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Budget : la prise d'otage des finances et des Français continue

Les oppositions qui ont voté la censure cherchent par tous les moyens à faire adopter un barème de l’IR afin que ne leur soit pas reproché d’avoir fait monter les impôts des ménages français. Leur amendement n’était pas recevable en loi spéciale contrairement à tout ce qui avait été dit avant la censure pour rassurer l’opinion publique par les uns et les autres. Las, ils se réfugient dans un projet de texte portant diverses dispositions d’ordre économique et social qu’ils voudraient faire passer avant la fin de l’année avec un nouveau barème de l’IR. Ce texte n’a pas beaucoup plus de chances de passer que leur amendement/ cavalier à la loi spéciale. Et pour cause. Tout cela est de plus en plus bancal. Ce qu’il faut absolument à la France, c’est un budget pour l’Etat et un budget pour la Sécu en bonnes et dues formes. Ceux qui ont censuré le gouvernement Barnier n’ont pas du tout envie de voter ces textes en début d’année prochaine. Ils veulent bien revaloriser le barème de l’IR … mais pas voter les textes ! Sans l’assumer, sans le dire vraiment, ils font tout pour la France n’ait pas de budget l’an prochain et que nous continuions à avancer vers le chaos institutionnel et budgétaire. C’est extrêmement dangereux. Cela ne peut pas durer. Et cela doit être dévoilé. 

Le projet de loi de finances spéciale (PLS) pris en vertu de l’article 47 de la constitution et de l’article 45 de la LOLF a été examiné puis discuté et adopté en extrême urgence à l’Assemblée nationale le 16 décembre. Il devrait l’être également au Sénat le 18 décembre, soit un jour avant la date butoir imposée par l’article 45 de la LOLF (19 décembre). Ce projet de loi qui « constitue un élément détaché, préalable et temporaire de la loi de finances » au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, autorise le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts existants (dans les termes de la LFI 2024) jusqu’au vote de la loi de finances de l’année… la bataille pour l’adoption d’un budget 2025 qui n’a pu être adopté dans les délais impartis de 70 jours soit avant le 11 décembre, ne fait que commencer.

Disons-le tout de go, la situation est très mal engagée : certains groupes politiques à l’Assemblée nationale ont d’abord commencé à tester l’état de droit en voulant insérer une revalorisation du barème de l’impôt sur le revenu 2024 – donc perçu en 2025 – de l’inflation… au prétexte que la non-actualisation du barème ferait mécaniquement entrer près de 380.000 nouveaux contribuables dans le champ de l’impôt et que la facture fiscale s’alourdirait pour les contribuables entre 2,6 et 3,7 milliards d’euros[1]. Pourtant dans son avis rendu public sur le PLS, le Conseil d’Etat était catégorique[2] : Le Conseil d’Etat estime (…) que l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu, laquelle n’est au demeurant pas systématiquement opérée et a déjà fait l’objet de modulations par le passé (…) ou encore la modification du droit aux fins de prolonger la durée de l’application de crédits d’impôts (…) ne sont pas au nombre des dispositions ayant leur place en loi spéciale dès lors qu’elles constituent des modifications affectant les règles de détermination des impôts existants et excédent ainsi l’autorisation de continuer à percevoir ces impôts. » Il faut sur ce point souligner le rôle historique de la Présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet qui prenant ses responsabilités a déclaré l’irrecevabilité des 4 amendements visant à modifier le barème au titre de l’article 40. Elle a ainsi rejeté  l’argumentaire spécieux du Président de la commission des finances Eric Coquerel selon lequel chaque amendement « a précisément pour objet de neutraliser l’effet de l’inflation, qui est une variable macroéconomique indépendante de la volonté du législateur (…) de sorte que le cadre fiscal demeure effectivement inchangé pour le contribuable. » La logique n’est bien entendu pas économique mais juridique. En effet la procédure extraordinaire de la loi spéciale vaut prolongation du consentement de l’impôt exprimé par le Parlement l’année précédente, mais pas s’agissant des dépenses de l’Etat. Ces dernières doivent en effet être réduites aux services votés (dépenses courantes) suivant les plafonds de l’année précédentes et autorisées provisoirement par décret du Gouvernement (démissionnaire ou non) avant l’adoption d’une loi de finances 2025 votée en bonne et due forme en cours d’année, permettant d’exprimer le double consentement annuel des impôts[3] et des dépenses publiques. 

Pour éviter le shut-down des services publics, deux articles complémentaires permettent d’augmenter le plafond indicatif de la dette négociable de l’Etat de 300 milliards d’euros mais aussi de permettre à l’ACOSS, à la CNRACL et à d’autres organismes sociaux de s’endetter sans restriction pour couvrir le creusement des déficits publics qui ne manqueront pas survenir dans les comptes sociaux faute d’adoption d’une loi de financement en 2025, la censure du Gouvernement Barnier étant intervenue le 4 décembre précisément lors de son examen. Enfin un quatrième article est inséré pour permettre les prélèvements sur recette au bénéfice des collectivités territoriales, mais à leur niveau 2024.

La bataille du budget de 2025 ne fait que commencer. Pas rebutés par le rejet de leurs amendements au PLS, le Président et le Rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale annoncent vouloir en passer par une loi DDOES (portant diverses dispositions d’ordre économique et social) afin d’ajuster le barème de l’IR. Cette technique semble elle aussi assez fragile dans la mesure où elle vise ni plus ni moins qu’à contourner le domaine réservé de la loi de finances. Par ailleurs, rien n’indique que ce vecteur ne servira pas à porter d’autres dispositions qui auraient dû figurer en loi de finances. Les dispositions devront toutes cependant passer elles aussi au crible de l’article 40 et le renvoi traditionnel aux accises et à la levée de gage du Gouvernement ne sera sans doute pas suffisant pour en garantir le financement. 

La situation Mahoraise à l’issue du passage du cyclone Chido témoigne des chocs extérieurs imprévisibles qui peuvent secouer le pays, et la nécessité de pouvoir financer des dépenses exceptionnelles de solidarité et de reconstruction qui excéderont par définition largement les actuels « services votés » 2024, à très bref délais. Nos finances publiques sont prises en otage et toute notre économie avec. Entre ceux qui veulent utiliser cette question d’indexation du barème de l’impôt sur le revenu pour accélérer la reprise de l’examen du budget pour 2025 et ceux qui veulent s’affranchir a minima de la contrainte d’une loi de finances. On peut donc faire le pari que le budget 2025 n’est pas parti pour être adopté rapidement… en 2025, malgré le rôle constructif de la Présidente de l’Assemblée nationale et de garant des institutions que joue le Sénat. Ce jeu politique a déjà trop duré.


[1] https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/loi-speciale-cette-astuce-juridique-qui-permettrait-dindexer-le-bareme-de-limpot-sur-le-revenu-2136885

[2]CE, avis n°409081, 9 décembre 2024, https://www.conseil-etat.fr/content/download/222470/document/409081-Extrait%20conforme%20%28word%29_Avis.pdf, voir également Jean-Pierre Camby, Sur le barème de l’impôt sur le revenu en l’absence de loi de finances, Revue Politique, 4 décembre 2024, https://www.revuepolitique.fr/sur-le-bareme-de-limpot-sur-le-revenu-en-labsence-de-loi-de-finances/ 

[3] En théorie juridique on distingue en effet le consentement à l’impôt (qui relève du for du contribuable) et le consentement de l’impôt qui relève du Parlement, ce dernier consistant en l’autorisation à percevoir les impôts accordés. Historiquement le consentement de l’impôt précède le consentement des dépenses, qui suppose que le Parlement autorise le Gouvernement à dépenser et vérifie l’emploi des fonds qui ont été votés. Voir sur ce sujet, M. Bouvier, L’impôt sans le citoyen ? Le consentement à l’impôt, un enjeu crucial pour la démocratie, LGDJ, Paris, 2019.