Comité d’alerte des finances publiques: des avancées encore trop timides

Le ministre des Finances Eric Lombard et Amélie de Montchalin, ministre en charge des comptes publics ont présenté le 3 mars 2025 leur Plan d’action pour améliorer le pilotage des finances publiques. Une initiative pour tenter de faire oublier la mise sous perspective négative de la note française par l’agence de notation Standard & Poor’s le 28 février dernier. Le plan se structure en trois volets et propose en particulier de créer un Comité d’alerte des finances publiques. Une structure partenariale (réunissant élus nationaux et locaux, administrations, Haut Conseil des finances publiques, Cour des comptes et ministres), créée à l’instar du comité d’alerte de l’ONDAM. Le Plan propose également d’améliorer la gestion du risque et de l’incertitude des prévisions, la transparence des comptes publics ab initio, in itenere (en cours d’exécution) et en exécution, enfin de poursuivre une amélioration continue des outils de prévision. Un programme qui va dans le bon sens. La Fondation iFRAP se réjouit en particulier de l'avancée constituée par la fourniture des tendanciels en dépenses et recettes - ce qui devrait améliorer la sincérité des efforts budgétaires. La réforme est cependant peu ambitieuse s'agissant du renforcement des prérogatives du Haut Conseil des finances publiques pourtant réclamé par le comité scientifique. La raison en est que le Gouvernement veut avant tout travailler à législation constante. Voulant déployer sa réforme rapidement en cours d'année, il ne pense pas passer par une loi ad hoc pour y parvenir et préfère recourir à des mesures réglementaires. Reste à voir ce qu’en sera l’application pratique et le changement de culture financière qu’elle pourrait induire.
Un Comité d’alerte des finances publiques pour quoi faire ?
Plutôt que de renforcer les compétences du Haut Conseil des finances publiques, l’Exécutif a choisi de mettre en place un comité d’alerte des finances publiques dont l’intitulé fait un peu penser au comité d’alerte de l’ONDAM en matière de dépenses d’assurance maladie. Le Plan d’action précise que sa composition sera très large « un comité d’alerte des finances publiques sera réuni autour du ministre de l’économie, de la ministre du travail, de la santé, des solidarités et de la famille, du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation et la ministre des comptes publics, auxquels seront associés notamment les rapporteurs et présidents des commissions des finances et des affaires sociales, les parlementaires de ces commissions, les délégations parlementaires aux collectivités locales, ainsi que les associations d’élus, les représentants de la Sécurité sociale et le Premier président de la Cour des comptes. »
L’intérêt de l’organisme sera donc de se voir transmettre 3 à 4 fois par an (avril, juin, octobre) des estimations des risques d’écart aux prévisions des dépenses et recettes sous-jacentes à la LFI (sans doute également à la LFSS) « et les éventuelles mesures correctives envisagées ». Pour la première fois, les écarts en cours d’exécution seront observés à 360°, soit sur l’ensemble des dépenses publiques (État, opérateurs, APUL et ASSO).
En dépit de ces éléments positifs permettant de suivre l’exécution des comptes publics de l’ensemble des administrations publiques, le futur comité d’alerte des finances publiques (CAFP) semble constituer un nouvel avatar de la Conférence nationale des finances publiques lancée le 12 janvier 2006 puis tombée progressivement en désuétude[1]. Elle permettrait surtout de dépasser les « dialogues de Bercy » institués par Eric Lombard en les institutionnalisant. La fondation iFRAP sera toutefois très attentive à la publication des travaux de ce comité d’alerte. Informer le Parlement est évidemment essentiel, mais faire partager aux citoyens/contribuables les éléments saillants transmis au besoin par l’intermédiaire d’un avis sera sans doute essentiel pour asseoir la légitimité de l’institution.
Le Haut Conseil des finances publiques sera-t-il mieux associé ?Le Plan d’action pour améliorer le pilotage des finances publiques a été nourri par deux missions distinctes :
À ce titre, le Plan d’action publié propose de « renforcer la mobilisation du Haut Conseil des finances publiques » en le faisant destinataire systématique « des prévisions macroéconomiques et (…) relatives aux finances publiques » dans le cadre du rapport d’avancement annuel (RAA) résultant du suivi de la trajectoire du PSMT européen. Le Gouvernement s’engage donc à aller au-delà de la stricte application juridique de la législation européenne, puisque cette saisine d’après les textes n’est demandée qu’à compter de 2032 et uniquement sur le volet macroéconomique des prévisions, et non sur le volet des finances publiques. Le HCFP sera également destinataire d’un document méthodologique publié par Bercy afin de faire le point sur une définition partagée de « l’évolution tendancielle des dépenses et des recettes publiques » ainsi que de sa déclinaison annuelle (par exemple pour 2026) qui « sera intégrée dans la saisine sur les textes financiers du HCFP, pour que ce dernier puisse y porter une appréciation éclairée. » Il sera également membre de droit du « cercle des prévisionnistes de finances publiques », conférence technique construite sur le modèle de l’OFCN (observatoire français des comptes nationaux) ce qui rappelle furieusement la défunte Conférence économique de la Nation. Les propositions concernant le renforcement de l’information du HCFP sont cependant en décalage par rapport aux conclusions du comité scientifique : « Concernant le HCFP, sa fonction doit être consolidée par un délai suffisant pour répondre à la saisine (…) une possibilité d’auto-saisine devrait être mise en place ». Nous en sommes encore loin. |
Tout se passe donc comme si le Gouvernement ne voulant pas demander au législatif de modifications substantielles permettant de renforcer les compétences du HCFP, cherchait à procéder uniquement par la voie réglementaire, via la création d’un comité d’alerte auquel le HCFP et la Cour des comptes à travers la présence de son Premier président, seraient associés. Dans la mesure où les lois financières initiales 2025 sont déjà adoptées, le Gouvernement cherche à donner des gages d'un changement de transparence sur la construction de la trajectoire des finances publiques et de ses corrections en cours de gestion. Il pense donc qu'intervenir par décret est sans doute plus rapide, bien qu'un projet de loi ad hoc permettrait tout autant d'y parvenir dans un second temps et de façon plus pérenne. En effet, la situation actuelle aboutit à créer un nouvel organisme au côté du HCFP, ce qui contrevient à l'objectif de simplicité et de frugalité qui conviendrait en la circonstance.
On pourrait contester que la création de ce comité permet d'y associer le Parlement (via les commissions des finances et des affaires sociales) et les élus locaux. C'est exact, mais cette association doit-elle pour autant s'effectuer au détriment d'un élargissement des compétences du HCFP dont tout le monde pourrait bénéficier?
Une plus grande transparence des finances publiques ?
Les conclusions du groupe d’experts et le Plan d’action du ministre des Finances convergent vers un renforcement de la transparence vis-à-vis des experts extérieurs, des Parlementaires et du public en général. On relèvera pêle-mêle.
La constitution d’un document méthodologique sur l’évolution tendancielle des dépenses et des recettes. Cette proposition fait le pendant à celle du comité scientifique de « publier des séries longues de recettes à législation constante (donc aussi des séries longues de mesures nouvelles) (…) permettant de voir avec quels agrégats macro elles sont les mieux corrélées et quelles sont les élasticités de chacun de ces impôts à ces agrégats représentatifs de leurs assiettes. » Ce qui supposerait également la définition précise de « mesures nouvelles » (avec une distinction claire entre celles-ci et les modalités de calcul de l’impôt par exemple).
Publier les données en accès libre, ce qui se traduirait par des séries longues sur les prévisions des finances publiques à partir « des prévisions sous-jacentes » aux PLF déposés au Parlement. Par ailleurs les situations mensuelles budgétaires et des recettes passées seront rendues disponibles en libre accès au format Excel. Cette dernière proposition est cependant en retrait par rapport aux propositions du comité scientifique. Celui-ci proposait en effet : de fournir suffisamment d’éléments chiffrés dans les documents budgétaires « pour permettre de réaliser des tests de cohérence sur les grandes masses » et « la reproduction de certains éléments bien précis de la prévision ». Par ailleurs le comité scientifique proposait de « transmettre des informations plus détaillées (par exemple le calendrier mensuel des prévisions de recettes, sans quoi la situation mensuelle budgétaire est peu lisible).
L’objectif du Gouvernement est donc bien de rendre plus accessible et de densifier significativement l’information financière disponible aussi bien à destination des experts et du public, mais le Plan annoncé semble perfectible notamment s’agissant des prévisions mensuelles de recettes et de dépenses prévisionnelles s’agissant de la SMB (situation mensuelle budgétaire), tandis qu’il se garde bien de proposer une publication mensuelle d’exécution toutes APU… au format comptabilité nationale, ce qu’il semble n’approcher qu’à 3 occurrences précises à la faveur des réunions du Comité d’Alerte des finances publiques.
Conclusion :
L’approche retenue par le Gouvernement dans son Plan d’action pour améliorer le pilotage des finances publiques va clairement dans le bon sens, avec à la clé plus de transparence en termes d’information et de remontées comptables exploitables, ainsi qu’avec la livraison des tendanciels en matière de recettes et de dépenses, ainsi que des élasticités retenues impôt par impôt. La tenue de réunion du Comité d’alerte devrait permettre de « sortir » de la logique notariale que les commissions des finances des deux chambres ont initiée vis-à-vis de Bercy consistant à demander la livraison systématique de l’ensemble des notes de prévision du Trésor. Désormais, étant étroitement associés à toute publication majeure, les parlementaires devraient mieux suivre l’exécution des comptes publics à 360°.
Est-ce pour autant suffisant ? Le fait de travailler à législation constante pour cause d’instabilité politique et de volonté d'agir rapidement ne favorise pas le renforcement des prérogatives du Haut Conseil des finances publiques, tout du moins du point de vue juridique. Il reste donc encore très éloigné de ses homologues étrangers Office of Budget Responsibility Britannique, Centraal Planbureau aux Pays-Bas ou l’Arbeitskreis Steuerschätzungen allemand. Par ailleurs, il ne semble pas à date que la situation mensuelle budgétaire de l’État ne soit enrichie du prévisionnel mensuel attendu en LFI[3] par la direction du budget et celle du Trésor en termes de recettes et de dépenses. Si les remontées comptables issues des comptes hospitaliers et locaux s’améliorent, il ne semble toujours pas possible de disposer d’une situation mensuelle consolidée des finances publiques en comptabilité nationale ni de disposer encore d’une telle livraison dans les différentes comptabilités de gestion existantes (budgétaire pour l’État, comptabilité générale[4] pour les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale).
Enfin quid du suivi des opérateurs ? Alors que le CAFP est censé en rendre compte, on ne voit pas non plus de publication régulière claire à leur sujet. Elle est pourtant nécessaire pour affiner leur pilotage et leur contribution au redressement des comptes publics.
[1]https://www.amf.asso.fr/documents-conference-nationale-finances-publiques-au-dela-la-maitrise-la-depense-publique-une-necessaire-reforme-la-fiscalite-locale/9202
[2] https://www.economie.gouv.fr/files/files/2025/recommandations_comite_scientifique_previsions_finances_publiques
[3] Ou corrigé des derniers textes financiers adoptés (LFR, décrets d’avance etc.).
[4] Via les remontées des comptes financiers uniques (CFU) des différents acteurs locaux, en BG et BA.