Cessons de détourner l'argent du Livret A
Depuis le 1er janvier 2009, sur injonction de la Commission européenne, la distribution du Livret A a enfin été ouverte à toutes les banques. C'est la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) qui centralise une part importante des sommes collectées dans un fonds dont la vocation est de servir à financer le logement social, la part de collecte non centralisée étant laissée aux banques afin d'être utilisée en faveur du financement des PME et des économies d'énergie. Or il semblerait que des projets d'augmentation du taux de centralisation soient à l'étude.
Cette tribune d'Agnès Verdier-Molinié, directeur de la Fondation iFRAP, a été publiée dans Les Echos du 8 novembre 2010
Le taux de centralisation est une variable clef : il détermine la part de la collecte que les banques pourront distribuer elles-mêmes, et celle dont la CDC disposera. Or la CDC et l'État ont tous les deux un très fort intérêt à accaparer la plus grande partie possible de ces capitaux. La CDC d'abord, pour financer une nouvelle activité d'investisseur tous azimuts - des plus petites PME aux multinationales sans oublier La Poste -beaucoup plus attrayante pour ses équipes que le financement du logement social. L'État, lui, englué dans un déséquilibre financier causé par son incapacité à se réformer, est particulièrement avide de ressources financières nouvelles. Comme l'augmentation des impôts est impopulaire, l'État explore des solutions alternatives plus subtiles.
Tout d'abord, l'État a intérêt à maximiser la production du fonds d'épargne, car la CDC lui reverse désormais 50 % de son résultat annuel (contre 33 % auparavant), dont 100 % du résultat du fonds d'épargne.
Dans le même temps, l'État cherche à minimiser la rémunération versée par la CDC aux banques en contrepartie de leur travail de collecte, car chaque diminution de cette rémunération permet une reprise de provisions de plusieurs centaines de millions d'euros qui vient alimenter son budget. Le taux de commission perçu par les banques a ainsi été réduit de 1,1 % à 0,6 % pour les nouveaux distributeurs.
Enfin, l'État a également intérêt à gonfler les ressources du fonds d'épargne car ce dernier est pour un tiers placé en titres de la dette publique : cela sécurise une partie de la considérable offre d'obligations du Trésor sur le marché, conjurant ainsi un scénario de raréfaction de la demande. Traduction : l'État convie sans le dire les épargnants français à financer le déficit par leur épargne.
Le plus ennuyeux dans ce jeu de bonneteau du Livret A, c'est que ce sont les objectifs du Livret A qui sont ainsi desservis. En ponctionnant sans cesse plus les banques, les fonds disponibles pour le financement des PME par les banques se trouvent raréfiés (renchérissant ainsi mécaniquement le coût de leur accès au crédit). Dans une récente interview, Augustin de Romanet a reconnu qu'il n'était pas nécessaire d'accroître le taux de centralisation pour financer le logement social.
En période de légère reprise, le risque de casser cette dynamique économique est considérable si les pouvoirs publics continuent à afficher leur volonté de contraindre les banques à augmenter rapidement leur taux de centralisation : les fonds centralisés à la Caisse des Dépôts, ce sont moins de financements pour les PME distribués par des réseaux diversifiés et décentralisés des banques, et plus de financements centralisés par le canal de la CDC.
Il serait d'ailleurs ironique que la CDC, qui a lutté contre l'ouverture du Livret A à la concurrence, en tire profit maintenant.
Le logement social n'en ressortirait pas amélioré non plus : la CDC n'utilise en réalité pour le logement social que la moitié des ressources centralisées (alors que, réglementairement, elle pourrait leur en consacrer 75 %) et elle passe à ce moment-là par les banques elles-mêmes, en leur confiant les ressources par adjudication. Ce système bien compliqué fait donc revenir l'argent à son origine après de considérables pertes en ligne, alors qu'il serait plus simple et plus efficace de confier directement ce financement aux banques. Cela aurait pu aussi éviter de laisser la CDC et les organismes HLM investir dans les 4.500 immeubles soit 120.000 logements qui sont en cours de destruction, quarante à cinquante ans seulement après leur construction.
Ajoutons que la situation et la compétitivité des banques, moteurs essentiels du financement de l'économie, s'en trouveraient fragilisées à terme du fait de la réduction de leurs liquidités.
En détournant au profit du fonds d'épargne des fonds qui auraient été utilisés avec plus d'efficacité directement par les banques, l'État privilégie son intérêt financier immédiat au détriment des investissements permettant à notre économie de se développer et d'assurer sa pérennité. Un vrai dialogue ne pourrait-il s'instaurer entre les banques et les pouvoirs publics ?