La Loi de Finances Rectificative de juillet 2012
Au-delà de sa présentation officielle qui est de "combler l'insuffisance du budget du gouvernement précédent en faisant payer les riches et empêcher leurs abus" quels sont les principes politiques que dévoile la loi de finances rectificative (LFR) pour 2012 ? La question est d'importance car il s'agit, comme la Fondation iFRAP l'a écrit récemment dans sa note "Les pistes de la Fondation iFRAP pour trouver 5 milliards d'euros en 2012", de répartir équitablement le fardeau entre baisse des dépenses (5 milliards d'euros) et recettes supplémentaires (5 milliards également). Cette logique du 50/50 impose (sachant que la réduction des dépenses sur le très court terme est un exercice particulièrement difficile) que les nouvelles ressources collectées sur les particuliers et les entreprises soient effectivement au rendez-vous, et que l'on ne sous-estime pas le pouvoir d'arbitrage des contribuables visés. C'est à cette aune qu'il convient d'évaluer les principales propositions de la LFR 2012 en cours de discussion à l'Assemblée.
1) Défaire les réformes du quinquennat du Président Sarkozy pour amorcer un effet "ressource"
La loi de finances instaure le retour à l'ancien barème de l'ISF sans aucune limitation, la suppression du report des charges patronales de la branche famille sur la TVA et l'abrogation de la loi TEPA défiscalisant et déchargeant les heures supplémentaires. La volonté de défaire les réformes, déjà annoncée par le retour partiel à la retraite à 60 ans, se poursuit puisque le gouvernement et sa majorité prennent sciemment le risque de mécontenter une partie de leur électorat bénéficiant des heures supplémentaires et d'encourir une censure constitutionnelle en créant un ISF sans aucun plafonnement. Il s'y ajoute un durcissement des droits de succession avec un allongement de 5 ans du délai de rappel fiscal dont l'effet principal est de reporter sur le quinquennat suivant la perte de recettes engendrée par ce type de mesure couperet. L'effet recettes est donc immédiat en ce qui concerne ces premières mesures fiscales et volontairement court-termistes, quitte ensuite à compléter le dispositif en second rideau (2013 ou après 2017) afin de compenser l'effet retard d'attrition de ces arbitrages : problème du coût du travail, cessions de patrimoine entre vifs, exil fiscal et conformité de l'exit tax au droit européen (à l'image des récents contentieux fiscaux sur le précompte et les OPCVM, etc.).
2) Fiscalisation des heures supplémentaires : comment rémunérer la performance
L'idée du partage de l'emploi, base des 35 heures, réapparait pour justifier le retour à la taxation des heures supplémentaires, mais elle est accompagnée de plus qu'un doublement des taxes sur toutes les annexes incitatives du salaire (épargne salariale, stock options, distribution d'actions) qui dans les entreprises performantes ne bénéficient pas qu'aux "plus aisés". C'est la satisfaction d'une vieille revendication syndicale de proscrire la rémunération au mérite dans l'entreprise comme c'est le cas en fait dans l'administration. L'avantage immédiat de la mesure reste néanmoins son effet sur les rémunérations publiques. Près de 50% des heures supplémentaires exonérées sont le fait des agents des trois fonctions publiques. Si le privé paie, le public en état de "contrainte budgétaire" devrait rogner son contingent d'heures supplémentaires afin de tenir sa masse salariale.
3) Donner aussi la prééminence à la "justice sociale" pour l'imposition des entreprises
L'impôt doit peser sur chacun en fonction de ses capacités contributives. Progressivement l'idée que l'impôt doit servir à corriger les inégalités sociales a pris le pas, pour l'imposition des particuliers, sur le principe de base que l'impôt sert à financer les services communs en nuisant le moins possible au développement de la richesse nationale. Ainsi il est connu maintenant que les pertes de recettes fiscales résultant de l'émigration d'assujettis à l'ISF dépassent les recettes de cet impôt et que son rendement économique est négatif, pourtant son aggravation sera votée ; il en sera de même pour la future tranche de taxation du revenu à 75% qui apparaît être plus une punition qu'une source de recettes si aucun mécanisme optionnel ou dérogatoire ne vient en combattre les effets les plus immédiats. La nouveauté de la loi de juillet 2012 est d'introduire ce principe de justice sociale dans l'imposition des entreprises au détriment des entreprises françaises mondialisées ; dans le régime actuel, ces entreprises payent peu d'impôt en France car elles n'y ont qu'une faible part de leur activité et souvent des activités déficitaires en raison d'un niveau de charges fiscales et sociales plus élevé en France. Comme les accords internationaux ne permettent pas de taxer les résultats des activités étrangères à la place des pays où elle s'exercent, de nouvelles taxes pesant spécifiquement sur les entreprises dont le siège social est en France sont instaurées sur les distributions de dividendes, les réserves des banques et les réserves pétrolières, ces taxes étant pour certaines non déductibles afin de ne pas réduire l'IS et de pouvoir être perçues même sur les société déficitaires en France (voir encadré). Si l'on continue dans cette voie, il y aura bientôt aussi des entreprises "exilées fiscales", à moins que la réalité des contraintes économiques extérieures et de l'impératif de compétitivité de nos entreprises ne l'emporte.
4) Attention à l'arbitrage fonds propres/sous capitalisation
Le gouvernement précédent accordait une certaine écoute aux représentants des entreprises et freinait certaines initiatives des services fiscaux pour augmenter le rendement de l'impôt en rigidifiant le système. Les mesures dites "antis abus" de la présente loi ont pour but de faire perdre aux entreprises une partie des déficits dus à la crise et de pouvoir ainsi imposer à l'IS la reconstitution des fonds propres en cas de reprise économique. Ces mesures sont dites justifiées par des rapatriements de pertes étrangères dans les multinationales, mais elles auront des conséquences dramatiques sur les PME industrielles françaises qui doivent reconstituer leurs fonds propres après la crise. En même temps la réduction des charges pesant sur les entreprises est reportée à des impositions ultérieures.
5) Avancer vers une "égalité de la taxation capital travail" sans tenir compte des prestations
Le dossier de présentation du projet de loi, pour justifier le maintien de la hausse des prélèvements sociaux sur les revenus du capital malgré l'abrogation de la hausse de TVA et de la baisse de charges patronales, compare la taxation des revenus du capital avec la totalité des impôts et charges patronales et salariales sur les salaires, y compris l'assurance santé et la retraite qui entraînent le paiement de prestations ou un salaire différé. C'est un premier pas vers une taxation des revenus du capital qui deviendra économiquement supérieure à celle des revenus du travail en cas de nouvelle hausse des prélèvements sociaux sur ces revenus.
6) Enfin cette loi contient quelques arbitrages difficilement lisibles :
à l'encontre des Français résidant à l'étranger, suppression de la prise en charge des frais de scolarité dans les établissements français (ce qui est normal et conforme aux standards internationaux, et devrait permettre de générer un financement complémentaire de 30 millions d'euros) et assujettissement des loyers perçus en France aux prélèvements sociaux (mesure contraire aux règles européennes mais le temps que ce soit jugé…), ce qui devrait s'entendre uniquement des Français choisissant de cotiser à la caisse des Français de l'étranger, et non à raison de leur nationalité.
en faveur de résidents en France, baisse de la TVA sur le spectacle vivant, gratuité des soins aux étrangers en situation irrégulière (ce qui est difficilement compatible avec notre situation financière dégradée et anticipe volontairement la justiciabilité de droits sociaux pour les personnes en situation irrégulière [1]).
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**Un cas pratique : l'influence de la loi de finances rectificative (2) de 2012 sur une entreprise
Un administrateur d'une PME provinciale de la métallurgie employant 60 personnes, nous a montré les prévisions de budget de l'entreprise pour le prochain exercice qui commencera le 1er octobre 2012 avec l'hypothèse d'une faible croissance de l'activité, vu l'environnement économique. L'exercice en cours finissant le 30 septembre 2012 aura un chiffre d'affaires de 4,6 millions d'euros et sera encore en perte d'environ 100.000 euros car la crise n'est pas finie ; la masse salariale, charges comprises, représente un peu plus de la moitié du chiffre d'affaires. Avec la législation en vigueur depuis le mois de mars dernier, l'exercice prochain aurait dû profiter du transfert sur la TVA des charges patronales de la branche famille (il n'y a pas de part salariale pour cette branche) soit 5,4% de la totalité des salaires bruts ; cet allègement de 95.000 euros aurait dû permettre à l'entreprise de revenir à l'équilibre mais il va être supprimé.
Les autres mesures déjà décidées, annoncées, ou qui vont être votées, alourdiront aussi les charges :
révision du calcul de la CFE entraînant une augmentation prévisible de 30 à 50% soit de 16 à 24.000 euros,
"coup de pouce" de 2% au SMIC qui, dans une entreprise de main-d'œuvre, impacte au minimum la moitié des salaires et charges, soit un coût de 25.000 euros.
hausse de 0,1% par an de la cotisation retraite, soit 2.000 euros la première année.
Soit au total un supplément de charges sur le prochain exercice de 43 à 51.000 euros en sus des 95.000 euros dus au maintien des cotisations famille, représentant un peu plus de 3% du chiffre d'affaires. La baisse annoncée du taux de l'IS pour les PME ne sera alors d'aucune utilité puisque l'entreprise ne fera pas de résultat !
L'entreprise a peu à attendre des mesures de relance par la consommation annoncées en France car, pour se mettre en partie à l'abri de la concurrence des producteurs chinois, elle fabrique des produits haut de gamme et ses ventes en France (60% du chiffre d'affaires) qui s'adressent à une clientèle majoritairement composée des foyers qui vont supporter aussi des hausses d'impôts.
Ainsi, il se vérifiera encore une fois qu'en France la relance par la consommation profite, pour les produits industriels, majoritairement à des produits importés des pays à bas salaires. Si elle est financée, ne serait-ce qu'en partie, par une augmentation des charges sur les entreprises de l'hexagone, il en résultera une baisse de l'emploi dans ces entreprises.
La réaction raisonnable de l'entreprise française dont nous parlons devrait être d'augmenter la sous-traitance étrangère pour compenser la hausse des charges sur les emplois en France et maintenir ses prix de revient. Ce supplément de sous-traitance à activité quasi constante, justifiera le non remplacement des départs et quelques licenciements économiques. La tentation de licencier du personnel de production sera d'autant plus forte que l'entreprise pourrait ainsi revenir en dessous du seuil de 50 salariés, ce qui allègerait les contraintes et les coûts.
Cet exemple montre qu'encore une fois l'emploi industriel sera sacrifié au pouvoir d'achat ; c'est le contraire de ce qui a été fait en Allemagne depuis 10 ans avec le résultat que l'on sait.)]
[1] Voir en particulier, Carole Nivard, La justiciabilité des droits sociaux, étude de droit conventionnel européen, Bruylant, Bruxelles, mars 2012, 830 p.