CADES : le mythe du jackpot à 18 milliards
Contrairement à ce que l'on entend beaucoup par voie de presse notamment, il n'y a pas de jackpot de la CADES à partir de sa disparition programmée pour 2024. Même pour compenser le coût de la suspension de l'âge pivot dans le cadre des mesures paramétriques proposées en marge de la réforme des retraites. En effet, alors que la dette reprise par la CADES baisse, la dette de l'ACOSS augmente, et sous une forme ou sous une autre les ressources qui abondent la première devront être mobilisées pour amortir la seconde. Autre point, les recettes de la CADES font apparaître un excédent technique car l'amortissement de sa dette n'est pas une dépense publique. Si l'on affecte ces mêmes recettes à de nouvelles dépenses, on dégradera mécaniquement le déficit public.
On entend beaucoup dans le cadre du débat sur les retraites qu’une piste de financement sans augmenter les prélèvements obligatoires (mais augmentant les dépenses publiques (voir infra)), résiderait dans le recyclage des ressources de financement actuels de la CADES (caisse d’amortissement de la dette sociale), dont la durée de vie devrait s’achever entre 2024 (apurement définitif) et 2025 (cessation de toute activité). La piste proposée par les syndicats pour compenser la suspension de l’âge pivot à 64 ans (qui devait être institué progressivement à compter de 2022 jusqu’en 2027) et donc la perte des économies avenantes aurait été de recycler la CRDS (soit 7,4 milliards d’euros en 2018) à compter de 2024 pour équilibrer le système de retraite. La fraction de la CSG aujourd’hui affectée à la CADES (8,1 milliards d’euros) étant fléchée vers le financement du 5ème risque de la dépendance. En réalité cette idée constitue largement une chimère, puisque parallèlement à l’amortissement de la dette reprise par la CADES, croît sournoisement la dette de l’ACOSS, explications :
Les particularités du traitement comptable de la CADES en comptabilité nationale :
Chaque année, le solde excédentaire de la CADES qui permet de présenter l’ensemble du solde des ASSO (administrations de sécurité sociale) en position bénéficiaire résulte d’un artifice de présentation subtile mais important : seule la charge des intérêts de la dette sociale logée dans la CADES est considérée comme une dépense des ASSO. Ainsi les recettes qui viennent couvrir le remboursement du capital à amortir, apparaissent fictivement comme excédent (une ressource induisant une capacité de financement) dans les comptes publics. Autrement-dit, la CADES qui est une « filiale » publique voit le capital amorti de la dette sociale historique dont elle a la charge, comme une dépense « privée ». Il en résulte plusieurs conséquencesVoir notre note en date du 17 octobre 2019, https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/des-finances-sociales-de-plus-en-plus-fragiles :
- L’amortissement de la dette ne dégrade pas les comptes publics, mais les prélèvements obligatoires affectés sont bien intégrés dans le périmètre de l’ensemble des P.O. ;
- En cas de cessation d’activité de la CADES, toute « affectation » de ces mêmes prélèvements à un autre secteur des ASSO (par exemple les retraites) aboutira à faire apparaître en face des « dépenses publiques » qui viendront dégrader le déficit public.
Pendant que la dette de la CADES baisse celles de l’ACOSS et de la CNRACL grimpent :
En loi de finances 2019 le législateur a tenté de faire reprendre à la CADES près de 15 milliards de dettes en provenance de l’ACOSS. Il faut dire que la situation de l’endettement de l’ACOSS est préoccupante (regroupant les déficits du régime général et du FSV (fonds de solidarité vieillesse) : la dette de l’ACOSS devait s’élever initialement à 17,7 milliards d’euros fin 2018, mais celle-ci atteindra finalement 23,5 milliards d’euros au 31 décembre. La trajectoire actuelle conduit à un encours estimé à 30 milliards en 2019, puis 46 milliards en 2022Soit trois fois la capacité d’amortissement actuelle de la CADES.. Cette dégradation est la conséquence du ralentissement de la conjoncture mais surtout de l’effet de la non compensation des mesures « Gilet jaunes ». Cette dette ne pourrait commencer à se résorber « spontanément » qu’à condition que les comptes du régime général et du FSV soient en excédent à compter de 2023, ce qui semble, là encore, particulièrement ambitieux (déficits hospitaliers récurrents, etc.)
A cette dette de l’ACOSS vient par ailleurs s’ajouter la dette croissante de la CNRACL qui est évaluée pour le moment à 1,8 milliard en 2020, si bien que la dette consolidée des ROBSS (régimes obligatoires de base de la sécurité sociale) pourrait avoisiner les 50 milliards d’euros en 2024. Précisons que 50 milliards d’euros, c’était un montant supérieur à celui de la dette à prendre par la CADES en 1996 (44 milliards d’eurosVoir les très bons développements consacrés à ce sujet par M. le sénateur Alain Joyandet dans ses rapports pour avis au nom de la commission des finances du Sénat sur les PLF 2019 et 2020. ) à sa création.
L’impossibilité actuelle de reprise de la dette de l’ACOSS par la CADES :
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoyait pourtant une stratégie de reprise partielle de la dette de l’ACOSS (soit 15 milliards d’euros), laissant une dette résiduelle portée par l’ACOSS de 8 milliards. La stratégie entreprise était la suivante :
- 1ère reprise de 6 milliards d’euros en 2020, puis de 6 milliards en 2021 et de 3 milliards en 2022 ;
- En face, un transfert de 5 milliards d’euros de recettes annuelles de CSG à la CADES d’ici 2022 (0,33 pt) : 1,5 milliard en 2020, 2 milliards en 2021 et 1,5 milliard en 2022.
Ce transfert devait obéir à un cadre juridique particulièrement contraignantEt prévus par l’ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale et surtout par la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n°2010-620 DC du 16 décembre 2010). :
- Aucune reprise de dette ne peut avoir pour conséquence d’allonger l’horizon d’apurement de la dette sociale (fixée en 2024) ;
- Les recettes affectées à la CADES doivent être stables et prévisibles ;
- Les recettes affectées ne doivent pas avoir pour conséquence de créer ou d’augmenter les déficits des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale.
Il est donc impossible, à la fois de repousser la date d’extinction de la CADES et d’opérer une reprise de dette sans transfert de recettes supplémentaires.
En pratique toutefois le transfert n’a pas eu lieu. En particulier parce que le transfert de 0,33 pt de CSG n’était pas compensé auprès des branches famille et maladie qui devaient donc pour que l’opération se réalise améliorer leur situation financière. Avec le changement de trajectoire des comptes sociaux en 2019, suite aux mesures « gilets jaunes » non compenséEn raison de l’application de la doctrine Dubertret/Charpy, qui met fin à titre dérogatoire au principe de compensation intégrale par l’Etat des mesures de transfert de recettes imposés à la sécurité sociale, voir notre note sur le sujet, en date du 28 mars 2019 https://www.ifrap.org/fonction-publique-et-administration/exclusif-le-contenu-du-rapport-dubertretcharpy-sur-le le transfert devient impossible.
Conclusion
Pour que la reprise de la dette de l’ACOSS et celle de la CNRACL par exemple soient possible, il faut que la mise en extinction de la CADES soit suivie par une « refonte de l’institution » sur de nouvelles bases permettant d’accueillir ces dettes, et qu’une nouvelle stratégie d’apurement soit mise en placesi les comptes sociaux ne s’améliorent pas suffisamment pour permettre un apurement spontané de la dette de l’ACOSS par ses seuls excédents à compter de 2023 (sans même parler de celle de la CNRACL).. Mais même si cette reprise est en définitive possible parce que le législateur aura créé par exemple « un fonds de lissage conjoncturel », l’affectation de la CRDS à cette tâche d’amortissement, ne rendra pas pour autant libre la fraction de CSG (0,6%) actuellement affectée à la CADES. En effet, elle pourrait être préemptée par le financement de la dépendance, avec un effet important pour les comptes publics, une dégradation d’environ 0,3 à 0,4 point de PIB du solde public (déficit de financement de 6,2 milliards d’euros d’ici 2024Voir rapport Libault sur la dépendance, mars 2019 : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_grand_age_autonomie.pdf). Non, on le voit bien, la piste d’un recyclage des prélèvements obligatoires affectés à la CADES pour compenser la suppression de l’âge pivot dans le cadre de la réforme des retraites, n’est pas une piste sérieuse à considérer en l’état de nos finances publiques.