En 2023, l'Etat va emprunter encore plus qu'en 2022
L’AFT (Agence France Trésor) met très rapidement à jour ses programmes prévisionnels de financement de l’Etat à mesure que le solde public est recalculé afin de faire face à la poursuite du « quoi qu’il en coûte ». Et le calendrier donne le tournis : première loi de finances rectificative en août 2022, actualisation de l’exercice 2022 dans le cadre du dépôt du PLF 2022 en octobre, second collectif budgétaire publié au 1er décembre 2022, dépôt du PLF 2023 en octobre, actualisation de son tableau de financement le 7 décembre, tableau définitif de la LFI 2023 à compter du 14 décembre… Les émissions de dettes à moyen et long termes nettes des rachats passent de 260 milliards d’euros en 2022 à 270 milliards d’euros pour 2023.
Sources : AFT et documents budgétaires d’actualisation (PLFR, LFR etc.).
Un déficit budgétaire en constante variation
Le tableau de financement de l’Etat cherche avant tout à matérialiser les lignes de ressources nécessaires (émissions obligatoires, mobilisation des ressources de Trésorerie de l’Etat à la Banque de France) au financement du déficit budgétaire et de l’amortissement de la dette à moyen et long terme arrivant à échéance.
S’agissant du besoin de financement du déficit budgétaire, celui-ci a beaucoup varié en 2022 : budgétisé à 153,8 milliards d’euros en LFI 2022, donc en réduction de près de 16,9 milliards d’euros par rapport à l’année précédente (170,7 milliards), il s’élèvera ensuite à 177,6 milliards d’euros dans le cadre du PLFR (1) 2022, à cause de l’augmentation des dépenses nouvelles inscrites dans le 1er collectif budgétaire mais aussi à la « hausse de la provision pour charge d’indexation des obligations indexées sur l’inflation » ce supplément d’indexation n’étant payé qu’à l’échéance de ces obligations et faisant l’objet d’une écriture miroir (neutralisation) via la ligne « autres besoins de trésorerie », négative à hauteur de -15,4 milliards d’euros. La hausse du déficit budgétaire hors effet d’indexation s’élevant à 8,4 milliards d’euros. Au cours de la discussion budgétaire du 1er collectif cependant le déficit se creuse encore de 800 millions d’euros, l’impasse budgétaire (hors indexation) atteignant par rapport au solde de la LFI 2022 les 9,2 milliards d’euros à -178,4 milliards d’euros. Par construction les ressources de financement sont symétriquement ajustées, passant de 297,6 milliards en LFI 2022 à 311,8 milliards d’euros via une augmentation de la variation des disponibilités du Trésor à la Banque de France, qui passent de +32,2 milliards d’euros à près de 52,2 milliards d’euros, soit une augmentation de 20 milliards, cette « contribution du solde du Trésor (…) [étant] en quelque sorte issue de préfinancements par les émissions de dettes massives des années précédentes » et non consommées (reportées) et par des ressources affectées à la Caisse de la dette publique pour amortir la 1ère tranche de la dette Covid portée par l’Etat, soit 1,9 milliards d’euros.
Ainsi que le relève l’AFT[1], les contributions du compte du Trésor à hauteur de 51,4 milliards d’euros en PLFR (1) 2022, rehaussé à 52,2 milliards en LFR (1) 2022 puis 49,8 milliards en actualisation 2022 dans le cadre du PLF 2023 et financement à 50,5 milliards d’euros en LFR (2) 2022, doit permettre - avec pour ce dernier collectif budgétaire le concours d’une variation des BTF de +3 milliards d’euros - de compenser les décotes enregistrées sur les nouvelles émissions obligataires « dans un contexte de hausse des taux d’intérêt » qui atteindraient en 2022 près de 11 milliards d’euros. Le Trésor précise que « cette contribution est rendue possible par le numéraire disponible sur le compte du Trésor, lié en particulier à un déficit moins important que prévu en 2021 » soit 170,7 milliards d’euros exécuté contre 205,1 milliards budgétisé lors de la 2ème loi de finances rectificative pour 2021 (1er décembre), ce qui a pu générer un cash en gestion de près de 34,4 milliards.
A compter de 2023, les besoins de financement prévisionnels représentent 305,5 milliards d’euros pour un déficit budgétaire de 158,5 milliards d’euros, quasiment au niveau de budgétisation de la LFI 2022 (-153,8 milliards d’euros). Celui-ci sera rapidement revu à la hausse au cours de la discussion budgétaire à -164,9 milliards d’euros (-6,4 milliards), creusé cette fois non pas par les suppléments d’indexation, désormais fixés à 12,6 milliards d’euros pour 2023 et neutralisés dans la ligne « autres besoins de trésorerie », mais pour le financement des dispositions prioritaires du Gouvernement notamment en matière d’urgence énergétique.
Une variation inédite du besoin de financement en 2023
Cependant s’agissant uniquement de la discussion budgétaire 2023, c’est le besoin de financement qui varie, passant de 305,5 milliards en octobre 2023 dans le cadre du PLF, à 298,4 milliards (-7,1 milliards d’euros) par communication de l’AFT du 7 décembre 2023, alors même que le déficit à financer n’a lui pas encore bougé (il est toujours évalué à 158,5 milliards d’euros).
La raison invoquée ? Un amortissement de dettes à moyen long terme en 2023 plus faible qu’attendu, soit 144,5 milliards de nominal en valeur faciale contre 151,6 milliards initialement prévus (-7,1 milliards), lié à un programme de rachat de dettes anticipées plus important que prévu en 2022 (26,2 milliards d’euros[2]). Au passage et à politique d’émission d’AOT inchangée (270 milliards d’euros), c’est la variation d’émissions à court termes qui est réduite passant de 10,4 milliards d’euros à 3,3 milliards.
Pourtant au sein du tableau définitif de financement (donc LFI car fixé par l’intermédiaire de l’article 49.3 C par le Gouvernement), le besoin de financement réaugmente à nouveau, passant de 298,4 milliards le 7 décembre à 304,9 milliards d’euros le 14 décembre (soit +6,5 milliards d’euros). La raison en repose uniquement par un alourdissement du déficit public porté par les mesures d’urgence énergétique additionnelles annoncées par l’Exécutif. Le financement en est assuré par une augmentation des contributions du solde des comptes du Trésor qui sont portées à 24,5 milliards d’euros.
Conclusion
La variation du tableau de financement de l’Etat pour 2023 (et donc potentiellement en exécution pour 2022) montre l’intense activité de l’AFT pour piloter la politique d’émission obligataire de l’Etat dans un contexte de fort endettement et surtout d’une politique d’émissions qui monte en puissance de la part d’autres grands émetteurs de la zone euro (Allemagne 305 milliards, Italie 308 milliards contre 270 milliards pour la France à moyen-long terme (+10 milliards par rapport à 2022)) sur fond de remontée des taux d’intérêts de la BCE. L’AFT reprofile donc la dette en augmentant sa maturité moyenne (qui passe ainsi de 8,1 ans à 12,4 ans en 2021[3]) mais aussi accroît ses rachats anticipés afin de lisser sa politique de réémission (le roulement de la dette) en profitant de déficits passés plus faibles qu’anticipés par le programme initial d’émissions, ce qui permet de mobiliser la trésorerie de l’Etat jusqu’ici placée à la Banque de France. Mais ces correctifs très médiatisés et répétés montrent combien la question du déficit public et de son financement commence à être crucial à compter de 2023 tout comme désormais le pilotage de la charge de la dette publique.
[1] https://www.aft.gouv.fr/fr/budget-etat#Financement
[2] Ce montant communiqué à l’AGEFI par l’AFT ne figure pas dans le tableau de financement publié puisque les émissions de dettes à moyen/long termes sont présentées nettes des rachats effectués (et non bruts). Il faudra attendre la communication de la Cour des comptes sur l’exécution des comptes 2022 en juin 2023 pour en découvrir le détail. Avec un tableau de financement retraité présentant les opérations brutes réalisées.
[3] Tendance qui permet de lisser une première fois la courbe d’émission, mais qui pourrait également se retourner à cause de son coût si l’augmentation des taux d’intérêts venait à se poursuivre. C’est en tout cas l’analyse proposée par le rapporteur spécial Kevin Mauvieux dans son rapport relatif aux Engagements financiers de l’Etat, annexé au PLF 2023, p.12. La dette négociable passant de 8 ans 153 jours en 2021 à 8 ans 197 jour à la fin août 2022. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b0292-tiii-a23_rapport-fond.pdf#page=12