Bercy : il faut « professionnaliser » le service en charge des non-résidents
Dans un référé publié le 12 mai mais qui date du 23 février 2015, la Cour des comptes s’attaque à l’audit de la DRESG, la direction des résidents étrangers et des services généraux. Derrière cet acronyme se cache en réalité une structure polyvalente aux fonctions extrêmement hétérogènes : elle a en charge non seulement la fiscalité des non-résidents (gestion, contrôle, recouvrement) qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales, mais également la gestion de certains services généraux comme la gestion de la paie des personnels de l’ensemble de la DGFiP pour le compte de l’administration centrale, activité qui mobilise le tiers de ses effectifs (160 agents sur 480), ainsi que le recouvrement des prélèvements fiscaux et sociaux retenus à la source sur les revenus de capitaux mobiliers pour les résidents comme les non-résidents. Bref, un mélange des genres qui s’accompagne d’une tutelle historique évidemment mal orientée, puisqu’il s’agit du chef de service des ressources humaines de la DGFiP et non du chef de service de la gestion fiscale. Quand on sait que c’est cette même direction qui a en charge de décaissement pour les non-résidents d’un certain nombre de paiements liés aux contentieux à forts enjeux perdus par la France (contentieux OPCVM, contentieux précompte, contentieux à venir suite aux conclusions de l’arrêt de Ruyter, ainsi que ceux liés au taux d’imposition des plus-values immobilières, ainsi que les prélèvements sociaux perçus sur les revenus fonciers et immobiliers etc.), on comprend que cette direction est stratégique et qu’il est urgent de réformer. La Cour ne ménage pas ses propos et le ministère n’a pas daigné y apposer ses propres observations.
Des résultats décevants pour une direction stratégique :
Évidemment, avec des attributions aussi disparates, il n’est pas étonnant que les résultats se révèlent décevants… alors que le pilotage de la fiscalité des non-résidents, tâche éminemment complexe, devrait être le fait d’une administration d’élite, les résultats de l’audit réalisé par la Cour des comptes sont tout autres[1] :
Les Français inscrits sur le registre des Français établis hors de France des services consulaires étaient de 1.640.000 au 31 décembre 2013. Leur nombre suit une croissance de 3% par an. Un chiffre qui s’appuie avant tout sur la mobilité géographique plus dynamique des travailleurs français dans un contexte d’intensification de la mondialisation. La plupart de ces citoyens ayant quitté le territoire national n’entretiennent plus de relations fiscales avec leur pays d’origine. Il n’en reste pas moins que la DRESG a reçu en 2013 199.000 déclarations d’imposition sur le revenu et 6.000 déclarations d’impositions sur la fortune. Pour autant les performances du service qui doit s’assurer du suivi de ces contribuables sont mauvaises. La Cour relève ainsi que « la DRESG devrait en conséquence faciliter le respect de leurs obligations fiscales [à ces mêmes Français établis à l’étranger] en leur apportant l’information nécessaire par des voies adaptées à une résidence dans des pays où les modes de communication traditionnels, le courrier notamment, fonctionnent parfois difficilement. » (on pense par exemple à certains pays d’Amérique latine ou d’Afrique). Or que constate-t-on ?
- Que l’accueil téléphonique de la DRESG ne parvient à traiter que 25% des appels en moyenne sur trois ans (2011-2013) ;
- Que les boîtes mails de la DRESG ne sont pas adaptées à envoyer ou recevoir des documents volumineux (or c’est précisément par ce biais, via notamment des documents scannés que les non-résidents peuvent communiquer avec les services fiscaux hexagonaux) ;
- Que les mails en souffrance sont eux-mêmes traités avec lenteur, le stock non traité pouvant représenter 10% du trafic annuel (soit 100.000 mails/an) ;
- Que rien n’a été fait pour faciliter la télédéclaration des non-résidents, notamment parce que les avis d’imposition jusqu’en 2012 ne comportaient pas le revenu fiscal de référence permettant précisément d’ouvrir un compte personnel sur le site impots.gouv.fr...
- ... ni leur mensualisation, en l’absence de l’ouverture d’un compte bancaire en France (obligation de domiciliation) alors que des partenariats avec des banques au réseau mondial (tel HSBC), ou des banques partenaires des réseaux consulaires, auraient permis de résoudre cette difficulté (c’est nous qui notons) en constituant un vivier de correspondants (permettant une "domiciliation fiscale" de substitution).
En définitive, se rendant injoignables et dans l’incapacité de traiter de façon rapide et pertinente les demandes d’information et de précisions qui lui sont adressées, l’administration fiscale ne permet pas de « sécuriser » les contribuables non-résidents. Or le fait même que ces non-résidents continuent d’entretenir une relation patrimoniale et financière fiscalisée avec la France nonobstant leur résidence à l’étranger devrait constituer un axe structurant de la politique d’attractivité hexagonale.
Plus prosaïquement, les mouvements incessants de la législation fiscale française constituent des éléments particulièrement déstabilisants pour les non-résidents assujettis en France, surtout si les services tardent à prendre les mesures réglementaires et interprétatives adéquates, nonobstant leur saisine récurrente par la DRESG. Ainsi la Cour relève que :
- S’agissant de l’exit tax réintroduite en 2011[2] à compter du 3 mars, le décret d’application n’a été publié que le 7 avril 2012, mis en ligne le 12 juin, l’instruction fiscale attenante étant publiée le 31 octobre 2012. La DRESG a saisi en septembre 2012 et en avril 2013 la DGFiP (et vraisemblablement la DLF) s’agissant des difficultés d’interprétation notamment concernant les garanties relatives aux sursis de paiement. Des difficultés perduraient encore fin 2014 ;
- S’agissant du contentieux OPCVM (condamnation de la France par arrêt du 10 mai 2012 de la CJCE), la LFR du 16 août 2012 a exonéré de retenue à la source les OPCVM étrangers sous la condition de présenter « des caractéristiques similaires à celles d’OPCVM français », sans plus de précisions. La DRESG a saisi le 5 octobre 2012 la DGFiP pour interprétation, qui n’est remontée que le 6 août 2013, soit un an plus tard. Par mesure de sécurité dans l’entre-deux les banques en tant qu’organismes collecteurs avaient continué à pratiquer la retenue, donnant lieu pour le futur à la certitude de créances de remboursement massives assorties d’intérêts de retard pour l’administration.
Il faut faire éclater la DRESG et renforcer le secrétaire et le secrétariat général du ministère :
La Cour en termes choisis évoque effectivement un éclatement de la structure de la DRESG. C’est une bonne préconisation, mais qui butte sur celle qu’elle avait par ailleurs formulée dans un précédent référé en date du 25 juillet 2014, publié le 13 octobre[3] relatif aux secrétaires généraux et secrétariats généraux de ministères. En effet la Cour relève qu’il « serait plus logique et plus efficace de faire gérer les fonctions de support de l’administration centrale par celle-ci ou par le secrétaire général du ministère des Finances », et de faire de la DRESG un service à compétence nationale à vocation exclusive en direction des non-résidents. Cela équivaut à dire qu’il faudrait scinder ses activités de « services généraux » notamment RH (fonction paie) qui mériteraient de se voir transférées à l’administration générale ou mieux au secrétariat général du ministère afin de faire de la DRESG devenue DRE (direction des résidents étrangers) un SCN exclusivement dirigé vers les non-résidents.
Pour autant, la Cour notait dans son référé du 25 juillet que, non seulement la création d’un secrétaire général à Bercy datant de la circulaire du 2 juin 2004 n’avait vu la création ultérieure d’un secrétariat général n’intervenir qu’à compter de 2010, soit six ans plus tard (notamment à cause de l’effet fusion), mais qu’en outre, après la phase d’un secrétaire général sans secrétariat, la survenance de celui-ci ne le rendait pas plus apte à s’imposer à sa propre administration, notamment s’agissant de la gestion des ressources RH[4]. Il faudrait donc que le redimensionnement de la DRESG se fasse conjointement à la montée en puissance des attributions du secrétaire et du secrétariat général des ministères financiers (ou dans une vision médiane à la concentration des fonctions RH dans l’administration centrale de la DGFiP). La Cour relève à cet égard dans son référé de juillet 2014 que : « au sein des ministères économiques et financiers, la volonté de moderniser et de décloisonner les administrations centrales a été l’axe fondateur de la mise en place du secrétaire général, même si l’enquête de la Cour a constaté les difficultés persistantes de la coordination des dix-huit directions d’administration centrale différentes dont une très importante direction générale à réseau. »
Enfin, il importe de faire monter en puissance la « professionalisation » de la DRESG en recrutant des agents au profil adapté afin notamment de renforcer les pôles contentieux et recouvrement. À cet égard, il devrait il y avoir (ce que ne précise pas la Cour) :
- La passation de conventions d’échange d’informations plus soutenues avec la DNEF (Direction nationale des enquêtes fiscales), la DVNI (direction des vérifications nationales et internationales) et la DNVSF (direction nationale des vérifications de situations fiscales), afin d’améliorer les signalements précoces et le traitement des risques, ainsi que le suivi des « impatriations » (retours sur le territoire national) 5] ;
- Améliorer les taux de recouvrement qui ne sont que de 91% (contre 98% au niveau national) à l’échéance et de 55% (contre 75% au niveau national) à deux ans en cas de contrôle externe ;
- Prioriser la coordination avec la DLF (direction de la législation fiscale) s’agissant des interprétations à apporter face aux changements législatifs et réglementaires qui concernent les non-résidents (la Cour ne préconise pas un tel rapprochement, mais de raccourcir la publication des décrets d’application et des instructions qui en découlent. Nous estimons qu’il faudrait au contraire mettre un point d’honneur à améliorer les relations avec ce service en particulier) ;
- Informatiser en priorité la DRESG et lui attribuer des cadres supérieurs compétents et formés. À l’heure actuelle relève la Cour « son directeur ne peut recruter au profil qu’un nombre très limité de cadres supérieurs » alors que d’autres directions nationales d’enquêtes choisissent elles-mêmes leurs cadres spécialisés ;
- Mettre l’organisme sous la tutelle du chef de service de la gestion fiscale.
Conclusion :
Avec des arriérés de créances d’un montant de 500 millions d’euros (soit près d’un an de produit de l’IR des non-résidents) et un taux de relance extrêmement faible (notamment parce que les relances pour l’ISF n’ont été systématisées qu’à compter de 2012), la DRESG n’affiche pas des performances brillantes. La Cour cible donc un « ventre mou » de Bercy, un service trop dispersé dans ses missions très hétérogènes avec une tutelle qui n’est pas adaptée. Il en ressort des résultats en accord avec ces constatations empiriques :
- Une performance en termes de gestion et de contrôle médiocre ;
- Un positionnement qui l’affaiblit dans ses relations avec les autres directions nationales d’enquêtes fiscales ou techniques ;
- Un professionnalisme qui reste en devenir, étant entendu que la sous-informatisation induit un travail de saisie manuel rébarbatif chronophage qui consomme le temps des équipes ;
- Une relation « client » très perfectible en direction d’un public sensible, vulnérable car éloigné, et qui pourrait faire le choix de couper les ponts patrimoniaux et fiscaux avec la France afin de limiter les complications induites. Visiblement les non-résidents ne sont pas encore atteints par « la relation de confiance ».
Ce référé invite par ailleurs à formuler les observations complémentaires suivantes :
- Alors que le rapport d’activité annuel de la DGFiP va paraître dans les prochaines semaines, il serait bon que celui-ci, comme ceux de l’ensemble de l’administration d’État, fasse l’objet d’observations officielles de la Cour des comptes sur les performances et les indicateurs affichés. À l’instar de Singapour[6], la Cour pourrait ainsi offrir le pendant des réponses des ministères à ses propres contrôles. Il en irait de la crédibilité de ce genre de publications.
- Bercy, qui dispose de 18 directions d’administration différentes, doit faire monter en puissance son secrétariat général et pour cela les pouvoirs publics doivent lui en donner les moyens : au niveau informatique, au niveau budgétaire et au niveau RH. Ainsi débarrassé de ses tâches transversales, la DRESF devrait pouvoir enfin se concentrer sur son cœur de métier, le service aux non-résidents et son contrôle.
[1] Voir Cour des comptes,
[2] Elle avait été introduite en 1999 puis supprimée par la CJCE en 2004 avant qu’une nouvelle mouture quasiment constitutive d’un abus de droit de la puissance publique (c’est-à-dire dans un but exclusivement fiscal consistant à contourner la jurisprudence européenne incriminée) ne parvienne à la réintroduire.
[3] Voir Cour des comptes,
[4] S’agissant de l’ensemble des ministères audités, elle relevait que « l’hétérogénéité la plus grande se révèle en matière de gestion du personnel : le champ couvert par le secrétariat général va de la gestion des seuls corps d’administration centrale à celle de la totalité du personnel du ministère ». La Cour relevait au surplus que « Subsistent, néanmoins quelques ministères (Intérieur, Justice, ministères économiques et financiers) – ceux dans lesquels la fonction de secrétaire général a le plus de mal à s’imposer – où des progrès importants restent à accomplir en matière de transversalité de la gestion des cadres dirigeants. » A fortiori pour les fonctions RH subalternes puisque la DRESG ne dépendant pas du secrétariat général mais du chef de service des ressources humaines.
[5] « Le nombre de dossiers transmis par ces directions à la DRESG est en diminution constante et la DRESG connaît rarement les suites données aux informations qu’elle leur transmet. »
[6] Voir notre récente note du 3 avril 2015,