Où trouver les 30 milliards d’économies pour 2025 ?
La Fondation IFRAP a alerté depuis la crise du Covid sur le cocktail explosif – inflation, remontée des taux, gestion laxiste des finances publiques à base de « quoi qu’il en coûte » – qui pourrait bien provoquer une augmentation brutale de la charge d’intérêt sur la dette publique, qui rendrait impossible le financement de nos services publics. C'est pour cela que la Fondation IFRAP a réalisé, cet été, un audit qui documente 30 milliards d’économies qui seront nécessaires en 2025 afin de maîtriser notre dépense publique. Objectif : éviter une cascade de nouveaux impôts et taxes dans le pays où les prélèvements obligatoires pèsent le plus lourd.
Ces 30 milliards € d'économies, ce sont des mesures non structurelles, mais cela ne permettrait de réduire que d'1 point de PIB le solde public (2024), là où on voit que l'Italie va réduire de 3 points de PIB entre 2023 et 2024 (cf. page suivante). Mais elles permettent de se donner le temps d'agir pour préparer les futures réformes.
Les élections législatives n'ont pas réussi à accoucher d'une majorité claire. Le Nouveau Front populaire arrive certes en tête, mais avec seulement une quinzaine de voix d'avance sur Ensemble, le camp présidentiel, quand le Rassemblement national arrache la troisième place. Alors que les tractations vont bon train pour tenter de sortir de l'impasse, la nouvelle majorité qui sera issue d'une coalition d'un genre nouveau n’échappera pas à l’ardente obligation de présenter, à la rentrée, un budget pour l’année 2025 particulièrement serré.
Dans une France championne d’Europe des prélèvements obligatoires, sur le travail comme sur le capital, la tentation d’augmenter les impôts serait mortifère sur le plan économique. Pendant plusieurs semaines, la Fondation IFRAP a échangé avec les services de Matignon et de Bercy pour documenter une autre voie : réaliser les 30 milliards d’euros d’économies qu’elle estime nécessaires pour reprendre le contrôle de nos dépenses publiques. Les principales mesures détaillées ici ont le caractère d’urgence que requiert la situation politique actuelle. Il ne s’agit que d’économies ponctuelles, sur un an, qui ne relèvent pas de réformes structurelles dont la France aurait, par ailleurs, grandement besoin d’ici à 2027. Nous formons le vœu qu’elles puissent nourrir le débat jusqu’à l’automne.
Maîtriser la masse salariale de la fonction publique : 8 milliards d’euros
Les dépenses de rémunérations dans les trois versants de la fonction publique – Etat, territoriale et hospitalière – sont aujourd’hui en forte croissance. Pour ne s’en tenir qu’aux chiffres disponibles définitifs (Insee base 2015), les dépenses de rémunérations (D1 en comptabilité nationale) ont crû vivement pour représenter 327,7 milliards d’euros en 2022, soit + 10,2 %.
La très récente publication de l’Insee pour l’exécution 2023 invite à être encore plus attentif à la dérive de la masse salariale en cours : les dépenses de rémunération atteindraient 346,2 milliards d’euros l’an dernier, soit + 15,2 milliards d’euros par rapport à 2022. Il ne semble envisageable sur un an que de ralentir l’évolution de la masse salariale publique, sans parvenir à la stabiliser en valeur.
Le premier levier à activer est celui du gel du point de la fonction publique. Avec une inflation anticipée en 2025 à 1,7 % dans le cadre du Programme de stabilité 2024-2027, les gains pour les finances publiques représenteraient, pour les trois fonctions publiques, 3,6 milliards d’euros.
Le deuxième levier consiste en un moratoire sur les avancements et les promotions de carrière des agents publics. Il s’agit techniquement de "bloquer" pendant un an le GVT positif – le glissement vieillesse-technicité, autrement dit l’augmentation des rémunérations individuelles à effectif constant – dans les trois versants de la fonction publique, hors renouvellement des postes pour départs à la retraite. Le gel du GVT positif au niveau de l’Etat et de ses opérateurs pourrait atteindre 1,7 milliard d’euros. Les collectivités territoriales et les administrations de Sécurité sociale contribueraient, quant à elles, autour de 0,8 milliard d’euros. Soit une économie totale, sur un an, proche de 3,4 milliards d’euros.
Le troisième levier vise à stabiliser les effectifs dans les ministères et les opérateurs en gageant les augmentations de personnel prévues par des baisses dans les missions non prioritaires ou faisant l’objet d’une loi de programmation sectorielle. L’économie potentielle se monte ici à 500 millions d’euros. Dans les collectivités territoriales, cette stabilisation devrait être fixée en niveau, et non en pourcentage de l’emploi total. Les dernières données disponibles (Insee, mai 2023) montrent qu’en 2021, les emplois publics locaux se sont accrus de 16 900 effectifs physiques – en incluant les contrats aidés – et de 29 700 équivalents temps plein. Sur une moyenne période, les effectifs physiques locaux dérivent depuis 2017 de 18 200 agents par an. Une simple stabilisation permettrait une économie supplémentaire de 550 millions d’euros.
Décaler la revalorisation de toutes les retraites de base et des complémentaires Agirc-Arrco à décembre 2025 : 6,2 milliards d’euros
Le Conseil d’orientation des retraites (COR) consacre chaque année une partie de son rapport annuel à la question de l’évolution du pouvoir d’achat des retraités. Ce document montre que si le niveau de vie des retraités a augmenté en euros constants de 20 % entre 1996 et 2019, cela s’explique en partie par un effet de noria [NDLR : les nouveaux retraités, les "entrants", ont généralement des pensions plus élevées, en raison de carrières plus favorables que les "sortants", les retraités décédés]. Il est donc excessif de parler d’amélioration du niveau de vie de tous les retraités.
Le COR décompose la perte de pouvoir d’achat selon son origine : les cadres ont été les premiers à subir les effets des mesures d’économies à l’Agirc dès les années 1990. A partir de 2014, ce sont les désindexations par rapport à l’inflation, pratiquées à la fois par l’Arrco et l’Agirc, qui ont continué à éroder le pouvoir d’achat de ces retraités. A partir de 2018, les mesures de gel de la Cnav ont pris le relais. Ce ne sont pas les seuls effets puisqu’il faut tenir compte aussi des hausses de la CSG.
Pour le COR, ces désindexations peuvent être la contrepartie à un taux de remplacement – le pourcentage de son ancien revenu perçu une fois à la retraite – plus élevé parmi les anciennes générations. Il n’empêche : ces mesures d’économies pénalisent plus durement les anciennes générations, celles dont le niveau de retraite a le plus décroché par rapport au salaire moyen. Or, ce sont justement ces retraités qui sont les plus frappés par une hausse des dépenses courantes : mutuelles santé, dépenses de soins, aide à domicile liées au grand âge, voire entrée en EHPAD.
Désindexer au-dessus d’un certain niveau de retraite n’est donc pas une bonne idée. L’autre manière de faire consiste à repousser la date de réévaluation. Depuis le début des années 2000, la date de revalorisation des pensions vieillesse intervenait le 1er janvier, à l’exception de l’année de crise de 2008. En 2009, la réévaluation est reportée au 1er avril. En 2014, aucune indexation n’est mise en œuvre et la réévaluation de 2015 est remise au 1er octobre. Idem en 2018, année blanche, puis la réévaluation en 2019 intervient de nouveau en janvier. Au total, depuis 2013, les pensions auront "perdu" deux ans et neuf mois de réévaluation. L’option ici proposée consisterait en un gel des retraites du 1er janvier au 1er décembre 2025 puis en une indexation à 1 %. Cette mesure représenterait une économie de 6,2 milliards d’euros en 2025, en faisant l’hypothèse d’une inflation à 1,7 %, dont 5,1 milliards d’euros sur les administrations de Sécurité sociale.
Désindexer les minima sociaux : 2,3 milliards d’euros
Depuis la crise économique et financière de 2008, les nombreux "coups de pouce" aux principaux minima sociaux ont conduit à une augmentation annuelle en moyenne supérieure à l’inflation. Cette évolution est retracée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques des ministères du Travail et de l’Economie (DREES).
Le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale de 2013 prévoyait une revalorisation du RSA de 10 %, au-delà de l’inflation, entre 2013 et 2017. Dans ce cadre, des revalorisations annuelles exceptionnelles ont eu lieu chaque 1er septembre entre 2013 et 2017 (+ 2 % par an de 2013 à 2016, + 1,6 % en 2017), en plus des revalorisations habituelles au 1er avril selon l’inflation. Les plus fortes hausses de pouvoir d’achat, entre le 1er janvier 1990 et le 1er janvier 2023, concernent le minimum vieillesse pour une personne seule et l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Le pouvoir d’achat de leurs allocataires a respectivement augmenté de 26,1 % et de 25,6 %, en relation avec plusieurs plans de revalorisation.
Grâce à ces revalorisations, le montant maximal de l’AAH aura progressé depuis 2006 plus vite que le Smic et le seuil de pauvreté : il représente, en janvier 2023, 70,7 % du Smic net mensuel et, en 2019, 78 % du seuil de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian, contre respectivement 63,8 % et 69,5 % en 2006.
Mesurer l’effet d’un gel des minima sociaux est un exercice complexe car il dépend du nombre de bénéficiaires. Si l’on anticipe une bonne tenue du marché du travail, on peut faire l’hypothèse d’une stabilité des allocataires du RSA. En revanche, pour l’AAH et l’allocation de solidarité aux personnes âgées, on retient l’hypothèse d’une hausse conforme à la moyenne des cinq dernières années, respectivement 2 % et 5 % par an. L’économie possible est de 567 millions d’euros rien que sur ces trois minima sociaux. Si l’on étend ce calcul en appliquant un gel en valeur à toutes les aides sociales sous conditions de ressources, on peut évaluer à 2,3 milliards d’euros l’économie réalisable sur 2025.
Taxer budgétairement les subventions aux associations : 1,6 milliard d’euros
Les derniers chiffres disponibles complets font état d’un niveau de subventions publiques aux associations d’environ 23 milliards d’euros par an. Sur ce total, l’Etat en prenait à sa charge 7,3 milliards d’euros en 2020, soit autant que les collectivités territoriales. Le jaune budgétaire "Association 2024" rafraîchit l’estimation des sommes versées sous forme de subventions par l’Etat en 2022 à 8,5 milliards d’euros.
Nous estimons qu’il serait légitime de procéder à une taxation budgétaire de 10 % des subventions aux associations versées au niveau de l’Etat pour un montant de 850 millions d’euros. Un dispositif similaire pourrait être contractualisé avec les collectivités territoriales afin d’éviter des phénomènes de compensation d’argent public. Sur ce champ, des sommes comparables, voisines des 800 millions d’euros, pourraient être dégagées, soit un total de 1,6 milliard d’euros. Rappelons que si des objectifs législatifs existent, il n’y a jamais de droit acquis à subvention pour les organismes bénéficiaires.
Doubler les annulations de crédits sur l’Aide publique au développement : 1,48 milliard d’euros
En 2024, le gouvernement a décidé une annulation de crédit exceptionnelle de 10 milliards d’euros, dont 740 millions d’euros sur l’Aide publique au développement. Nous proposons de reconduire cette stratégie, en doublant le montant de cette économie. Cette mesure est cohérente avec la rationalisation demandée de l’action extérieure des collectivités territoriales.
Suppression de certains aides à la pierre : jusqu’à 1,3 milliard d’euros
Les aides à la pierre – prestations d’aide au logement, subventions d’exploitation et d’investissement, avantages de taux et avantages fiscaux – représentent, en 2022, 41,5 milliards d’euros, soit 1,6 % du PIB. Les prestations sociales – aide personnalisée au logement, allocation de logement sociale… – et les avantages fiscaux en composent la majeure partie puisqu’ils représentent respectivement 49 % et 36,8 % du total.
Si l’on exclut des mesures d’économies possibles les aides individuelles et les avantages fiscaux, qui contribuent à alléger une fiscalité immobilière particulièrement lourde – le dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires a montré que la France se situait en tête des pays de l’OCDE en matière de fiscalité immobilière –, il reste deux segments sur lesquels agir : les avantages de taux – essentiellement sur les prêts aux bailleurs sociaux et sur le prêt à taux zéro – et les subventions d’investissement.
Ces dernières reposent schématiquement sur deux dispositifs : les aides aux propriétaires pour effectuer des travaux de rénovation, type MaPrimeRénov, dispositifs sur lesquels le gouvernement a déjà annoncé un recentrage. Et les subventions versées aux bailleurs sociaux qui représentent environ 1,3 milliard d’euros : 400 millions de l’Etat, essentiellement financés via un prélèvement sur la Caisse de garantie du logement locatif social, et 900 millions des collectivités locales et d’Action Logement.
La suppression de ces subventions serait sans doute âprement critiquée étant donné le retournement du marché de la construction. Les bailleurs sociaux réalisent leurs programmes de construction de logements neufs en achetant sur plan auprès des promoteurs. Ils contribuent donc, conjoncturellement, au soutien de l’activité. Mais ces subventions de l’Etat et des collectivités pèsent peu, rapportées au plan de financement moyen de chaque logement : 2,7 % et 4,5 % respectivement en 2022. Leur abandon n’affecterait pas les grands équilibres du secteur.
Lutter contre l’absentéisme dans la fonction publique : 1,3 milliard
La Cour des comptes a publié en 2021 un rapport très complet sur les arrêts maladie dans la fonction publique. Ce rapport permet un chiffrage et surtout un rapprochement avec le secteur privé. Dans la fonction publique, le nombre de jours non travaillés en 2019 pour arrêt maladie représente entre 241 000 et 252 000 emplois. La Cour évalue le coût direct de ces absences entre 11,1 et 11,9 milliards d’euros, soit entre 4 et 4,3 % de la masse salariale.
Par comparaison, la Cour cite les 10,3 milliards d’euros d’indemnités journalières de sécurité sociale, dont 7,4 milliards au titre des arrêts maladie, versés en 2017 aux 19,16 millions de salariés couverts par le régime général, soit environ 1,8 % de la masse salariale. En faisant l’hypothèse que les arrêts maladie ont accéléré en 2019 et en tenant compte de la couverture complémentaire obligatoire supportée par les employeurs privés ainsi que la couverture complémentaire santé collective (mutuelle) obligatoire dont ils assurent une partie du financement, la Cour estime le coût de l’absentéisme dans le privé à 3,6 % de la masse salariale.
Si l’on retient un écart entre 0,4 et 0,7 point du coût de l’absentéisme en pourcentage de la masse salariale, ramener l’absentéisme dans la fonction publique au niveau du secteur privé revient à faire une économie comprise entre 1,3 et 2,3 milliards d’euros.
Pour y parvenir, l’une des pistes pourrait être de ne verser que 90 % du traitement brut et des primes dès le premier jour d’absence des agents publics pour les absences inférieures ou égales à trois mois. Cette mesure permettrait d’économiser 840 millions d’euros sur un an. L’économie serait de 1,3 milliard si on l’appliquait au salaire chargé.