Le gouffre de nos finances publiques, ce thème crucial absent de la campagne
Si l’état des finances publiques de la France était dans la moyenne des pays de la zone euro, nos dépenses seraient inférieures de 211 milliards, nos prélèvements obligatoires de 141 milliards et notre dette de près de 500 milliards d’euros.
Tous les ans, l’ensemble des administrations publiques a besoin de 300 milliards d’euros, en partie empruntés sur les marchés et auprès d’investisseurs étrangers, entre les nouvelles dettes et les dettes anciennes qu’il faut refinancer pour faire tourner la maison France. À l’heure où les taux sur la dette française remontent et où la charge de la dette gonfle sensiblement, il va falloir plus que promettre. Il va falloir agir.
Ces dernières décennies, nous avons connu plusieurs couleurs de gouvernements. Mais tous ont dépensé sans compter et les impôts ont très peu baissé. Reste une approche jamais testée: baisser les dépenses et les impôts en même temps. Cela ne fait pas plaisir. Il est plus facile de sortir tous les jours le chéquier pour faire des milliards de promesses et escamoter les vrais débats. Une fois des élections passées réapparaîtra aussitôt le gouffre de nos finances publiques. Problème: les deux programmes en lice ne semblent pas avoir pris la mesure de l’équation budgétaire extrêmement ardue qui va se présenter.
Chez Emmanuel Macron, ce qui surprend le plus est qu’il propose peu de baisses d’impôts (suppression de la CVAE, la cotisationsur la valeur ajoutée, impôt local sur les entreprises, et baisse des impôts de successions), pas mal de rabotages des niches fiscales et sociales non identifiées, ce qui augmente les impôts (15 milliards), et peu de baisses de dépenses (sur les retraites avec le report de l’âge et 10 milliards d’économies sur les collectivités locales). Tout l’équilibre du programme repose donc sur ces économies sur les pensions et les collectivités locales à condition que les mesures soient vraiment appliquées… et qu’elles ne soient pas compensées par la multiplication des propositions de dépenses lors de cette dernière ligne droite (chèque alimentation, etc.)
Du côté de Marine Le Pen, figurent à la fois des baisses d’impôts (notamment sur les impôts de production) et des hausses (remise en place d’un ISF sur les investissements entrepreneuriaux). En face, les propositions de baisses des dépenses publiques se concentrent sur la mise en place d’une préférence nationale sur les prestations sociales (estimée à 20 milliards par la candidate mais difficile à chiffrer en réalité). La candidate propose également des hausses de dépenses très importantes avec la renationalisation des autoroutes et la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans (une trentaine de milliards d’euros en tout).
Aucun des deux programmes ne fait vraiment baisser suffisamment les impôts et les dépenses. Ce sera pourtant essentiel, quelle que soit la majorité au pouvoir.
Or, dans l’évaluation économétrique que la Fondation iFRAP a menée (avec le modèle Nemesis), dans l’hypothèse d’un second quinquennat d’Emmanuel Macron, la France serait toujours à plus de 80 milliards d’euros de déficit public en 2027 et, dans l’hypothèse d’un quinquennat de Marine Le Pen, à 147 milliards de déficit public.La dette publique atteindrait 3 735 milliards avec Marine Le Pen et 3 527 milliards avec Emmanuel Macron. Le déficit commercial de la France serait à 85 milliards d’euros en 2027 avec Emmanuel Macron et à 91 milliards d’euros avec Marine Le Pen. Bref, une gestion budgétaire au fil de l’eau alors que le redressement de nos finances publiques va s’imposer à nous.
Et ce d’autant plus que la période d’anesthésie bénie des politiques où ils pouvaient dépenser toujours plus sans alourdir le coût de la dette est terminée. La «boule de neige» de la charge de la dette va inexorablement nous rattraper. La réalité est que la France a bénéficié de beaucoup de sursis: l’action de la Banque centrale européenne (rachat de dettes publiques, taux à zéro) a permis de limiter les conséquences de notre endettement mais les alertes sur les comptes sont nombreuses. Et le Haut Conseil des finances publiques appelle désormais clairement à la «plus grande vigilance sur la soutenabilité à moyen terme des finances publiques».
En somme, la situation n’est pas soutenable. Forts de ce constat, plutôt que d’adopter la position de l’autruche, reconnaissons que redresser nos finances publiques c’est regagner la liberté et la souveraineté de la France et mettons au point un plan d’économies de dépenses publiques d’au moins 80 milliards d’euros par an sachant qu’il faudra injecter près de 40 milliards de dépenses régaliennes supplémentaires (sécurité, justice, défense). Ces baisses de dépenses doivent être associées à une baisse des prélèvements obligatoires de 66 milliards d’euros (avec notamment une baisse de 25 milliards des impôts de production). Les économies sont simples à trouver car nous dépensons 84 milliards de plus que la moyenne des pays européens pour produire nos services publics, dont les coûts d’une décentralisation imparfaite qui doublonne les strates, pour au moins 36 milliards d’euros.
Avec ces mesures, selon nos évaluations, en 2030, la dette aurait baissé de 297 milliards d’euros. Les dépenses publiques atteindraient 50 % du PIB et les prélèvements obligatoires 42 % du PIB. De quoi nous rapprocher de la moyenne de la zone euro. Le solde public avant charge de la dette redeviendrait positif. Le solde commercial serait quasiment à l’équilibre. Le nombre d’emplois supplémentaires dans le secteur marchand atteindrait 2,25 millions.
Bref, il n’est pas trop tard pour la France, à condition de faire preuve de clarté et de courage. Ne baissons pas les bras en répétant «jusqu’ici tout va bien» tout en pestant sur la vacuité des débats de la présidentielle. Il demeure possible d’assainir nos finances publiques tout en arrêtant la politique des promesses non financées et du chéquier et en favorisant les baisses d’impôts pérennes pour la compétitivité de nos entreprises, la création des emplois marchands. Et de l’inscrire dans la durée via un frein à l’endettement dans la Constitution. On arrêterait le décrochage. Chiche?