Alerte sur les 100 milliards de déficit commercial
Le déficit commercial de la France vient de passer la barre des -100 milliards d'euros sur une année d'après les dernières données des Douanes. En 2001, nous affichions encore un excédent de +2,2 milliards d'euros. Une dégringolade qui fait froid dans le dos et qui signifie que les produits français intéressent moins et même, de moins en moins. La comparaison avec l'Allemagne est particulièrement rude, en 2021 et malgré un recul net depuis 5 ans, nos voisins affichaient encore un excédent commercial à +173 milliards d'euros contre un déficit à -84 milliards pour la France.
Pour la France, il était attendu que la barre symbolique soit dépassée fin 2022. C'est finalement beaucoup plus tôt et la guerre en Ukraine qui a déstabilisé les prix de l'énergie et les importations n'est pas la seule coupable. Par exemple, si oui, notre solde sur les produits "Energie" s'est effondré de -20 miliards au 1er trimestre 2022... il affichait déjà un déficit de -16 milliards au 4ème trismestre 2021. En vérité, notre industrie, malmenée de tous les côtés, subit une véritable plongée en enfer depuis plusieurs décennies.
Si l’industrie représente 74 % des exportations françaises, le déséquilibre de la balance commerciale française en produits manufacturés reste très important, et pas seulement par rapport à la Chine. Le plus inquiétant est le déficit avec le reste de l’Union européenne. Contrairement aux idées reçues, nous importons beaucoup plus d’Allemagne, avec 81,4 milliards en 2021, que de Chine, avec 64,4 milliards. Et, entre 1990 et 2019, la part des exportations de biens français dans les exportations de la zone euro est en chute libre, passant de 17,4 % à 11,8 %. Par exemple, le déficit commercial de la France avec l’Allemagne est abyssal avec presque 12,8 milliards d’euros en négatif. Avec l'Union européenne, le déficit est de 56,7 milliards, avec la Chine il est de 34,6 milliards d’euros. Depuis 2008, la Chine est le déficit bilatéral le plus élevé de la France alors qu'il n'était que de -5,7 milliards en 2000.
D’après l’Insee, de 1970 à 2016, la part de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière a baissé dans la richesse nationale de 22,3 à 10,2 %. En comparaison, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB en Allemagne monte à 20,6 %, soit deux fois plus qu’en France. L’Italie et l’Espagne ont aussi une industrie manufacturière plus importante qu’en France avec respectivement 14,6 % et 12,8 % de la valeur ajoutée.
Tout le monde est maintenant d’accord sur le fait qu’il faut réindustrialiser la France. Mais le risque est grand que cela soit trop peu et trop tard. Les pertes de tissu industriel subies au cours des trente dernières années sont énormes. En 2019, le solde des ouvertures d’usines était négatif (58 ouvertures pour 76 fermetures). La dernière usine de tabac implantée en Dordogne a, par exemple, dû fermer ses portes.
Même s’il semblerait que l’on ouvre désormais un peu plus d’usines qu’on n’en ferme, moins de 30 % des projets se concrétisent dans les 24 mois, ce qui est anormalement long. En outre, un nombre conséquent de procédures est exigé, en fonction du terrain, de la faune et de la flore, ce qui constitue un frein au développement territorial. Créer une usine en France ? C’est le parcours du combattant. Et à ça s’ajoute l’instabilité de la loi : entre 1994 et 2013, un article sur cinq relevant de l’industrie a été modifié, ce qui a mené à une multiplication des contentieux à cause des diverses interprétations des normes. En matière d’urbanisme, le nombre de contentieux est passé de 603 en 2015 à 845 en 2018.
Cela dit, quand on entend partout que notre problème de compétitivité dans l’industrie est réglé, car le coût d’une heure de travail dans ce secteur serait maintenant moins élevé en France qu’en Allemagne, il semble qu’un élément de poids ne soit pas pris en compte pour faire cette comparaison : le coût total pour l’employeur. Au-dessus du coût de l’heure brut, il y a le coût avec les charges patronales. Et là, ce n’est pas exactement la même histoire.
Pour un salaire moyen français net autour de 2 100 euros par mois, l’entreprise française paiera 42 700 euros par an. Avec la même dépense annuelle pour l’employeur allemand, le salarié allemand touchera 2 275 euros nets par mois ; soit 175 euros de plus. Et, plus on monte dans les niveaux de revenus, plus l’écart est important. Un salarié qui coûte au total à l’entreprise 84 700 euros touchera 46 458 euros par an en France, soit 3 870 euros par mois quand son collègue allemand, pour le même coût pour l’entreprise, touchera 4 610 euros. Un écart de 738 euros par mois et de 8 800 euros par an…Donc, quand on dit partout que, dans l’industrie, la France est à 38 euros de l’heure, la zone euro à 34 et l’Allemagne à 41 euros, on se trompe totalement. En réalité, il faudrait comparer secteur par secteur entre la France et l’Allemagne, car la comparaison globale est biaisée par le fait que les sous-secteurs industriels n’ont pas du tout le même poids des deux côtés du Rhin.
Les coûts salariaux sont en effet plus chers de 30 % en France, par exemple, pour l’installation et la réparation de machines d’équipement, de 15 % pour l’industrie du papier et du carton, de 15 % pour la fabrication de caoutchouc et de plastique… Et, si nous avions la même répartition sectorielle que l’Allemagne, le coût des salaires dans l’industrie serait inférieur de presque 11 % en France.
Bref, il est assez navrant de voir le gouverneur de la Banque de France déclarer que, malgré la restauration de la compétitivité-coût qu’il considère déjà effective, la simple stabilisation des performances à l’exportation avant 2020 reste une « énigme ». Pendant ce temps-là, la croissance potentielle de la France reste scotchée à 1,35 % en 2022.