Haut Conseil des finances publiques : un budget 2022 à trous
Le Haut Conseil des finances publiques vient de publier son avis relatif au PLF et au PLFSS 2022. Et le comité budgétaire indépendant n’est pas tendre avec l’exécutif dans le cadre de la présentation de son budget. En substance, le Haut Conseil considère que l’hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement pour 2021 (+6%) est « prudente », tandis que celle pour 2022 (+4%) est « plausible ». Mais il y a beaucoup plus grave : il existe en effet des trous préoccupants :
- Les prévisions d’emploi et de masse salariale pour 2021 « ne tiennent pas compte de toutes les dernières informations disponibles, [et sont donc] trop basses », ce qui devrait induire des prélèvements obligatoires plus hauts sur 2021 et 2022 ce qui pourrait jouer en aval à la baisse sur le niveau du déficit public.
- Quant au niveau des dépenses totales, il n’est pas connu avec exhaustivité, puisque le niveau publié n’inclut pas des mesures aussi massives que le plan d’investissement 2030 (30 milliards d’euros dont sans doute entre 2 et 3 milliards dès ce budget) mais aussi revenu d’engagement (entre 1 et 2 milliards d’euros) pour 2022.
- Il en résulte que le Haut Conseil « n’est pas à ce stade en mesure de se prononcer sur la plausibilité de la prévision de déficit pour 2022 (-4,8 points de PIB) » - côté dépenses comme recettes - … Ni d’ailleurs sur celui de l’année précédente dans la mesure où la croissance des recettes étant plus importante (conjoncture au-delà de 6%, masse salariale plus haute) « le déficit public pour 2021 pourrait être moins dégradé que prévu par le Gouvernement (-8,4 points de PIB). »
- Il en résulte mécaniquement qu’il n’y a pas plus de précision à attendre du niveau d’endettement fixé respectivement à 115,6% du PIB pour 2021 et à 114% du PIB pour 2022…
Face à ces imprécisions, l’exécutif semble assez hémiplégique :
- Il reconnait le problème potentiel s’agissant du niveau définitif des recettes (notamment fiscales et sociales), mais préfère rester prudent – ce qui devrait lui donner la capacité de jouir de bonnes nouvelles au moment opportun – fin 2021, début 2022, en plein milieu de la campagne présidentielle.
- Il accepte par l’intermédiaire du ministre de l’Economie et des finances Bruno Le Maire, de proposer les nouvelles mesures dépensières (plan d’investissement et revenu d’engagement) par amendement dès la première lecture devant l’Assemblée nationale, ce qui devrait permettre au Sénat de corriger la trajectoire budgétaire au sein même du projet de loi de finances en discussion.
En conséquence, la trajectoire proposée doit être prise avec prudence et sous réserve des amendements modifiant le niveau des dépenses et d’éventuelles corrections à la hausse s’agissant des recettes.
PIB | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 |
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Nominal (Mds €) | 2 297,2 | 2 363,3 | 2 437,6 | 2 302,9 | 2 452,3 | 2 587,9 |
Evolution | 2,8 | 2,9 | 3,1 | -5,5 | 6,5 | 5,4 |
Croissance - volume | 2,3 | 1,9 | 1,8 | -7,9 | 6,0 | 4,0 |
Déflateur de PIB | 0,5 | 1,0 | 1,3 | 2,5 | 0,5 | 1,4 |
Source : INSEE, PLF 2022, calculs Fondation iFRAP septembre 2021
La croissance pour 2021 est relevée à 6% en niveau effectif contrairement au PLFR (1) 2021 qui la fixait à 5%[1]. Au niveau effectif ce montant est même estimé à 6,5% à cause d’un rehaussement du déflateur de PIB (pour tenir compte de l’inflation) qui passe de 0,3% à 0,5% entre le PLF 2021 et le PLF 2022.
Pour 2022, la croissance « rebond » de 2021 se tarirait, passant de 6% à 4%, tandis que sous l’effet de l’inflation (considérée comme conjoncturelle en phase de reprise), le déflateur de PIB s’élèverait à 1,4%. Il en résulte que la croissance effective serait attendue à 5,4% soit une baisse de seulement 1,1 point par rapport à 2021 (au lieu de 2 en volume).
Des recettes tirées par la croissance
Les recettes publiques en 2022 retrouveraient leur niveau de 2019 en volume (50,8% du PIB) mais gagneraient entre 2021 et 2022 près de 51,8 milliards d’euros, portés par le dynamisme nominal des prélèvements obligatoires.
Comme le relève le Haut Conseil « les prélèvements obligatoires progresseraient de 4,7% pour atteindre 1072,2 milliards d’euros » (hors crédits d’impôts ndlr) en 2021. Une prévision en hausse par rapport au PLFR 1 de +21 milliards, à laquelle s’additionne la croissance attendue de ces mêmes P.O. pour 2022, soit +5,5%, soit le même rythme que le PIB (soit une élasticité proche de l’unité).
En % du PIB/Milliards € | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 |
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Recettes publiques y.c. C.I. | 52,1 | 51,7 | 50,7 | 51,7 | 51,5 | 50,8 |
Nominal | 1 230,1 | 1 261,0 | 1 274,6 | 1 210,4 | 1 262,9 | 1 314,7 |
Prélèvements obligatoires y.c. C.I. | 46,2 | 46,1 | 45,1 | 45,4 | 44,8 | 44,6 |
Nominal | 1 061,7 | 1 089,4 | 1 099,9 | 1 045,5 | 1 098,6 | 1 154,2 |
Prélèvements obligatoires hors C.I. | 45,0 | 44,6 | 43,6 | 44,3 | 43,7 | 43,5 |
Nominal | 1 032,7 | 1 052,9 | 1 063,9 | 1 019,5 | 1 072,2 | 1 125,7 |
Source : INSEE, PLF 2022, calculs Fondation iFRAP septembre 2021
Hors crédits d’impôts, le niveau des P.O. baisseraient en 2022 à 43,5% contre 45% en 2017, soit -1,5 point de PIB. « Toutefois, comme la masse salariale pourrait être également plus élevée que prévu par le Gouvernement, les recettes qui en dépendent pourraient, en conséquence, être également plus élevées que dans la prévision du Gouvernement », avec effet cumulatif sur les deux années… La baisse des prélèvements obligatoires pour significative pourrait être cependant significativement plus faible qu’annoncée. En effet « La sous-estimation de la masse salariale relevée par le Haut Conseil conduit à une sous-estimation des recettes qui en dépendent (cotisations sociales, CSG, CRDS, impôt sur le revenu) et donc du montant des prélèvements obligatoires. »
Une augmentation des dépenses publiques courantes qui peut inquiéter
Bien évidemment le PLF 2022 va conserver des stigmates budgétaires de la crise. En 2021 l’augmentation des dépenses hors crédits d’impôts devrait représenter +4,8% en valeur, après une hausse historique en 2020 (+6,8%). En volume les dépenses publiques se replient de 0,9 point pour atteindre 59,9% en 2021 après 60,8% du PIB en 2020. En 2022, les dépenses publiques devraient refluer de 2% en valeur, soit -30 milliards d’euros (55,6%), en raison de la baisse des mesures de soutien et de relance, soit 29 milliards en 2022 contre 91 milliards en 2021 et 70,7 milliards d’euros en 2020.
En % du PIB et en milliards d’euros | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 |
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Dépenses publiques y.c C.I. | 56,5 | 55,6 | 55,4 | 61,6 | 60,7 | 56,4 |
En niveau | 1 298,0 | 1 315,1 | 1 349,3 | 1 419,6 | 1 489,0 | 1 460,1 |
Dépenses publiques hors C.I. | 55,1 | 54,0 | 53,8 | 60,8 | 59,9 | 55,6 |
En niveau | 1 266,2 | 1 275,4 | 1 311,1 | 1 400,7 | 1 468,9 | 1 439,0 |
Dépenses publiques hors C.I. hors mesures de soutien | 55,1 | 54,0 | 53,8 | 57,8 | 56,2 | 54,5 |
En niveau | 1 266,2 | 1 275,4 | 1 311,1 | 1 330,0 | 1 378,0 | 1 410,0 |
Source : INSEE, PLF 2022, calculs Fondation iFRAP septembre 2021
Cependant, ces baisses apparentes liées au ralentissement des mesures d’urgence et de relance montrent de façon sous-jacente une dérive très significative des dépenses courantes. Ainsi les dépenses courantes ont augmenté de 19 milliards entre 2019 et 2020, mais de 48 milliards entre 2020 et 2021 et 32 milliards d’euros entre 2021 et 2022. Pour ces derniers 32 milliards, il apparaît que 11 milliards sont à attribuer à des augmentations budgétaires incluses au sein du budget de l’Etat 2022, dont 1,7 milliard d’euros dans le cadre de la programmation militaire, 1,5 milliard correspondant au Beauvau de la sécurité, 700 millions pour la justice (incluant certainement des dispositions des Etats-Généraux de la Justice), les mesures relatives aux Harkis (300 millions d’euros). S’y ajoutent des mesures en faveur de l’enseignement scolaire (+0,7 milliard), de solidarité (+0,6 milliard), d’accès au logement (+0,5 milliard), d’hébergement d’urgence (+0,5 milliard), etc. Le Haut Conseil précise en outre que « la masse salariale de l’Etat serait relativement dynamique, en hausse de 2,3% par rapport à la prévision d’exécution 2021 ».
Il est précisé que les dépenses des ASSO (administrations de sécurité sociale) « stagneraient en valeur en 2022 », mais simplement à cause de l’arrêt des mesures de réponse à la crise sanitaire et l’activité partielle (-9,7 milliards d’euros et -3,4 milliards respectivement), ainsi que la réforme de l’assurance chômage (-1,9 milliard), tandis que les prestations retraite seraient en augmentation (revalorisation des pensions) soit +8,5 milliards, ainsi que les dépenses du Ségur de la Santé (+2,8 milliards dont +2,1 milliards liés aux rémunérations des personnels de santé). Par ailleurs l’ONDAM apparaîtrait faussement en baisse à -0,6%, mais corrigé des mesures Covid, il s’élèverait à 3,8% à cause du Ségur de la santé (1,2 point) et 2,6% net de ces éléments exceptionnels.
Or ces montants considérables comme le relève le Haut Conseil des finances publiques reste eux-mêmes incertains pour 2022 à raison des mesures complémentaires qui seront inscrites par amendement au cours de la discussion du PLF 2022, qu’il s’agisse de mesures additionnelles aux dépenses de relance (plan d’investissement 2030, +30 milliards, mais sans doute entre 3 et 4 budgétisé dès 2022) ou des mesures courantes (revenus d’engagement +1 ou 2 milliards ? - leur montant n'étant pas encore précisé -), plan compétences, etc.
L’ensemble de ces aléas en recettes comme en dépenses, rendent la détermination précise des soldes prévisionnels 2021 (en recettes) et 2022 (en recettes et en dépenses), imprécis.
Un solde structurel réel encore très élevé (-4,7%)
Dans ces conséquences le déficit public s’établirait (provisoirement) à -8,4% du PIB en 2021 et à -4,8% en 2022.
2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | |
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Déficit | -3,0 | -2,3 | -3,1 | -9,1 | -8,4 | -4,8 |
Déficit nominal | -68,0 | -54,1 | -74,7 | -209,2 | -206,0 | -124,2 |
Déficit structurel LPFP | -2,4 | -2,3 | -2,5 | -1,3 | -5,8 | -3,7 |
Déficit structurel corrigé de l'actualisation du PIB potentiel | -2,4 | -2,3 | -2,0 | -1,9 | -6,8 | -4,7 |
solde conjoncturel | -0,3 | 0,0 | 0,0 | -4,3 | -1,5 | 0,1 |
Mesures ponctuelles et temporaires | -0,2 | -0,1 | -1,0 | -2,8 | -0,1 | -0,2 |
Source : HCFP, PLF 2022, calculs Fondation iFRAP septembre 2021
Il faut noter la grande divergence existant entre le déficit structurel calculé avec la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 désormais obsolète (bien que l’actuel gouvernement n’ait pas voulu encore en faire voter une nouvelle) et celui calculé par Bercy avec actualisation du PIB potentiel pour tenir compte de l’impact de la crise. Dans ce contexte, le déficit structurel serait désormais quasiment aligné avec le solde effectif (4,7% contre 4,8%), témoignant du fait que l’écart de production (out put gap) serait lui-même d’ores et déjà refermé, la croissance potentielle retrouvant son dynamisme d’avant crise à +1,35% comme l’envisage la LPFP (mais avec un écart en niveau subsistant de -1,75%).
Il n’en reste pas moins que la non actualisation de la loi de programmation permet de minorer depuis 2 ans le déficit structurel de 1 point de PIB, ce qui conduit à rendre l’ajustement structurel et l’effort structurel d’autant plus modérés. Il en résulte qu’à compter de 2023, lorsque la clause de sauvegarde du Pacte de stabilité sera à nouveau désactivée, la France pourrait se retrouver ipso facto en situation de déficit excessif et donc dans le volet correctif (et non plus préventif) du pacte – à moins que les règles budgétaires européennes ne viennent à être modifiées dès 2022 dans le cadre de la présidence française de l’Union.
Un niveau de dette en baisse, mais dépendant du niveau du déficit public
La croissance plus élevée (6%) en 2021 qu’escompté à l’été dans le cadre du PLFR (1) 2021, permet une baisse « mécanique » de l’endettement public. Celui-ci passe ainsi de 117,2% du PIB[2] à 115,6%, soit une quasi-stabilisation par rapport à 2020 (115,1%). L’endettement fléchirait ensuite à 114% en 2022, suite à l’amélioration du solde public de 3,6 points en un an, permettant à celui-ci (-4,8%) de passer en dessous du solde stabilisant (-6,1%) contrairement à l’année précédente (-8,4% du solde effectif contre -7,2% pour le solde stabilisant).
2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | |
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Dette publique | 2 254,3 | 2 310,9 | 2 375,7 | 2 649,3 | 2 834,9 | 2 950,2 |
En volume | 98,1 | 97,8 | 97,5 | 115,0 | 115,6 | 114,0 |
Source : HCFP, PLF 2022, calculs Fondation iFRAP septembre 2021
Cependant, la dette publique en valeur croîtrait encore de 115,3 milliards d’euros (2022) par rapport à l’année précédente.
Conclusion
Le Haut Conseil des finances publiques pointe la transmission par le Gouvernement d’un budget incomplet. Cette incomplétude est mise sur le compte du délai de consultation des spécialistes pour l’allocation optimale du plan d’investissement 2030. Il est vrai que la question du niveau de croissance potentielle est très importante car celle-ci en 2022 est toujours plus basse de 1,75% par rapport à son niveau prévisionnel de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2018-2022, bien que retrouvant sa variation de moyen terme (1,35%). L’Exécutif en conclut que le Plan de relance de 100 milliards d’euros a été suffisant pour retrouver le niveau de croissance d’avant crise, mais pas son niveau de croissance potentielle, d’où l’idée de rallonger les investissements via un nouveau plan d’investissement d’avenir 2030 (PIA4 renforcé).
Le problème avec cette politique qui compte sur la croissance pour éponger la dette, c'est qu'on ne cherche pas véritablement à maîtriser les dépenses publiques… trop tôt, dit le gouvernement, renvoyant à 2023 les effets d’une modernisation des lois organiques organisant les finances publiques (LOLF et LOLFSS) avec inclusion d’une loi de dépenses que le Ministre de l’économie et des finances souhaiterait de niveau constitutionnel. Le risque, serait que ces mesures correctives interviennent beaucoup trop tard. En attendant, le niveau du déficit structurel est quasiment au niveau du solde effectif (-4,7% contre -4,8% du PIB), ce qui montre bien l’ampleur des ajustements à réaliser pour revenir à l’équilibre de nos comptes publics. Rappelons que le programme de stabilité 2021-2027 ne prévoit qu’en 2027 le retour à un déficit public sous la barre des 3% de PIB (-2,8%)[3]. Raison de plus pour endiguer une dérive des dépenses publiques courantes qui depuis 2017 évolue en moyenne de 30 milliards/an.
[1] Voir avis du Haut Conseil des finances publiques en date du 2 juin 2021, https://www.hcfp.fr/sites/default/files/2021-06/Avis%20HCFP%20n%C2%B02021-3%20-%20PLFR1%20-%20d%C3%A9finitif%20-%2001%20-%20sign%C3%A9_0.pdf, rappelons au passage que le Haut Conseil ne peut pas se prononcer sur les prévisions réalisées par le gouvernement dans le cadre du débat d’orientation des finances publiques (DOFP 2022).
[2] https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/hypothese-dune-croissance-6-quelles-consequences
[3] https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/programme-de-stabilite-2021-2027-le-freinage-de-la-depense-est-insuffisant