Les erreurs d'une « révolution fiscale », par Piketty, Landais et Saez
L'étude publiée par Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Camille Landais : « Pour une révolution fiscale » est un intéressant travail d'obfuscation [1] pseudo-scientifique de l'opinion. L'Etat qui paie Piketty et toute son équipe pourrait se demander à quoi servent des milliers d'heures passées à construire des modèles et des bases lorsque les résultats qui en sortent sont aussi caricaturaux.
A partir de cet énorme travail, ils ont construit un simulateur fiscal supposé permettre à tout un chacun de calculer l'effet d'une mesure qu'il imaginerait. Allez sur l'ISF et tapez 100%, voulant dire par là que dans la dernière tranche tout irait à l'Etat. Eh bien, le simulateur vous retourne un chiffre sans rire de 38,2 milliards au lieu de l'actuel 4 milliards, l'écart de 34 milliards se trouvant représenter à peu près le total des patrimoines qui entrent dans la tranche la plus élevée. Comme si avec un impôt de 100%, les contribuables allaient tout verser à l'Etat. Le vice de ce programme ? C'est qu'il est ce qu'on appelle en économie un modèle statique, qui ne tient pas compte des réactions des contribuables à des variations d'impôt. Il y a longtemps que les Américains, cités à l'appui de cette étude, utilisent des modèles dynamiques où les réactions des contribuables à des variations de la pression fiscale sont prises en compte.
Certes, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, Piketty & Co. ont introduit quelques éléments de budget dynamique mais on peut se poser des questions sur leurs hypothèses et méthodes lorsqu'on les voit affirmer [2] que le taux optimum pour le rendement de l'impôt, ce que d'autres qualifieraient de maximum de Laffer, est de 77% !
S'il y a bien eu une époque où le taux marginal de l'IR était entre 70 et 80% aux USA, ce taux était tellement bourré d'exceptions que leur suppression en 1986 a permis de ramener le taux marginal maximal à 28%. Il est clair que quand on dépasse des taux marginaux au-dessus de 30 à 40%, les contribuables se débrouillent pour échapper à l'impôt ou ne plus travailler, et que 77% est absurde.
Mais cette étude à prétentions scientifiques est bourrée de contre-vérités économiques :
elle vous dit que le taux des prélèvements obligatoires en France est de 49% (page 13). C'est ce que publie le Conseil des Prélèvements Obligatoires mais ce conseil succède avec à peu près la même composition au Conseil des Impôts qui avait déjà montré en 2004 que les prélèvements en France étaient dans la moyenne européenne en éliminant la CSG des impôts, comme prélèvement social, et des prélèvements sociaux, comme impôt… ! La réalité est que l'Etat dépense 55% du PIB et s'il n'est prélevé aujourd'hui que 49%, c'est que les 6% restants sont couverts par l'emprunt qui est un prélèvement obligatoire sur les futures générations ;
pour justifier les services publics sans remettre en cause leurs dépenses, Piketty & Co. vous expliquent que leur valeur ajoutée est évaluée à leur coût de production car il n'existe pas de prix de marché pour des biens qui sont le plus souvent livrés gratuitement. Mais en quoi cela contribue-t-il à connaître la valeur économique des services produits ? Et chaque fois qu'une comparaison avec des services privés est possible, elle n'est guère favorable. Ainsi, lorsqu'il affirme (page 39) que les services privés de santé et d'éducation coûtent beaucoup plus cher que les services publics correspondants, c'est peut-être pour cela que presque tous les enfants des ministres socialistes, que ce soit sous Mitterrand ou Jospin, ont été éduqués dans des institutions privées. Et que les cliniques privées coûtent 15% du budget de la Santé contre 45% pour le public, recherche et urgences enlevés, alors que le nombre d'actes chirurgicaux, maternité, etc. est le même et avec le même niveau de sophistication et de complexité ;
Il est correct que l'impôt français n'est plus progressif ne serait-ce que parce que la TVA touche la consommation mais pas l'épargne dont les ménages aisés « consomment » plus. Mais il n'est jamais dit qu'avec un taux de dépenses publiques de 55% sur le PIB, il faut forcément taxer même les revenus les plus pauvres et que la première condition du retour à la progressivité est un abaissement du taux de prélèvement ce qui implique un double effort de création massive d'emplois privés et de réduction de la dépense publique.
En fait, Thomas Piketty et Emmanuel Saez sont connus pour faire passer comme scientifiques des études idéologiques. Leur étude la plus connue sur les inégalités aux USA, reprise par tout ce que la gauche américaine comprend de Nobel socialistes, a voulu montrer que les inégalités avaient augmenté aux USA. Mais leurs calculs ont reposé uniquement sur les relevés fiscaux et ceux-ci ne comprennent pas les transferts sociaux qui aux USA sont considérables et au moins égaux sinon plus élevés qu'en France (ils refont d'ailleurs la même erreur dans l'étude actuelle). De surcroît, Piketty avait sciemment éliminé – ou il ne sait pas de quoi il parle - l'effet d'une réforme fiscale, la Subchapter S, qui a transféré des revenus taxés entre les mains des sociétés, entre les mains des actionnaires, par là même augmentant leurs revenus apparents.
Tout ceci serait risible si le travail de Piketty & Co. n'allait pas contribuer à accroître les inégalités en France. La pire des inégalités dans notre pays n'est pas que Madame Bettencourt gagne plus que Piketty mais que 3 millions –5 millions pour être plus réaliste– n'aient pas de travail ou pas de travail au sein d'une entreprise et dépendent, pour vivre, d'un secours de l'Etat. Chaque Français devrait pouvoir trouver un travail qui lui permette d'espérer augmenter son revenu en travaillant mieux ou plus. Ce n'est pas possible pour les millions de Français, notamment les jeunes, qui ne peuvent bénéficier que du RSA ou des revenus misérables qu'apportent les emplois-jeunes. Ne pas avoir un travail dans une entreprise privée, un travail dont le titulaire puisse se dire qu'avec son entreprise il est en train de se construire un avenir, qu'il pourra donc se marier, avoir des enfants et que son foyer dépendra en grande partie de ses efforts, pas de la charité aveugle d'un Etat lointain et bureaucratique, voilà la plus grande inégalité. Une inégalité que Piketty & Co. ne connaissent pas car ils ont toujours été nourris par l'Etat. Et ce dont on est sûr, c'est qu'avec leurs prescriptions fiscales, il y aura encore de moins en moins d'entreprises pour se créer ou rester en France.
Ce qu'ils n'ont pas compris, c'est qu'avec la recherche d'une égalité que poursuivent la droite comme la gauche depuis 40 ans et que personne ne peut atteindre car il n'y a pas de système égalitaire, on a détruit l'entreprenariat en France. On en est arrivé à ne plus avoir que des entreprises rachitiques, qui ne grossissent plus ou plus assez et avec des créations d'emploi annuelles qui sont trois à quatre fois plus faibles que les Allemands ou les Anglais en nous laissant un passif annuel de 200.000 à 300.000 emplois non créés tous les ans.
Et nous nous réjouissons d'envoyer dans les jours qui viennent à Piketty & Co. une étude économique qui montre qu'il est impossible de voir les créations d'entreprise reprendre si l'ISF est maintenu car l'évaluation des patrimoines industriels, forcément imprécise, et la menace de contrôle fiscal en découlant, paralysent créations et développements.
[*Lire la suite : « Notre fiscalité est déjà progressive »*]
[1] Cf. Wikipedia : "L'obfuscation, ou assombrissement, est une stratégie de protection de la vie privée qui consiste à publier en quantité des informations. De cette manière, on tente de "noyer" les informations existantes que l'on souhaite cacher. Outre la protection des données personnelles, cette méthode peut s'adapter à la gestion de la réputation numérique d'une entreprise, à la sauvegarde de la confidentialité des informations. On parle également d'opération de masquage, d'opacification ou d'assombrissement."
[2] Cf. annexes techniques programmes et fichiers page 55.