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Le nouveau projet de taxe sur l'EBE aboutira-t-il ?

Au commencement était le discours sur l'allègement des charges pesant sur les entreprises. A l'arrivée on n'aura jamais vu un tel divorce entre le discours et la réalité. A preuve la cascade des charges s'abattant sur les entreprises, et en dernier ce nouveau projet de taxe sur l'EBE, projet tellement choquant – anti économique, précédé d'aucune concertation ni étude d'impact, rétroactif, contraire aux engagements de l'État, peut-être anticonstitutionnel - qu'on peut raisonnablement se demander s'il dépassera le stade de l'annonce -et espérer qu'il ne le fasse pas.

Aux dernières nouvelles, la taxe serait due par toutes les personnes morales soumises à l'IS et les SIIC, dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 millions d'euros, sachant que ce seuil s'apprécie au niveau du groupe fiscal pour toutes les entreprises faisant partie d'un tel groupe. Le taux serait de 1,15%, et la taxe, non déductible de l'IS, serait due à partir des périodes d'imposition s'achevant au 31 décembre 2013.

[( Qu'est-ce que l'EBE ?

L'excédent brut d'exploitation ou EBE se calcule à partir de la valeur ajoutée, ou VA. En France en 2012 (chiffres INSEE), la VA (valeur de la production moins les consommations intermédiaires) s'est montée à 1.820 milliards d'euros et son partage était le suivant :

  • Rémunération des salariés (charges comprises) : 59,6%
  • Impôts sur la production : 5%
  • Subventions reçues : 1,3%
  • Revenu mixte (entreprises individuelles) : 6,8%
  • EBE : 29,9% (soit 544 milliards).

L'EBE s'obtient en retranchant de la VA la rémunération des salariés et les impôts sur la production, et en ajoutant les subventions. Il se calcule donc avant prise en compte des charges et produits financiers, des provisions et des amortissements.)]

Un projet anti économique.

En la calculant avant prise en compte des charges et produits financiers (c'est-à-dire du coût du financement de l'entreprise), des provisions et des amortissements, la taxe inciterait évidemment les entreprises à restreindre encore leurs investissements et leur besoin en financement. Déjà très bas par comparaison à celui des autres pays, le taux de marge des entreprises françaises, dont la faiblesse est rendue responsable du manque de dynamisme et de compétitivité de ces dernières, serait donc baissé de 29,9% à 29,56% sur la base d'une taxe de 1,15% [1].

Un projet improvisé et qui plus est rétroactif.

« Sorti du chapeau » brutalement, ce projet surprend les entreprises qui n'ont aucunement été impliquées dans son élaboration. A ce manque de concertation s'ajoute l'absence d'étude d'impact, hélas habituelle en France où on ne se préoccupe de l'efficacité d'une mesure qu'a posteriori, longtemps après son entrée en vigueur. L'effet de surprise, et donc le sentiment toujours grandissant d'instabilité fiscale, s'accroît du fait que la taxe serait rétroactive, s'appliquant à l'exercice 2013 (ce qu'on appelle la « petite rétroactivité »).

Un projet contraire aux « engagements » de l'État.

Certes, les discours de l'État ne peuvent être pris pour des engagements (sauf pour ceux qui les écoutent…). Néanmoins l'État serine sans cesse aux entreprises que le temps est venu de faire une « pause », et l'idée était de remplacer l'IFA (impôt forfaitaire) et la C3S par cet impôt sur l'EBE. Or si l'IFA sera bien supprimé, comme prévu de longue date d'ailleurs, son rendement n'était guère que de 600 millions d'euros, et la C3S, dont le rendement est quant à lui de 5,2 milliards, sera maintenue, tout au moins en 2014. Finalement, la taxe sur l'EBE devrait rapporter à l'État, selon le Medef, 2,5 milliards de plus que la suppression de la seule IFA. [2] Ce n'est évidemment pas ce que les entreprises étaient en droit d'attendre.

Un projet anticonstitutionnel ?

Exclure de l'application de la taxe les entreprises de moins d'un certain chiffre d'affaires n'est pas contraire à la Constitution, le Conseil constitutionnel ayant toujours affirmé que les différences de traitement fiscal étaient légales pour autant qu'elles concernaient des contribuables placés dans des conditions différentes et qu'elles répondaient à l'objectif voulu par le législateur (voir par exemple sur ce dernier point la décision du Conseil relative à la taxe carbone). Ici, toutes les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions d'euros ne seraient pas placées dans les mêmes conditions puisque la taxe s'appliquerait à celles d'entre elles faisant partie d'un groupe fiscal. D'une part on ne voit pas à quel titre cette dernière distinction est conforme à l'objectif voulu par le législateur, qui est seulement d'opérer une distinction en fonction du chiffre d'affaires. D'autre part il y a manifestement distorsion de concurrence, tout au moins du point de vue national, entre différentes entreprises en raison de la seule particularité touchant à la détention de leur capital, ce qui n'est manifestement pas justifié.

[*En résumé*], voici un projet qui n'a d'autre but que d'améliorer le renflouement des finances toujours aussi déficitaires de l'État, et ce par la création d'un nouvel impôt, donc par une nouvelle complexification du système fiscal. Et rappelons-nous par exemple qu'à la création de la CSG en 1990, son taux n'était lui aussi que de… 1,1% ! Simple coïncidence ? Espérons que la taxe ne verra jamais le jour.

[1] Voir pour l'appréciation de l'ENE par rapport à l'EBE la note du Trésor n°88 de juin 2011, http://www.tresor.economie.gouv.fr/...

[2] L'EBE représentant 544 milliards, un taux de 1,15% sur la totalité des entreprises rapporterait 6,2 milliards, mais on sait qu'il faut exclure les entreprises de moins de 50 millions de chiffre d'affaires, du moins celles qui ne font pas partie d'un groupe fiscal dont le CA atteint ce chiffre. En 2010, les entreprises de plus de 50 millions de CA, soit les grandes entreprises et les ETI, réalisaient 56% de la totalité de la VA des entreprises.