligataire, 23 milliards d’euros pour la CADES, 63,4 milliards pour l’ACOSS et 19 milliards pour l’Unedic
Pour 2021, nous en sommes encore à des estimations mais le besoin de financement toutes administrations confondues devrait s’être établi à environ 416 milliards dont environ 356 milliards d’émissions obligataires ; 265 milliards d’euros pour l’Etat, environ 20 milliards d’emprunts pour les collectivités (sans doute 4 d'obligataire), 40 milliards pour la CADES à long terme et 9,2 milliards à court terme, 25 milliards pour l’URSSAF Caisse nationale (ex-ACOSS) et 12,5 milliards pour l’UNEDIC.
En 2022, là encore, le besoin de financement devrait se révéler gigantesque avec entre 330 et 345 milliards d’émissions obligataires toutes administrations confondues : 260 milliards pour l’Etat 40 milliards pour la CADES, environ 20 pour l’URSSAF et peut-être entre 1 et 4 milliards d’euros d’obligataires pour les collectivités et des refinancements massifs pour l’UNEDIC (sans doute autour des 10 milliards), malgré un retour à l’équilibre à +1,5 milliard d’euros.
2023 devrait être sensiblement du même acabit puisque le gouvernement a estimé, d’ores et déjà, dans le programme de stabilité environ 115 milliards de déficit public et qu’entre 175 et 180 milliards de dettes anciennes arrivent à échéance. En outre, la sécurité sociale et les administrations publiques locales auront aussi des besoins de financement même s’ils sont impossibles à estimer à ce stade.
Tous ces besoins de financements de nos administrations sont insuffisamment suivis. Les tableaux de financement par niveau d’administration ne sont pas publiés, ni consolidés, la dette hospitalière est mal renseignée, la Trésorerie de l’Etat et de ses opérateurs n’est quasiment pas suivie par le Parlement à dates rapprochées. Visiblement, la réforme de la LOLF (loi organique des lois de finances) (28 décembre 2021) et de la LOLFSS (février 2022) ne proposent pas la publication d’un tableau de financement consolidé au niveau de l’ensemble des administrations publiques. C’est un tort.
Pourquoi ce sujet est-il tabou ? Tout simplement car il est couplé au sujet ultra brulant du taux d’intérêt à 10 ans de la France. De ce côté-là aussi, ça bouge. Depuis un an, ce taux des OAT à 10 ans de la France a pris 1 point, passant de -0,3 à +0,7%... Et ce n’est vraisemblablement que le début.
Problème : si le taux d’emprunt à 10 ans de la France monte de 1 point, c’est un coût supplémentaire, toutes administrations publiques confondues, de 22 milliards d’euros de plus par an au bout de 5 ans. Mais, si jamais le taux venait à augmenter de 4 points, alors la hausse serait de 88 milliards au bout de 5 ans, une hausse à ajouter aux 30 et quelques milliards actuels (en comptabilité nationale), soit quasiment 120 milliards par an. L’équivalent de la dépense publique d’éducation de la France.
Cela rendrait la charge de la dette totalement infinançable. Pourquoi 4% ? Simplement parce qu’il s’agissait du taux considéré comme taux d’équilibre de long terme à 10 ans avant la crise financière de 2008 (sans politique de soutien de la BCE). Compte tenu de la perduration des effets de la politique ultra-accommodante de la BCE, il semble que le taux à 10 ans pourrait atteindre 3% et 3,5%. De quoi faire déjà de la charge de la dette une vraie falaise.
Le sujet est plus que d’actualité car, avec l’inflation qui monte et que plus personne ne peut faire semblant d’ignorer, la BCE a annoncé stopper bientôt ses rachats de dettes publiques. Le débat fait désormais rage sur la hausse des taux qui pourrait augmenter dès 2022 même si Christine Lagarde s’oppose (pour l’instant) à une hausse trop rapide. Il serait donc plus que temps que nos citoyens soient au courant des risques qui pèsent sur nous. Planquer les chiffres de besoins de financement de nos administrations publiques sous le tapis ne fera pas disparaitre la dette publique française, ne rassurera pas plus les marchés et ne fera pas baisser les taux. Dire la vérité et affronter le sujet en faisant baisser les dépenses et la dette pourrait se révéler plus efficace que de faire l’autruche.