Fiscalité sur les successions et les donations : un problème mal posé
Selon une note récente de France Stratégie, la France détient la 2e place dans l’Union en matière de taxes sur les successions et sur les donations. Ces taxes sont ainsi deux fois plus élevées qu’au R-U et presque 3 fois plus qu’en Allemagne, en proportion du PIB.
Importance des taxes sur les successions et les donations en proportion du PIB (2012)
Source : Commission européenne
Dans une étude récente, France Stratégie propose 3 options pour réformer cette fiscalité (dont l’une a été intégralement reprise dans le programme présidentiel de Vincent Peillon dans le cadre de la primaire de la gauche).
Que nous dit France Stratégie de la fiscalité sur les successions et donations ?
Dans son préambule l’auteur constate que « depuis une vingtaine d’années, le patrimoine des Français augmente plus vite que leurs revenus, et il est de plus en plus détenu par les générations âgées (…) Simultanément, la transmission du patrimoine s’opère de plus en plus tard, du fait de l’allongement de l’espérance de vie. Dans ce contexte, les outils de redistribution que sont l’impôt sur le revenu et la fiscalité des transmissions parviennent mal à réduire l’inégalité entre héritiers et non-héritiers, et à favoriser la transmission du patrimoine à des générations plus jeunes. »
Le rapport postule en outre : « Les inégalités de patrimoine se sont nettement accrues entre 1997 et 2008, sous l’effet de l’envolée des prix de l’immobilier (…). Sur une vingtaine d’années, le patrimoine brut moyen des 10 % des ménages les plus riches a progressé de 700.000 à 1,2 million d’euros actuels. Celui des 50 % les moins fortunés est passé de 18.000 à 45.000 euros. »
Animé du désir de réduire ces inégalités et de prévenir « une société d’héritiers », l’auteur considère qu’une réforme de la fiscalité des successions devrait se fixer les objectifs suivants :
- Contribuer à une meilleure égalité des chances en limitant la perpétuation des inégalités d’une génération à la suivante
- Encourager les transmissions vers les jeunes générations
Dans ce cadre, trois options de réforme sont proposées, dont nous analysons ici les principales mesures.
Option 1
« Afin d’inciter les individus des classes moyennes à transmettre de leur vivant, l’abattement sur les parts au décès – aujourd’hui de 100 000 euros – pourrait être abaissé, voire supprimé, tandis que celui dont bénéficient les donations serait maintenu. »
Par ailleurs, les droits de donation seraient réduits en fonction de l’âge de l’héritier (et non en fonction de l’âge du donateur, comme avant 2011).
Option 2
« Dans ce schéma, le taux de taxation sur les transmissions augmenterait en fonction du montant de patrimoine hérité par un individu tout au long de la vie. À chaque nouvel héritage, le montant à payer dépendrait donc des sommes déjà reçues par l’héritier, et non de la somme transmise par le seul défunt, comme c’est le cas aujourd’hui.
Pour inciter les donations et les legs aux individus jeunes (notamment aux petits-enfants), les transmissions reçues avant un certain âge bénéficieraient d’un abattement (graphique). La réduction d’impôt liée à l’âge diminuerait avec le patrimoine reçu, de façon à ce que l’avantage fiscal ne soit pas trop important pour les grosses transmissions. »
Les avantages escomptés par France Stratégie seraient les suivants :
- « d’une part, il permet de s’assurer qu’un individu recevant beaucoup paie un taux supérieur à celui qui reçoit peu »
- « d’autre part, il incite en théorie les détenteurs de patrimoine à transmettre à des individus ayant peu hérité au cours de leur vie »
- enfin, il inciterait les donations et legs aux individus jeunes (de moins de 40 ans)
Option 3
« Mettre en place un système d’impôt négatif, qui doterait l’ensemble des individus d’un patrimoine minimal, même ceux qui n’héritent pas. Pour ce faire, une partie des recettes fiscales sur les transmissions pourrait être versée à un fonds dédié, permettant de financer une dotation en capital allouée à chaque individu en début de vie adulte. »
Notre analyse
Curieusement, le postulat de départ est contradictoire avec les chiffres cités par l’auteur. En effet, selon ces chiffres le rapport des 10% de personnes les plus fortunées aux 50% les moins fortunées est passé en 20 ans de 38,9 à 26,6. Il s’agit donc bien d’une diminution de plus de 30% des inégalités de patrimoine au cours de cette période et non d’une augmentation.
Sur une plus longue période, nous savons d’ailleurs que la part du patrimoine des Français détenue par ce même décile supérieur est restée, depuis 1970, au niveau historiquement bas de 61-62%[1].
Par contre il est exact que la majorité du patrimoine des Français réside dans la propriété de leur logement. C’est donc bien la hausse des prix de l’immobilier qui est à l’origine de l’augmentation du patrimoine des Français depuis 20 ans.
Ce postulat étant rectifié, les trois options présentées méritent les commentaires suivants.
L'option 1 : Actuellement, la franchise de 100.000€ à la fois sur les donations (faites plus de 15 ans avant le décès) et sur les successions, crée une incitation fiscale en faveur des donations pour les patrimoines (par part) supérieurs à 100.000€. En effet, pour un patrimoine inférieur ou égal à 100.000€ par part, une donation ne réduira pas les droits de succession qui seront nuls avec ou sans donation.
La réduction ou la suppression envisagée de l’abattement de 100.000€ sur les successions n’augmenterait donc pas l’incitation aux donations pour les patrimoines supérieurs à 100.000€[2].
Cette réduction ne créerait donc une incitation aux donations que pour les patrimoines inférieurs ou égaux à 100.000€ par part, donc relativement petits. Or ce sont bien les petits patrimoines qui sont constitués majoritairement d’une résidence principale dont la donation est problématique du vivant des propriétaires.
Par ailleurs, la franchise actuelle de 100.000€ pour les successions est une mesure clairement redistributive, c’est-à-dire bien plus favorable aux petites qu’aux grosses successions en proportion de leur montant.
Il semble donc bien que la mesure envisagée dans le cadre de l’option 1 soit à la fois :
- inefficace pour inciter aux donations, et
- exactement contraire à l’objectif affiché de réduction des inégalités de patrimoine.
L’option 2 consiste à mettre l’héritier au centre du dispositif fiscal en lieu et place du donateur.
Ainsi le taux de taxation des sommes transmises dépendrait des sommes reçues par l’héritier tout au long de sa vie et non des sommes transmises par chacun de ses donateurs.
Dans cette option, une donation de 100.000€ par part serait moins attractive qu’aujourd’hui puisqu’elle compterait pour le calcul des droits sur toutes les donations ultérieures et sur la succession finale, alors qu’une telle donation est actuellement exonérée définitivement de droits si le décès intervient au moins 15 ans plus tard. En outre, l’exonération actuelle peut être répétée tous les 15 ans.
Au vu du graphique présenté plus haut, cette observation reste vraie pour les dons a des personnes de moins de 40 ans.
Ainsi, cette option 2 irait à l’encontre de l’objectif affiché d’encourager la transmission précoce des patrimoines, y compris aux moins de 40 ans.
Concernant les autres avantages annoncés par France Stratégie :
- un individu recevant beaucoup paierait certes un taux supérieur à celui qui reçoit peu, mais c’est déjà le cas grâce à la progressivité de la taxe sur les successions ;
- si cette option incitait en théorie les détenteurs de patrimoine à transmettre à des individus ayant peu hérité au cours de leur vie, il n’en serait rien en réalité. Comment imaginer qu’un donateur choisisse ses héritiers en fonction de leur situation fiscale vis-à-vis du don envisagé ? Cette idée semble parfaitement dénuée d’un minimum de réalisme…
Enfin, l’option 3 se situe dans la lignée des grands travaux de la majorité parlementaire visant à créer des droits nouveaux universels.
Elle consiste à créer le droit de chacun à recevoir un héritage, l’Etat se substituant aux parents.
C’est une sorte d’inversion des rôles entre les générations. Plutôt que de refléter la volonté de parents de transmettre le fruit de leur vie de travail à leur descendance, ce système reposerait sur le droit pour chaque jeune de bénéficier du travail accumulé par la génération de ses parents.
Symboliquement, le désir de transmettre cèderait la place au droit de recevoir. Un droit qui pourrait bien préfigurer une revendication. A chacun de juger si ce changement de société est souhaitable.
Conclusion
Le grand enjeu économique pour la France est la captation d’une part de la valeur créée au niveau mondial par la nouvelle économie digitale. Cette captation dépend de l’innovation, moteur essentiel de la croissance économique, qui favorise en outre la mobilité sociale sans augmenter les inégalités de revenu au sens large (cf. leçon inaugurale de Philippe Aghion[3] au collège de France).
Or, la capacité de générer et de conserver sur le sol français ces créateurs de richesses que sont les inventeurs, dépend du sort que la fiscalité réserve aux patrimoines, comme le souligne le même Philippe Aghion.
Au vu des comparaisons internationales présentées plus haut et des tristes records que détient notre pays en termes de prélèvements obligatoires, de taxes sur le patrimoine des ménages et de taxes sur les donations et successions, la priorité de tout gouvernement devrait être :
- De diviser par 3 le poids de la fiscalité sur le patrimoine des personnes, afin de revenir a la moyenne européenne (passage de 3,3% du PIB a 1,2%) afin de cesser de faire fuir les créateurs de richesses et les capitaux ;
- De revenir au système existant avant août 2012 (franchise en ligne directe de 159.000€ tous les 10 ans) afin d’inciter aux donations précoces comme le suggère France Stratégie, plutôt que de lancer des réformes aux effets douteux sur la redistribution des patrimoines et le recours aux donations.
Propositions de la Fondation iFRAP en matière de fiscalité du patrimoine
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[1] Th. Piketty, Le Capital au XXIème siècle, p. 542
[2] On peut objecter que l’élimination de la franchise pour les successions pourrait créer une incitation supplémentaire pour des patrimoines de 200.000€ qui auraient alors intérêt à deux donations espacées de 15 ans, la première ayant lieu au moins 30 ans avant le décès. Ce cas semble assez théorique du fait qu’un tel patrimoine inclut généralement une résidence principale, peu susceptible de faire l’objet d’une donation précoce.
[3] Professeur à Harvard et à l’Ecole d’Economie de Paris