Le choc de confiance fiscal est devant nous !
La France est officiellement entrée en récession au premier trimestre 2013, avec -0,2% du PIB. Cette dégradation était sans doute prévisible si l'on en croit les indicateurs relatifs aux particuliers et aux entreprises récemment publiés pour 2012. Dans ces conditions, la tentation est forte de vouloir encore serrer la vis et de faire la chasse à l'évasion fiscale. C'est la solution de facilité car elle permet de joindre ostensiblement le combat pour la préservation des ressources publiques et du pacte social républicain avec l'engagement de retour à l'équilibre de nos finances publiques. C'est dans ce cadre qu'a été déposé récemment sur le bureau de l'Assemblée national, le Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière [1]. Un projet qui vise, on l'aura compris, principalement le financement de la criminalité organisée, ce dont un peut par principe se féliciter. Il ne faudrait pas cependant, que ce projet serve d'écran à des questions de fond beaucoup plus lourdes : face à la dégradation de nos comptes publics, l'urgence est bien plutôt à l'adoption d'un tournant fiscal rigoureusement pro-business afin de doper le retour de la croissance.
1. La loi relative à la lutte contre la fraude fiscale ne doit pas servir de paravent
Le rapport préparatoire (et non publié) du groupe de travail du groupe socialiste à l'Assemblée nationale sous l'égide de Yann Galut avait donné le ton : il faut désormais renforcer sensiblement les moyens d'enquête et de contrôle des services fiscaux dans la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière. Une lacune « volontaire » a voulu que le contenu technique de ce rapport n'ait pas été rendu public, mais qu'il ait nourri les dispositions du projet de loi actuellement déposé au palais Bourbon, ainsi que d'éventuels amendements qui interviendront dans le cours de la discussion parlementaire.
Il s'agit avant tout pour les pouvoirs publics de tirer les conséquences des derniers rapports sur l'évasion et la fraude fiscale [2] … dont l'un des premiers effets a été de renforcer les « fantasmes » autour des avoirs de ressortissants français à l'étranger et de leur potentielle productivité fiscale afin d'augmenter substantiellement les recettes publiques. Les chiffres qui circulent en effet sont tout à la fois gigantesques et source de confusion : il y a tout d'abord la « fraude », évaluée dans une fourchette haute par le SNSFP qui entraînerait un « manque à gagner annuel global » évalué entre 60 et 80 milliards d'euros [3]. Il y a ensuite, le montant théorique des avoirs français non déclarés placés à l'étranger. Un récent ouvrage en extrapole le montant à 590 milliards d'euros [4]. Il n'en faut pas plus pour faire miroiter aux pouvoirs publics en période de vaches maigres un renforcement important de productivité de ses propres services fiscaux : « et si ces sommes étaient restées en France, et si ces capitaux étaient fiscalisés aux montants actuellement en vigueur ? ». Les pouvoirs publics cherchent donc par tous les moyens à « congeler » les assiettes fiscales avec des dispositifs bien connus :
en agissant tout d'abord sur les impôts eux-mêmes, mais cette approche connaît ses propres limites en se traduisant par une « productivité » des nouveaux dispositifs décroissante à mesure que la pression se renforce (les agents adaptant leurs comportements en connaissance de cause) : exit taxe, dissuasion des renforcements de contrôles fiscaux tous azimuts, mesures temporaires permettant des effets de trésorerie et d'amortissement des oscillations de recettes (limitation des reports de déficits, acomptes exceptionnels d'impôt sur les sociétés, taxe sectorielle sur le secteur de l'assurance, etc.) ;
soit en cherchant à repousser cette limite en modifiant l'environnement juridique au sein duquel la fiscalité opère : c'est la question du renforcement de l'effectivité du contrôle fiscal, dont nous avons pu montrer la « modernisation » au Royaume-Uni, ce qui ne passe pas paradoxalement par une fuite vers le tout répressif. C'est pourtant ce que vise l'actuel projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
L'arsenal figure désormais en toutes lettres au sein des articles 3 à 10 du projet de loi. Désormais, en cas de fraude fiscale aggravée (comprendre, toute fraude sciemment commise étant donné l'acception potentiellement fort large donnée à l'article 1741 du CGI (est-elle aggravée s'il elle résulte d'un simple « montage » successoral transfrontalier ?)), des dispositions dignes du renseignement fiscal figurent expressément dans le projet de loi, sous le vocable de « techniques spéciales d'enquêtes ». Il s'agit en réalité de l'extrapolation au domaine fiscal, d'incriminations qui figuraient originellement dans le cadre de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et visant spécifiquement la criminalité et la délinquance organisées et plus particulièrement le trafic de stupéfiants :
Surveillance et infiltrations (articles 706-80 à -87 du code de procédure pénale) ;
Garde à vue d'un maximum de quatre jours (article 706-88 du même code) ;
Interceptions de correspondances téléphoniques au stade de l'enquête, sonorisation et fixations d'images de certains lieux et véhicules, captation des données informatiques, saisies conservatoires (articles 706-95, -96 et -102-103 du même code) ;
Une allusion indirecte à l'introduction en France d'une alerte éthique fiscale à l'anglo-saxonne (Tax Whistleblowing), par la sécurisation juridique des preuves illégalement obtenues.
Sur ce dernier point, il n'aura échappé à personne, comme nous l'avons d'ailleurs déjà relevé, qu'il s'agit ni plus ni moins que de casser la jurisprudence de la cour d'appel de Paris (ordonnance du 8 février 2011) et de la Cour de cassation (arrêt d'assemblée plénière, 7 janvier 2011).
Le problème est que l'on ne peut sans doute pas impunément s'affranchir, même au nom de la lutte contre la fraude, de la licéité de la preuve, d'autant que les « techniques spéciales d'enquête » supposent l'inscription dans une procédure de contrôle juridictionnel renforcé : saisie du procureur de la République et en l'espèce celle du nouveau parquet financier à compétence nationale (article 15 et 16 du projet de loi), ce qui fait entrer tout de même chaque prévenu potentiel dans un dispositif d'exception.
La Fondation iFRAP espère que la mise en place de ces mesures s'accompagnera d'une appréciation stricte de la qualification de fraude fiscale aggravée, au besoin par amendement, en évitant autant que possible la fuite en avant que constituerait un chantage à la criminalisation du contrôle fiscal.
2. Les limites au « tout répressif » fiscal, fondements de la confiance fiscale
Le problème c'est que la question ne se pose pas seulement en termes de traque tous azimuts des fraudeurs. Le renforcement du contrôle fiscal doit passer par un saut technologique bien plus qu'un saut juridique. En effet, il est démontré que le coût du renforcement du contrôle fiscal évolue de façon inversement proportionnelle à sa productivité réelle. En conséquence, celui-ci sera très rapidement prohibitif bien avant que les sommes éludées ne soient effectivement récupérées. Afin de dépasser cette difficulté structurelle les pouvoirs publics ont plusieurs leviers à leur disposition, outre le renforcement de l'arsenal légal :
1-Développer le data mining et le traitement des mass data ;
2-Améliorer la performance du contrôle par une élévation des standards internationaux ;
3-Mettre en place une loi d'amnistie fiscale moyennant une imposition forfaitaire des capitaux rapatriés [5] ;
4-ou alternative, mettre en place comme semble l'envisager actuellement le gouvernement (mais non inscrit dans le projet de loi), une nouvelle cellule de régularisation des avoirs à l'étranger [6] assortie de la possibilité désormais « classique » de proposer aux candidats à la régularisation un « devis fiscal » anonyme assorti de pénalités ajustées ;
5-La voie du pragmatisme, enfin, qui a jusqu'à présent toujours été refusée par la France au nom de la morale, parce qu'elle a toujours craint le manque de cohérence avec le principe d'échange automatique d'information, et qu'elle ne l'a jamais pensé en complément d'une refonte pro-business de sa fiscalité interne. C'est la voie qui a pourtant été tentée avec succès par le Royaume-Uni, qui cumule les avantages du système Rubik avec la Suisse, l'échange automatique d'information avec ses territoires ultramarins et la mise en place de taux d'IS attractifs pour ses entreprises.
La France, suit avec plus ou moins de bonheur les stratégies développées aux points 1, 2 et 4. S'agissant du data mining et du mass data, ce sont les enjeux technologiques en cours autour du projet de « relation de confiance » pré-déclarative pour les entreprises. Mais la technologie n'est pas encore prête et les expériences développées à l'étranger, au Royaume-Uni comme au Canada, ne seront pas développées dans notre pays avant plusieurs années.
L'amélioration des standards internationaux, c'est l'initiative que la France souhaite privilégier dans le cadre de la mise en place d'un dispositif d'échange renforcé d'information dans le cadre de l'OCDE [7] et du G20. L'initiative semble porter ses fruits, avec les retournements récents du Luxembourg, des overseas territories britanniques avec Londres et Singapour, et le récent mandat obtenu par le commissaire européen Algirdas Semeta pour négocier avec les états associés à l'Union européenne et la Suisse. Mais la Fondation iFRAP estime que cette stratégie est beaucoup moins productive que celle développée par l'initiative Rubik mise en place avec la Suisse, qui permet de toucher de l'argent frais immédiatement sur une base annuelle, et ne fait pas dépendre les futures régularisations de l'activisme seul de ses propres services fiscaux.
En réalité, l'effet rapide sur le plan fiscal d'un changement du cadre d'évolution de notre fiscalité devrait accepter de faire céder la morale sur l'autel du pragmatisme en conjuguant les effets productifs rapidement. La Fondation iFRAP propose de :
mettre en place une loi d'amnistie fiscale, moyennant un taux de régularisation forfaitaire fixe de 5% par exemple, afin de solder le passif des individus souhaitant « régulariser ». Cette approche pourrait opportunément se doubler des bénéfices de la recréation d'une cellule de régularisation, notamment avec l'approche du « devis fiscal » anonymisé. C'est la solution la plus prudente et la plus massive qui pourrait faire rentrer rapidement plusieurs dizaines de milliards d'euros et rapporter tout de suite quelques centaines de millions d'euros l'année de régularisation et sans doute beaucoup plus au-delà ;
tirer parti de la perspective de l'échange automatique d'information pour les juridictions extra-européennes tout en recherchant l'effet de trésorerie procuré par le prélèvement à la source en Suisse. Là encore, et cette fois-ci chaque année, les capitaux « évadés durablement » pourraient ainsi produire un revenu immédiat.
Le couplage de ces deux dispositifs pourrait permettre puissamment de conjoindre le bénéfice d'une incitation à un retour massif de capitaux, sécurisés juridiquement, tout en promouvant un traitement différenciés entre avoirs localisés en Europe et significativement en Suisse qui seraient dès lors mobilisables et mobilisés, tout en luttant activement contre les juridictions off-shore extra-européennes qui ne sont pas par définition signataires d'un dispositif d'imposition libératoire à la source. Ce déploiement simultané devrait permettre au Mass data de monter en puissance, afin de réussir le saut technologique attendu, mais pas les conditions actuelles imposées par l'actuel projet de relation de confiance qui devrait être proposé d'abord aux jeunes entreprises innovantes qui n'ont pas encore de « passé fiscal » important. Cela permettrait d'ailleurs de faire monter le système en puissance.
Enfin s'engager de façon volontariste et trans-partisane à l'introduction dans notre constitution d'un bouclier fiscal selon un taux à définir mais qui devrait être compris entre 50 et 70% ISF compris et taxes locales incluses [8]. Seule cette inscription permettrait de faire prendre conscience à nos exilés fiscaux, que quelque chose à changé dans la protection du contribuable en France, et surtout qu'il existe un vade-mecum objectif à l'instabilité chronique de notre système fiscal.
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Créer la confiance : pour un retour du bouclier fiscal mais au niveau constitutionnel
La nécessité de l'impôt a toujours, comme le montre crûment la belle thèse d'Alexandre Mangiavillano [9] sur le contribuable et l'État, implicitement supposé pour le juge et le juge constitutionnel en particulier, d'écarter purement et simplement le droit de propriété pour rendre l'obligation fiscale pleinement applicable. Refusant de s'inscrire dans une logique de limitation du droit de propriété par l'impôt, qui supposerait que le second puisse porter atteinte au premier, les pouvoirs publics n'ont consenti que la protection du droit de propriété ne puisse intervenir que par exception au principe plus général de non contradiction entre impôt et propriété.
C'est par exemple, cette attitude qui explique que dans la création jurisprudentielle de fait d'un bouclier fiscal constitutionnel à 70%, le Conseil refuse de se prononcer sur le niveau d'imposition global du contribuable, mais uniquement sur le niveau de taxation attachée à une même assiette. Cette attitude, qui préserve encore la constitutionnalité de l'ISF, aboutit en pratique à des taux d'imposition effectifs qui peuvent être confiscatoires [10] [11]. Faute de bases juridiques suffisamment solides, la Haute juridiction ne peut pas se prononcer en l'état sur cette question in concreto, pas plus d'ailleurs que sur le risque pratique de double taxation des revenus que représente :
la taxation des revenus du capital au barème de l'impôt sur le revenu (ce qui nie l'existence de l'impôt risque qui devrait conduire à une imposition dans une cédule spécifique (effet base) et à un taux spécifique (effet taux plus faible que le taux marginal au barème qui milite pour la proportionnalité comme dans la plupart des autres pays d'Europe et surtout nordiques)).
Le risque lié à un effet de double imposition des dividendes (ce qui avait en son temps justifié l'abattement de 50% sur les dividendes distribués en 2005, en remplacement de la suppression de l'avoir fiscal compensant la fiscalisation des dividendes distribués dans les sociétés ayant déjà subi l'IS)
On le voit, la démarche est contournée. Elle l'est dans ses fondements parce qu'elle oppose le citoyen-contribuable agent et produit de la volonté générale rousseauiste, à la liberté individuelle qui est garante du droit de propriété. Aussi l'auteur explicite-t-il fort bien les difficultés générées par ses prémices. D'une part, la créance fiscale expression de la faculté d'imposer est en droit interne transcendante au droit de propriété car elle est première et le cantonne. D'autre part, il faut bien constater que cette argumentation ne tient plus vraiment sur le plan international, en nous plaçant nécessairement en porte-à-faux avec la jurisprudence actuelle de la CEDH (cour européenne des droits de l'homme) qui elle a au contraire une lecture très extensive du respect de la propriété, et pour laquelle le contribuable (tout comme son pendant communautaire la CJUE) est de moins en moins citoyen et de plus en plus individu garanti dans ses droits (statut des non-résidents, des étrangers résidents, et des situations transfrontalières pour ne pas parler de l'internationalisation des personnes morales). Tout milite donc pour l'inscription dans la constitution d'un bouclier fiscal pour les particuliers qui contribuerait à renforcer la stabilité et la confiance donc le civisme fiscal au-delà de la citoyenneté elle-même. Imposer une limite constitutionnelle à la volonté politique démocratique, n'est pas une atteinte à sa liberté fondamentale (en dehors des situations d'exception). C'est la condition et l'expression d'une maturité institutionnelle pleinement accomplie qui choisit librement de s'auto-limiter. )]
[1] Disponible sur le site de l'Assemblée nationale, http://www.assemblee-nationale.fr/1.... On remarquera au surplus que l'étude d'impact jointe au projet de loi ne propose aucun chiffre, ni sur la « productivité » fiscale espérée des mesures proposées, ni sur l'impact budgétaire de la mise en place d'un parquet financier unifié (que l'on doit en conséquence envisager comme budgété à coûts constants).
[2] Consulter notamment, le rapport du Sénateur Alain Bocquet, tome 1 et 2, juillet 2012 , sur l'aspect fraude, les récents développements rapportés par le Figaro ainsi que le rapport de janvier 2013 du syndicat national Solidaires finances publiques.
[3] SNFFP op.cit, p.17.
[4] Antoine Peillon, Ces 600 milliards qui manquent à la France, Point Seuil, 2012, en particulier p.32 et 33.
[5] Se reporter, pour une illustration récente, à la proposition de loi suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/1...
[6] Sur ce point, voir, R. Legendre, L'Opinion, « Le gouvernement prêt à faciliter le retour des avoirs illégaux des évadés fiscaux », 15 mai 2013.
[7] Voir dans ce cadre le rapport publié le 12 février 2013 par l'OCDE, Lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices.
[8] Il n'y a pas de raison, même en cas de remise à plat plus profonde de notre fiscalité et de redistribution des responsabilités financières entre l'État et les collectivités locales, que ce soit en définitive le montant total des cotisations fiscales réellement appréhendées qui soit pris en compte.
[9] A. Mangiavillano, Le contribuable et l'État, l'impôt et la garantie constitutionnelle de la propriété (Allemagne-France), Dalloz, Paris, avril 2013.
[10] Voir en ce sens la question posée par Gilles Carrez au ministre du budget (en son temps Jérome Cahuzac), sur le point de savoir combien de contribuables étaient astreints à des cotisations d'impôt supérieures à 75% de leurs revenus. La réponse fournie par Bercy est que près de 11.960 foyers fiscaux ont eu des cotisations d'impôt dépassant les 75% dont 8.010 foyers voyaient leur impôt même dépasser 100% de leurs revenus 2012. Voir l'article des Echos, http://www.lesechos.fr/economie-pol...
[11] Pour une application pratique à l'ISF de cette situation exceptionnelle en 2012, voir la question 9070 de Gilles Carrez au ministre du Budget, publiée au JO le 06/11/2012 Réponse JO le 23/04/2013, http://questions.assemblee-national...