Le Monde | Mettons la fiscalité au service des sociétés créatrices d'emplois
La révolte gronde contre le projet de budget 2013. Les dernières mesures annoncées ont été le détonateur. Les créateurs de start-up ne veulent plus être pris pour des "pigeons" et ils ont raison. Pourtant, le gouvernement n'avait eu de cesse de les rassurer : les petites et moyennes entreprises (PME) ne seraient pas touchées par ce budget, toutes les mesures en leur faveur seraient maintenues. Pourtant le gouvernement touche bel et bien au financement de ces PME, et même des entreprises de taille intermédiaire, quand il soumet au barème de l'impôt sur le revenu les plus-values de cessions d'entreprises et les dividendes.
[(Cette tribune est parue dans Le Monde le 5 octobre 2012. )]
Qui va continuer à garder des parts dans des entreprises françaises de petite ou moyenne taille pour une rémunération de l'investissement inférieure à un placement en assurance-vie ? Les jeunes investisseurs ou entrepreneurs qui ne bénéficient pas d'exonération des plus-values pour cause de départ en retraite – et qui ne peuvent réinvestir 80 % du fruit de la vente dans des investissements entrepreneuriaux à hauts risques – vont se trouver imposés, pour les plus hautes tranches, non plus à 35 % mais à 60 %. Tout part de l'idée fausse qu'il faudrait, pour être juste, taxer le capital comme le travail alors que nos voisins européens ne le font pas.
En Allemagne, par exemple, les revenus du capital sont taxés à 26,4 %. Taxer le capital comme le travail va dégoûter créateurs et investisseurs et aura pour seul résultat de créer plus de chômage. A contrario de cette position, le président Obama a signé en 2010 le "Small Business Jobs Act", qui exonère d'impôt les plus-values réalisées par des investissements dans des entreprises dont les actifs sont inférieurs à 50 millions de dollars (38,5 millions d'euros).
C'est une autre vision des choses qui reconnaît que, sans incitation fiscale forte, il ne peut y avoir d'investissement vers les start-up et vers les emplois de demain. Une vision qui reconnaît que ces investisseurs ne gagnent pas d'argent "en dormant". Ils en gagnent en anticipant les besoins de demain, en étant de vrais éclaireurs de l'économie. Mark Zuckerberg n'aurait pu créer Facebook sans le financement d'un premier business angel de 37 ans qui mit 500 000 dollars dans son projet. Face à la révolte des jeunes entrepreneurs, le gouvernement est prêt à amender son texte sur la taxation des revenus de cessions.
C'est bien, mais cela ne suffira pas. Cela calmera la gronde mais ne résoudra pas le problème du manque de start-up en France. Toutes les mesures qui ont été prises ces dernières années (SARL à 1 euro, autoentrepreneur) sont des mesures qui favorisent la création d'entreprises non créatrices d'emplois. Alors même que la multiplication des entreprises de croissance peut être favorisée par une fiscalité intelligente drainant les investissements vers les entreprises créatrices d'emplois. L'ISF-PME a été conservé et c'est bien. Quant à l'incitation à investir dans une start-up une part du montant que l'on serait amené à payer en impôt sur le revenu, elle est victime d'un plafond global trop bas. Dans le même temps, l'incitation fiscale à investir dans les départements d'outre-mer n'est pas concernée par ce plafond, alors que cela devrait être l'inverse.
Tout ce qui permet de mettre notre fiscalité au service de la création d'entreprises et d'emplois devrait être d'actualité. Le gouvernement semble faire le pari non des investisseurs privés mais de la Banque publique d'investissement (BPI). Mais pour l'instant, celle-ci n'a pas défini sa cible : PME innovante, entreprises en difficulté, grandes entreprises ? Un point est certain : la BPI ne pourra pas financer toutes les entreprises françaises et sûrement pas les projets à très haut risque.
Nous avons plus que jamais besoin d'investisseurs pour nos jeunes et nos moins jeunes entreprises. Pour transformer nos plus riches en investisseurs dans les start-up plutôt que dans les DOM ou dans des œuvres d'art, c'est toute l'approche de l'administration fiscale et du gouvernement qu'il conviendrait de changer. Il faudrait dire aux business angels qu'ils sont exonérés d'impôt sur les plus-values (même s'ils n'ont pas l'âge de la retraite).
Il faut enfin dire à ceux qui vont payer la taxe de 75 % au-delà de 1 million d'euros de revenu que, s'ils investissent dans des entreprises de croissance une part significative de leur revenu, ils seront exonérés de cette taxe. Si nous voulons créer des emplois, la dynamique entrepreneuriale doit être libérée.