Fiscalité de l'assurance-vie : réforme ou arnaque ?
L'assurance-vie bénéficie d'une fiscalité franchement défavorable jusqu'à huit années de détention, mais favorable après cette période. C'est notamment pour cette raison qu'elle constitue le placement à moyen et long terme préféré d'une grande partie des Français jusqu'aux classes populaires : 1.343 milliards d'euros d'encours, 42% des placements des ménages. Mais ce placement est sans cesse grignoté par une fiscalité à vitesse croissante par un Etat alléché par l'importance des sommes en jeu et enhardi par la relative ignorance, voire indifférence, des Français à l'égard de prélèvements discrets. Mais trop finit par être trop, et l'insatiable gourmandise fiscale va détruire l'assiette des prélèvements. Description d'une arnaque fiscale.
En plus des 7,5% de prélèvement fiscal forfaitaire sur les gains après 8 ans de détention, ces gains supportent cinq prélèvements sociaux qui sont en constante augmentation : la CSG (Contribution sociale généralisée) au taux majoré de 8,2% (contre 7,5% sur les revenus du travail), la CRDS (Contributions sociales sur les revenus du capital) au taux de 0,5%, la contribution additionnelle de 0,3% depuis 2004, le prélèvement RSA (Revenu de Solidarité active) de 1,1% institué en 2009, et le prélèvement social de 2% institué en 1998 et encore augmenté de 0,2% en 2011, soit au total 12,3% contre 11% avant 2009.
En 2009 il a été décidé d'appliquer les prélèvements sociaux, maintenant au taux de 12,3%, aux sommes versées aux bénéficiaires au décès de l'assuré, donc aux veuves et enfants dans 80% des cas.
Depuis 2011 les prélèvements sociaux, applicables chaque année sur les contrats en euros, sont désormais applicables aussi sur la partie en euro des contrats en unités de compte (pour un rendement escompté non négligeable de 1,6 milliard).
Fin 2010, l'Inspection Générale des Finances recommande de chiffrer à 1 milliard seulement la dépense (ou niche) fiscale résultant du taux favorable de prélèvement de 7,5%, alors qu'auparavant cette niche était évaluée à 3 milliards. Il est intéressant de noter que cette réévaluation en baisse a été motivée par le fait que la dépense fiscale était estimée par différence entre un impôt théorique – consistant à prélever au fil de l'eau les produits générés par l'ensemble des contrats, qui faisaient ou non l'objet d'un dénouement – et l'impôt réellement perçu au titre des seuls contrats dénoués : comme si l'imposition de la plus-value latente devrait être considérée comme une imposition normale, ce qui n'a jamais été le cas ! C'est un intéressant exemple de calcul artificiel des niches fiscales.
Néanmoins cette rectification a semble-t-il donné des idées au gouvernement, qui évoque en ce moment, dans le but de récupérer la baisse des ressources attendue de la réforme de l'ISF, l'imposition des plus-values latentes, en particulier sur les encours de l'assurance-vie détenus par les gros patrimoines. Et là, c'est peut-être l'idée de trop, celle qui fait déborder le vase et fuir la matière imposable.
Ce sujet fait grand bruit actuellement, les économistes soulignant que l'imposition des plus-values latentes serait une grande première et n'existe nulle part ailleurs. Bernard Spitz, patron de la Fédération Française des Sociétés d'Assurance (FFSA) vient de monter au créneau pour dénoncer ce mauvais coup porté à l'assurance-vie, en relevant que, pour la première fois dans l'histoire de cette dernière, les décollectes de fonds ont été constatés pendant trois mois d'affilée, et notamment moins 11% en janvier et moins 15% en février par rapport aux mêmes mois de l'année précédente. Il y a sans doute plusieurs causes à cela, mais la simple menace de la nouvelle taxation a apparemment bloqué la collecte en provenance des gros patrimoines, qui préfèrent investir dans le court terme, liquidité ou l'or. Et Bernard Spitz de rappeler que les fonds de l'assurance-vie sont investis pour 54% dans les entreprises, et 34% dans le financement des Etats… dont l'Etat français en bonne part. Une décollecte attendue de 150 milliards priverait ainsi les entreprises de 50 milliards et le Trésor français de 20 milliards.
Il y a plusieurs morales à cette histoire.
La première, c'est, indépendamment de l'idée que l'on se fait de la justice fiscale, une fois de plus l'inefficacité de la formule tant entendue selon laquelle « il n'y a qu'à augmenter les impôts ». Toute mesure fiscale doit tenir compte des effets comportementaux des contribuables. Dans la société sur-informée et mondialisée qui est la nôtre, les contribuables montrent une réactivité immédiate et une sensibilité à la simple menace médiatisée de modifier la réglementation. C'est un des aspects de la loi des rendements décroissants (loi de Laffer) à partir d'un certain niveau de fiscalité, qui se traduit par la disparition partielle de l'assiette imposable. La décollecte de l'assurance-vie fait non seulement disparaître la matière imposable, mais aussi substitue à des ressources importantes pour l'économie des investissements improductifs comme l'or. L'Etat finit par se tirer une balle dans le pied en perdant au surplus des souscripteurs de sa propre dette.
La seconde, c'est l'insupportable instabilité de la fiscalité française. La FFSA la soulignait en 2010, avant même d'entendre parler de la menace :
« Les fréquentes modifications du régime fiscal applicable aux détenteurs d'assurance-vie alimentent depuis longtemps un climat d'insécurité juridique et fiscale qui est préjudiciable aux assurés et aux intérêts macroéconomiques de la France. Il faut veiller à ne pas fragiliser l'assurance-vie… L'équation est simple : soutenir l'assurance-vie, c'est soutenir l'épargne longue et par là-même l'économie française ».
La troisième morale, c'est le danger de recourir pour des raisons « sociales » à des épargnes complètement défiscalisées et manipulées comme les livrets populaires : l'augmentation contre la tendance économique générale du rendement de ces livrets est une des causes de la désaffection de l'assurance-vie, qui peut se révéler comparativement moins rentable. Or ceci se fait au détriment de l'épargne longue bien préférable pour l'économie.
La dernière enfin, c'est le doute qui nous saisit à propos de l'évaluation officielle des niches fiscales ou sociales. Celle concernant l'assurance-vie figurait au troisième rang avec 3 milliards. En perdant 2 milliards, la niche rétrograde loin dans le classement. On sait aussi par exemple que la niche TVA sur la restauration est faussement évaluée à 3 milliards, le vrai chiffre se situant environ à la moitié. A combien se montent en vérité les niches ?
En définitive, il est temps de revenir sur terre quant à l'élasticité des rendements fiscaux, qu'il s'agisse des hausses de taux ou de la réduction des niches, et ce d'autant plus que les impositions françaises sont partout « au taquet » ou très près.