Actualité

Cour des comptes : le moment de vérité du rapport annuel 2014

Les points de fuites budgétaires ont été bien identifiés

Contrairement à une opinion généralement répandue, la Cour des comptes dans son rapport public annuel 2014 n'est pas dans l'imprécation. S'agissant du budget de cette année elle relève ouvertement ou implicitement les éléments de fragilité mais également sur l'exécution (provisoire) 2013 qui pourraient avoir un impact en 2014. A la clé, la mise en évidence d'une série de doutes qui rejoignent ceux formulés par la Fondation iFRAP dès décembre 2013 lors de son étude sur le budget, et une certitude : il faudra plus de 50 milliards d'euros d'économies pour sécuriser nos finances publiques et respecter nos engagements européens. Décryptage :

La situation budgétaire globale : exécution (provisoire 2013/ LFI 2014) :

Les incertitudes entourant des prévisions macroéconomiques, qu'il s'agisse des prévisions de croissance (0,8% programmé en LFI 2013 contre 0,1% recalculé dans le RESF 2014), ainsi qu'une moindre inflation qu'escompté (1,8% dans la loi de programmation de décembre 2012 contre 0,8% dans le RESF 2014), ont perturbé l'exécution budgétaire 2013 en jouant en sens contraire sur les recettes comme sur les dépenses.

a. Le diagnostic sur les recettes 2013 :

En recettes, la moindre croissance pour 2013 a contribué à un fléchissement des prévisions et s'est doublé du recalcul à la baisse des hypothèses d'élasticité. Celles-ci ont été rapportées de l'unité (1) à 0,9 dans le cadre du programme de stabilité de 2013 (Pstab), puis dans le PLF 2014 et la loi de finances rectificative 2013 réduites encore de 0,4. Il en a résulté un manque à gagner de 0,8 point de PIB (soit 16 milliards d'euros) répartis à égalité pour 8 milliards du fait de la moindre croissance et pour 8 milliards de la perte d'élasticité. S'y ajouterait en outre une contraction supplémentaire de recettes fiscales (effet Laffer ?) de 3,5 milliards d'euros additionnels, soit un total de 19,5/20 milliards d'euros environ.

b. Le diagnostic sur les dépenses 2013 :

S'agissant des dépenses publiques en 2013, deux facteurs complémentaires ont joué en sens contraire pour augmenter la marge de manœuvre théorique du gouvernement et desserrer les contraintes [1] ce qui n'a pas empêché la hausse inexorable des dépenses, néanmoins moins forte que prévu (2,5% contre 2,7%).

  • D'une part, on relève une différence d'un point entre l'inflation prévisionnelle pour 2013 (1,8%) sur les prix à la consommation en LPFP 2013-2017 et celle finalement recalculée pour le RESF 2014 (0,8% [2]). Entre décembre 2012 et avril 2013 la révision des prix « profite » directement au gouvernement car la croissance en volume des dépenses est constante (+0,9%). L'allègement mécanique est donc de 0,6 point. Comme le relève la Cour « la révision [de la prévision de croissance des dépenses] ne résulte pas d'un effort accru d'économies mais de l'impact mécanique de la baisse de l'inflation prévue et des dépenses exceptionnelles [reportées sur] (…) 2012 ». [3]
  • D'autre part, en seconde partie d'exercice, bien que la hausse des prix ait été encore moins forte que prévu (-0,4 point supplémentaires), le volume des dépenses augmente de près de 0,8 point.

On assiste en fin d'exercice en effet à une hausse nette de 0,4% en valeur, soit de 0,2 point de PIB, ce qui correspond à 4,5 milliards d'euros résultant du paiement d'un reliquat du budget pluriannuel de l'UE (1,8 milliard) et de décaissements plus importants quant aux ODAC, APUL et ASSO (opérateurs de l'Etat, collectivités territoriales et administrations de Sécurités sociales).

La Cour des comptes constate donc pour 2013 qu'alors que des marges de manœuvre existaient en dépenses liées à une inflation moindre qu'anticipé (-1%) offrant une économie gratuite de près de 0,5 point de PIB, l'effet volume résultant d'aléas de gestion a neutralisé une grande partie de ce gain, aboutissant à une sous-exécution de seulement 0,1 point de PIB par rapport à la LFPF de décembre 2012.

En conséquence l'exécution (provisoire) du budget 2013 aboutit à une triple peine conduisant à constater un déficit plus important que prévu 4,1% du PIB contre 3% anticipé initialement, soit 1,1 point en plus qui n'est quasiment pas imputable à la conjoncture puisque le solde structurel s'apprécie également de 1 point pour passer de -1,6% prévu en LFI à -2,6% en fin d'exercice. Cet écart de 1 point résulte ainsi :

  • Pour 0,3 point de PIB du legs de l'écart constaté en exécution sur l'exercice 2012
  • D'un effort structurel inférieur de 0,2 point par rapport à la prévision (hors effets d'élasticité), celui-ci se répartissant à parts égales entre recettes (-0,1 sur un effort de 1,6 point de PIB) et dépenses (-0,1 sur un effort prévu de 0,3 point de PIB).
  • De 0,4 point résultant des pertes d'élasticité (soit 8 milliards d'euros (voir supra)).

c. Le diagnostic sur les recettes 2014 :

Pour 2014, les répercutions de la sous-exécution des recettes en 2013 ne sont pas encore connues. La Cour n'évalue donc que les fragilités intrinsèques aux prévisions de recettes du PLF 2014. Elle critique en particulier le choix à nouveau de l'unité pour l'élasticité retenue. Selon elle, l'élasticité devrait être au maximum de 0,9 occasionnant un risque de perte de recettes de 2 à 4 milliards d'euros. Par ailleurs, des risques spécifiques existent s'agissant des mesures fiscales inscrites dans les PLF et PLFSS 2014. Leur montant net serait de 3 milliards d'euros mais les pertes de recettes survenues pendant leur discussion (1 à 2 milliards) devraient être compensées par des économies à due concurrence. Tout dépendra de la solidité des économies décidées. Des risques complémentaires existent quant au dynamisme des P.O qui est programmé à +2,3% en 2014.

  • Sur la sphère de l'Etat, les recettes assises sur le revenu devraient être contenues avec une croissance des salaires de 1,2% en 2013 et un rebond incertain de l'imposition des plus-values. Les entreprises liquideraient leur IS de façon sans doute atone par l'imputation préférentiel des déficits en sortie de crise et un EBE en croissance de seulement 0,9% pour 2014 ce qui rend hypothétique une croissance de l'IS de +6,9%.
  • La Cour ne s'attarde pas sur la croissance des impôts locaux anticipée à +2,5% qu'elle juge crédible puisque les départements ont reçu l'autorisation de relever leurs taux de DMTO soit +1,2 milliard en année pleine tandis que le bloc communal conserve par ailleurs un fort pouvoir de taux.
  • Enfin, la croissance des cotisations sociales évoluerait de concert avec la masse salariale privée dans un contexte d'amélioration de l'emploi. Mais les hypothèses de résorption du chômage sont sans doute également volontaristes et pourraient impacter négativement les recettes sociales.

d. Le diagnostic sur les dépenses :

Le gouvernement a programmé en 2014 un effort d'ajustement budgétaire reposant massivement sur les dépenses et affiche la volonté de trouver des économies pour 15 milliards d'euros. Un montant qui ne stoppera pas les dépenses publiques dont la croissance tendancielle est de 19 milliards d'euros par an.

La Cour relève d'une part le caractère « conventionnel » des estimations tendancielles et des incertitudes quant au calcul du tendanciel relatif à la masse salariale ainsi que celui portant sur la charge des intérêts. Par ailleurs, les magistrats ne relèvent que les économies réellement documentées :

  • sur l'État sur les 9 milliards recherchés et même les 10,4 milliards nécessaire si l'on veut faire baisser les dépenses sous norme de 1,4 milliard d'euros, ne sont solidement détaillées qu'à hauteur de 6,5 milliards d'euros « et certaines sont probablement surestimées ». Les 3,9 milliards d'euros restants devront être recherchés en gestion au cours de l'exécution budgétaire. Cela devrait conduire à chercher à sanctuariser près de 55,7% d'une réserve de précaution qui s'élève pour 2014 à 7 milliards d'euros hors rémunérations et à les annuler en fin d'exercice.

En conséquence et à moins d'une sanctuarisation historique de la réserve de précaution dans son intégralité (sans doute 8 milliards d'euros y compris dépenses de personnel), «  Il n'existe (…) aucune marge pour faire face à des dépenses imprévues en cours de gestion du type de celles constatées tant en 2012 qu'en 2013 », ce qui veut dire qu'il est désormais impossible d'« internaliser » des dérapages de dépenses d'environ 4 milliards d'euros ou de compenser des sous exécutions en recettes d'un même montant. Or on l'a vu sur le volet des recettes fiscales pour 2014, la seule révision de leur élasticité à la baisse (sans même parler de l'hypothèse de croissance) de 1 à 0,9 pourrait déboucher sur un manque à gagner évalué par la Cour entre 2 et 4 milliards d'euros.

  • Sur les administrations sociales, les économies affichées par le gouvernement sont de 6 milliards d'euros. D'emblée la court évoque un effet de comptabilisation d'une économie supplémentaire sur l'ONDAM de 2013 qui « impacterait » l'évolution de l'ONDAM en 2014 de -0,5 milliard d'euros. La Cour doute comme la Fondation iFRAP l'a également souligné de la réalité de ce processus. Sans cet élément additionnel il résulterait une économie due au respect de l'ONDAM de 2,4 milliards. S'y ajouterait diverses mesures composées d'effets de trésorerie et de sous-indexation [4] pour un montant global de 1,9 milliard d'euros et un ciblage des prestations familiales (0,2 milliards). S'agissant des « frais » de gestion des caisses de sécurité sociales, la Cour indique que sur les 500 millions dégagés, 200 millions résulteraient de l'effet d'une moindre exécution en 2013 [5]. Par ailleurs les magistrats formulent les plus grandes réserves s'agissant des 0,3 milliards d'économies que le gouvernement indique vouloir chercher en matière d'indemnisation chômage à la faveur de la renégociation de la convention UNEDIC. La Cour démontre au contraire qu'à législation constante, les indemnités chômages devraient augmenter mécaniquement en 2014 de 1,9%.
  • Enfin sur le volet local, la Cour n'est pas dupe, «  l'économie de 2 milliards d'euros prévue sur les prélèvements sur recettes de l'Etat (…) n'aura un impact sur la dépense consolidée des administrations publiques que si les collectivités territoriales diminuent leurs propres dépenses . Or rien n'est moins sûr dans la mesure l'Etat a globalement compensé cet effort par le transfert de ressources complémentaires (dont des restitutions de frais d'assiettes), tandis que le secteur le plus exposé aux restrictions budgétaires de l'Etat (800 millions d'euros) le bloc communal, dispose du plus fort pouvoir de taux. En définitive selon la Cour, le ralentissement des finances locales ne pourrait « résulter [que] d'une baisse de l'investissement […] l'évolution des investissements publics locaux en 2014 reste cependant incertaine. »

Incertitudes sur les recettes de 2 à 6 milliards d'euros à raison des élasticités et risque de rendement de mesures nouvelles, et même 8 milliards si l'on y intègre raisonnablement les effets des moins values fiscales de 2013, absence de marges de manœuvre sur les dépenses, obligation inédite de « sanctuarisation » de la réserve de précaution, exposition des économies insuffisamment documentées à hauteur au minimum de 3,9 milliards d'euros sur le versant « état », les 6,5 milliards localisés jouissant pour certaines de perspectives optimistes voir très optimiste [6] … sans parler des 6 autres à aller chercher sur les administrations sociales dont certains éléments seront négociés et en faisant l'hypothèse que les collectivités locales joueront le jeu de la baisse de dépense… On le voit l'analyse de la Cour du plan d'économie volontariste du gouvernement relève de la quadrature du cercle. Il est cependant plus que jamais nécessaire afin de mieux identifier les points de fuites de la dépense publique.

Un effort total jusqu'en 2017, 51 milliards d'euros ou 121 milliards ?

Il peut être intéressant d'effectuer une première remise en perspective des efforts attendus dans l'immédiat pour 2014 et de ceux qui seront nécessaires pour respecter nos engagement et la trajectoire de nos finances publiques dans le cadre des traités européens et en dépit du « bonus » accordé par le Conseil de l'Union européenne, nous permettant de ramener notre déficit public à 3% non plus en 2013 mais en 2015 tout en maintenant intangible l'objectif d'un équilibre structurel en 2016. En l'absence des premiers éléments complémentaires qui devraient donner le détail des économies attendues dès 2015 par l'intermédiaire du Conseil stratégique de la dépense publique dont les grandes orientations devraient être connues au printemps, l'effort affiché serait le suivant : 15 milliards en 2014, puis 17 milliards additionnels par an (par rapport au tendanciel) jusqu'en 2017.

  • Le Haut Conseil des finances publiques va devoir signaler un « écart important » par rapport à la trajectoire retenue dans le cadre de la LPFP 2013 et son exécution, déclenchant une correction en 2015 et 2016 qui va nécessiter des économies effectives de 17 milliards sur chacune de ces deux années.
  • En 2017 si les pouvoirs publics veulent détendre les PO de 0,3 point de PIB il faudra réaliser également le même effort exclusivement en dépenses.

Conclusion

Au total l'effort global devra être de 66 milliards d'euros dont 51 rien qu'entre 2015 et 2017. Cependant, la croissance des dépenses publiques ne sera pas pour autant endiguée puisqu'elles augmenteront sous contrainte de 70 milliards en valeur entre 2015 et 2017. L'effort nécessaire complémentaire à déployer pour un arrêt de l'augmentation des dépenses (ce que ne propose pas la Cour) serait alors sur la période 2014-2017 de l'ordre de 90 milliards d'euros pour un blocage « en valeur » (dont 19 à 20 milliards d'euros liés à l'effet de l'inflation anticipée rien qu'en 2014), et de 70 milliards d'euros entre 2015 et 2017 si l'on se contente de stabiliser le budget à partir de son niveau de 2015. Soit un total d'économies compris entre 121 milliards entre 2015 et 2017 et 156 milliards si l'on prend pour référence 2014. En effet, si l'on prend au sérieux les économies déjà annoncées pour 2014 et compte tenu de l'inflation, l'effort serait de 156 milliards d'euros si l'on voulait stabiliser des dépenses publiques à leur valeur 2014 [7].

[1] Lui permettant en particulier de mieux sanctuariser la réserve de précaution (6,4 milliards d'euros correspondant à 6% hors contribution des dépenses de personnel à hauteur de 1,5% (soit 500 millions d'euros environ). Pour une vision synthétique, voir notre note Vrai ou faux : l'État maîtrise sa masse salariale.

[2] Mais s'est révélée encore plus basse en définitive puisque l'INSEE en janvier 2014 l'a estimée pour 2013 à 0,7%.

[3] Cela s'est traduit en valeur par -0,2 point sur les prestations sociales et les intérêts de la dette, par -0,3 point par un rattachement en 2012 du renflouement de Dexia et par un moindre coût de fonctionnement sur le train de vie de l'État (-0,1 point).

[4] un « effet de trésorerie » permis par un décalage de l'indexation de 6 mois des retraites des régimes de base (soit 0,8 milliards d'économies) auquel s'ajouterait une sous-indexation des retraites complémentaires permettant de dégager 1,1 milliards d'euros supplémentaires.

[5] Il faut d'ailleurs évoquer la difficile question des « effets base », dans la mesure où soit la modification du tendanciel est conventionnellement retenue sur longue période (10 ans), soit sur courte période, mais il semble difficile de retenir les deux méthodes pour deux administrations différentes…

[6] Et reposant pour 2 milliards d'entre elles sur un ralentissement peu crédible de la dépense locale ou d'économies résultant de négociations paritaires s'agissant des administrations sociales dont il sera difficile de prédire l'effet (pour environ 1 milliards d'euros).

[7] l'effort total se calculerait comme suit : - sur le volet économies sur le tendanciel en volume, 15 milliards en 2014 puis 17 milliards pendant les trois dernières années. - sur le volet économies pour compenser l'inflation (baisser le pouvoir d'achat des administrations), il faudrait dégager 19/20 milliards d'euros pour 2014 (inflation + reliquat de tendanciel non compensé par des économies) puis 23,3 milliards en moyenne au-delà afin d'avoir une véritable stabilisation en valeur.