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« Le coût annuel de la dette va augmenter encore plus que prévu »

ENDETTEMENT Pour financer le nécessaire réarmement de la France, il faudra faire des économies, prévient Agnès Verdier-Molinié. La directrice de la Fondation IFRAP détaille son plan de 110 milliards de baisse de dépenses d’ici 2029 dans « Face au mur ». La crise géopolitique mondiale que nous vivons oblige la France à un réarmement massif pour assurer sa sécurité. A-t-on les moyens de se convertir à une « économie de guerre », selon le terme employé par le ministre de l’Économie, Éric Lombard ?

Cet interview a été publié dans le Journal du Dimanche du 9-10 mars 2025. Les propos ont été recueillis par Aziliz le Corre.

Le réarmement de la France est nécessaire. La Fondation iFrap avait d’ailleurs alerté sur ce sujet dès 2017, insistant sur le fait qu’il fallait remonter le niveau de nos dépenses de défense à 3 % du PIB. Pour information, nous étions à 5 % de dépenses de défense dans les années 1960 et à 14 % de dépenses sociales. Nous peinons aujourd’hui à atteindre les 2 % en défense et nous avons dépassé les 31 % en dépenses de protection sociale… Atteindre les 3 %, cela veut dire passer de 50 milliards de dépenses par an à 90, voire 100.

Maintenant, nous sommes au pied du mur. Il va falloir financer cela. Ceux qui imaginent et proposent de mettre en place des dispositifs de type Livret A pour flécher l’épargne vers le financement des investissements en défense ne doivent pas pour autant imaginer que cette politique sera intégralement financée sans faire d’économies. Le président de la République a été clair, cela ne se fera pas avec de nouveaux impôts. Heureusement. Cela ne pourra pas se faire non plus uniquement avec de la dette en plus. Parce que les pays d’Europe vont se mettre de concert à emprunter plus pour financer leur effort de réarmement et parfois de relance, ce qui risque de créer une sorte d’embouteillage sur les marchés. En Allemagne, les conservateurs et les sociaux-démocrates ont annoncé mardi soir qu’ils étaient prêts à suspendre leur frein à l’endettement qui limite le déficit budgétaire annuel à 0,35 % du PIB pour les dépenses de défense, ce qui a fait bondir le taux des dettes publiques européennes. Au 6 mars, nous sommes en France sur la dette à 10 ans, à 3,53 %. Soit le taux le plus haut atteint depuis novembre 2011 et la crise des dettes souveraines.

Le coût annuel de la dette va donc augmenter encore plus que prévu. Par ailleurs, même si nous empruntons de manière concertée au niveau européen, cela reste la France qui s’endette d’une manière ou d’une autre, soit en direct soit via sa participation au budget européen, ce qui creusera aussi son déficit à terme. Il faudra donc réaliser des économies pour financer ces choix nécessaires. C’est là que le plan que je détaille dans Face au mur de 110 milliards de baisse de dépenses d’ici 2029 devient encore plus stratégique pour la France.

Fin décembre 2024, selon la Banque de France, 55 % de la dette publique française étaient détenus par des étrangers, affirmez-vous. Qui sont les créanciers de l’État français ? Cette internationalisation met-elle en danger notre souveraineté ?

La connaissance des détenteurs de la dette française est cruciale si l’on veut écarter tout soupçon d’éventuelles opérations malveillantes ou coordonnées à notre égard. En juin 2024, la dette française était détenue par des non-résidents à hauteur de 54,6 %. Fin 2023 (dernière information consolidée connue), les non-résidents hors zone euro représentaient 29 % de la dette détenue contre 23 % pour les non-résidents en zone euro.

Les créanciers de l’État français sont des assurances, des fonds (OPCVM et autres), des banques centrales étrangères, etc., mais, assez curieusement, il n’existe pas de publications permettant de recouper zones géographiques et institutions, ce qui nous permettrait d’en savoir plus sur la nature et les volumes possédés par ces détenteurs, contrairement aux statistiques du Trésor américain. Et c’est bien dommage. D’autant plus que de nombreux parlementaires ont demandé et demandent encore ces informations. Mais Bercy a toujours fermé la porte. De surcroît, si l’on prend la dette à court terme comme je le détaille dans mon livre, 83,4 % de cet endettement se fait auprès de non-résidents. Ce qui est énorme ! Nous avons d’ailleurs presque doublé en milliards la part de dette à court terme depuis l’avant-Covid.

Le gouverneur de la Banque de France a balayé le risque de récession pour 2025, néanmoins il souligne un ralentissement de l’économie. Comment relancer notre compétitivité et notre croissance ?

Le ralentissement de l’économie est clairement sous nos yeux. La Banque de France estime que l’activité va progresser légèrement au premier trimestre 2025, de 0,1 % à 0,2 %. Et pour 2025, les prévisions sont de 0,9 % de croissance. Nous sommes en croissance molle. Très molle. Et ce, en grande partie à cause de la dissolution anachronique décidée par le président de la République alors qu’il aurait dû créer une vraie coalition comme ailleurs en Europe depuis les élections de 2022.

Quelle serait la croissance 2025 si la dissolution n’avait pas eu lieu ?

Vraisemblablement autour de 1,4 % si l’on se réfère à la prévision de l’UE antérieure à la dissolution. Selon le baromètre Bpifrance de novembre 2024, post-dissolution, 65 % des patrons de TPE et PME ont repoussé ou annulé leurs investissements, et 55 % ont fait de même pour les embauches. Pour relancer notre compétitivité et notre croissance, il faut faire l’exact inverse de ce qu’il y a dans la loi de finances 2025 qui augmente en valeur les dépenses de 40 milliards d’euros et les impôts de 50 milliards… Donc baisser les dépenses publiques et baisser les impôts en priorité sur les entreprises et les entrepreneurs. Plus des nouvelles taxes, des suppressions de niches fiscales ou des contraintes sur les entreprises et les entrepreneurs seront adoptées, plus la compétitivité sera entamée, plus l’activité s’étiolera, plus le chômage montera. L’annonce par le gouvernement de la création d’une sorte de nouvel ISF pour 2026, à 0,5 % du patrimoine, va d’ailleurs dans la plus mauvaise direction. Si cela est vraiment appliqué, cela contribuera à faire partir de France encore plus d’entrepreneurs et d’entreprises.

« Il faut baisser les taxes qui pèsent sur l’industrie » Le constat est aujourd’hui fait que la désindustrialisation progresse à nouveau du fait du climat d’incertitude engendré par la situation politique. D’après Trendeo, le solde des ouvertures de sites (diminué des fermetures) devrait redevenir négatif en 2024, une première depuis 2016…

Oui, nous avons eu quelques bonnes années avec une réindustrialisation qui pointait son nez. Et 130 000 emplois industriels créés depuis 2017. C’était un bon frémissement. Et patatras, toujours à cause de ce problème de triple instabilité politique, normative et fiscale que nous connaissons, les investissements industriels en France ont baissé, en 2024, de 10 % selon le baromètre du cabinet Trendeo alors que, dans l’Union européenne, les investissements industriels ont augmenté, en 2024, de 12 %. Sans parler des États-Unis où ils ont augmenté de 36 % l’an dernier ! Et, effectivement, pour la première fois depuis 2019, le solde net d’ouvertures d’usines a baissé : la différence entre les ouvertures et les fermetures se chiffre à - 15. Il est clairement temps de sortir du déni et d’ouvrir aussi les yeux face à ce mur de la désindustrialisation. Cela demande de baisser les taxes de production qui pèsent sur notre industrie, mais aussi de supprimer les normes qui les étouffent. On peut penser à la réglementation CSRD ( j’y consacre un chapitre dans le livre), mais aussi à la date de 2035 pour l’interdiction des véhicules thermiques. Ce n’est pas alléger qu’il faut faire, mais supprimer.