Ce qu'il faut réformer pour que les rapports de la Cour des comptes ne restent pas lettre morte
Au menu cette année ? La formation professionnelle, la gestion de la ville de Levallois-Perret… le coût prohibitif (1 milliard) de la défunte écotaxe poids-lourds. Un très bon travail, très argumenté, très fouillé mais il est à craindre que notre séquence annuelle d’énervement collectif devant la gabegie publique dure 48 heures, 3 jours au mieux… Et puis après ? Et bien plus rien !
Alors une question Monsieur le Premier président, à quoi ce rapport va-t-il servir ? On pourrait dire qu’il va servir à éclairer le débat public sur la mauvaise gestion publique et les améliorations à apporter à cette gestion publique mais quelle sanction ensuite ?
En 2016 par exemple, l’excellent rapport annuel de la Cour des comptes a proposé la suppression du Fonds de solidarité, un opérateur de l’Etat qui collecte la (très) modeste cotisation des agents publics au chômage (1%). Que s’est-il passé depuis ? Ce fonds a-t-il été supprimé ? Non, il est toujours bien en place. Dans le même rapport, la Cour des comptes proposait de supprimer l’institut français du cheval et de l'équitation (IFCE), jugé trop coûteux au regard de la faiblesse des missions de service public qu'il assure. Est-il supprimé aujourd’hui ? Point non plus.
Toujours dans le rapport 2016, la Cour des comptes pointait le manque d’ambition du gouvernement pour réduire le déficit structurel de la France… de ce côté-là non plus, pas grand-chose n’a bougé. Le déficit français frôle toujours les 70 milliards d’euros par an alors même que l’argent est plus que bon marché pour l’Etat actuellement. Dans ses vœux de début d’année, Didier Migaud, le Premier président de la Cour a rappelé qu’il fallait être particulièrement vigilant car 40% de la réduction du déficit public depuis 2011 est due uniquement à la baisse des taux d’intérêts de la dette et non à des économies liées à la rationalisation des dépenses.
Ce manque d’action est aussi le fait du manque de pouvoirs du Parlement ? C’est le seul organe de nos institutions qui ait le pouvoir de sanction sur les dépenses publiques et les recettes. Référons-nous à l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »
Le prochain quinquennat doit être le quinquennat d’un Parlement regonflé dans ses fonctions d’évaluateur. Il est, par exemple, étonnant que la reddition du rapport annuel de la Cour des comptes ne donne pas lieu systématiquement à un travail en commissions à l’Assemblée et au Sénat puis à une discussion spécifique en séance publique devant les deux chambres.
Car aujourd’hui, étrangement, notre Parlement ne contrôle pas spécifiquement les politiques publiques alors que c’est son rôle le plus important. Toutes les réformes qui ont été menées (LOLF, réforme constitutionnelle de 2008) l’ont été sans du tout pousser le Parlement à évaluer mieux les dépenses. Pourquoi l’Assemblée nationale n’a-t-elle pas, comme le Parlement britannique, une commission permanente en charge de l’évaluation ?
Le petit (et un peu ridicule) Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques qui n’a aujourd’hui aucun pouvoir contrairement aux commissions permanentes comme le reconnaissent la plupart des députés (et même ses propres membres) produit seulement entre 4 et 6 rapports par an.
Il devra être promu au rang de commission permanente à part entière consacrée à l'examen des dépenses passées tandis que la commission des finances ne traitera plus que des dépenses à venir. Pour cela, il faut une modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et une modification constitutionnelle (de l’article 47-2 ?) pour que cette nouvelle commission de l’évaluation des politiques publiques puisse émettre des propositions concrètes et que le gouvernement soit obligé d'y répondre sous 3 mois.
En parallèle, la Cour des comptes devrait être placée au service unique du Parlement quant à l’évaluation des politiques publiques. Cela demande de réformer l’article 47-2 de la Constitution qui place actuellement la Cour à équidistance du Gouvernement et du Parlement ce qui n’existe dans aucun autre pays.
Dans la plupart des grandes démocraties, le Parlement bénéficie de son propre organe d’audit des politiques publiques. Cela permet aux parlementaires d’avoir leurs propres chiffrages, de ne plus dépendre du ministère des Finances et de jouer un vrai rôle de contre-pouvoir vis-à-vis du gouvernement. Cela suppose la mise en place au sein de la Cour des comptes d’une muraille de Chine entre la fonction d’audit des politiques publiques pour le Parlement, la fonction de prospective macro-économique relative à l’évolution des finances publiques (Haut Conseil des finances publiques) et la fonction juridictionnelle et de contrôle qui lui sont propres.
Grâce à la suppression du Conseil économique, social et environnemental, les crédits nécessaires à la Cour pour devenir l’organe d’audit du Parlement pourront être dégagés avec 40 millions d’euros supplémentaires pour financer les fonctions d’audit du Parlement.
Bien entendu, pour que le Parlement se saisisse vraiment de son devoir de contrôle des dépenses publiques, il faudra qu’il soit avec ses propres dépenses, irréprochable, ce qui est loin d’être le cas aussi bien à l’Assemblée qu’au Sénat. Cela passe par une grande opération de transparence sur l’utilisation des frais de mandats, des frais de collaborateurs, la suppression de la réserve parlementaire car il est difficile de contrôler 1280 milliards de dépenses publiques quand on n’arrive pas à contrôler le budget de l’Assemblée nationale qui pèse… un demi-milliard d’euros.
Cette tribune a été publiée sur le site d'Atlantico, jeudi 9 février 2017. A consulter, en cliquant ici. |