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64 milliards : le pic 2021 des taxes environnementales

... avant une possible baisse liée au bouclier énergétique ?

Au sein du projet de loi de finances est désormais annexé un document appelé Bilan environnemental du budget de l’Etat. Pour 2023, celui-ci nous indique que les taxes environnementales portées par le budget de l’Etat baisseraient de 3,476 milliards d’euros par rapport à 2022. Cette baisse serait à attribuer aux mécanismes de bouclier énergétique, d’abord centré sur le prix de l’électricité, les recettes fiscales environnementales atteignant 23,7 milliards d’euros en 2023. Mais cette appréciation reste incomplète. En effet il faut s’interroger sur le périmètre de l’ensemble des administrations publiques afin de bien cerner le volume des taxes environnementales dans leur globalité. Nous estimons qu’en 2023 sur ce périmètre avec 58,064 milliards d’euros, les taxes environnementales fléchiraient de -2,95 milliards d’euros par rapport à l’année précédente, de 6 milliards depuis 2021. Cependant cette baisse totale est purement conjoncturelle : elle repose sur la mise à son niveau plancher la taxation de l’électricité dans le cadre du bouclier énergétique… En cas de suppression des allègements fiscaux sur les énergies en 2024, la facture pourrait exploser, soit près de 68,3 milliards d’euros toutes APU et les 34,3 milliards d’euros…

Il faudrait y ajouter (ce que ne fait pas le gouvernement) le produit de la TVA assise sur ces mêmes consommations énergétiques, qui devrait être très dynamique et son augmentation pourrait dépasser le milliard d’euros même en période de contrôle des prix. Or elle n’apparaît pas dans ce bilan.

Sur l’ensemble des APU, les taxes environnementales baisseraient de -6,05 milliards d’euros depuis 2021

Une perspective globale des taxes environnementales sur l’ensemble du périmètre des APU est disponible généralement en mars/avril à l’initiative du ministère de l’Environnement et du développement durable[1], mais au moins avec une année de retard. Cela ne suffit donc pas pour avoir une perspective prévisionnelle de la fiscalité environnementale. Pour autant en exploitant les documents budgétaires annexés au PLF 2023 il est possible de disposer d’une documentation de base fiable, en tenant compte des taxes affectées aux opérateurs[2] concernés en sus du budget de l’Etat stricto sensu, ainsi que de la fiscalité environnementale attribuée aux collectivités territoriales et in fine l’exploitation des rapports de la commission des comptes de la sécurité sociale, pour le financement des régimes spéciaux de retraite des IEG (industries électriques et gazières).

 

2021

2022

2023

Energie/climat

46 377

41 934

38 265

Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE)

30 322

31 328,5

30 992,4

Taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN)

2 298

2 370

2 401

Taxe intérieure de consommation sur la consommation finale d'électricité (TICFE)

7 381

2 573

0

Taxe communale sur la consommation finale d'électricité (TCCFE)

852

852

0

Taxe départementale sur la consommation finale d'électricité (TDCFE)

677

0

0

Contribution tarifaire d'acheminement

1 670

1 643

1702

Autres

3 177

3 167

3 170

Transport

4 870

5 862

6 204

Taxe régionale à l'immatriculation

2 163

2334

2334

Taxe annuelle relative aux émissions de polluants atmosphériques (ex TVS)

752,5

732,5

759,8

Taxe due par les concessionnaires d'autoroute

566,7

655

680

Taxe d'aéroport

423

795,1

933

Autres

965

1 346

1 497

Pollutions/ressources naturelles

12 872

13 223

13 595

Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)

824

952

1 019

Taxe d'enlèvement des ordures ménagères

7 432

8000

8300

Taxe pour la protection du milieu aquatique

2 216

2 198

2 198

Taxe locale sur la publicité extérieure

194

194

194

Redevance d'archéologie préventive

153

 

 

Autres

2 053

1 879

1 884

Total

64 119

61 019

58 064

Source : Annexes au PLF 2023, comptes de la sécurité sociale, Observatoire des finances locales, INSEE.

Il apparaît que le produit des taxes environnementales baisserait de -2,955 milliards d’euros en 2023 à 58,1 milliards d’euros contre 61,02 milliards en 2022 et 64,12 milliards en 2021. L’ensemble des baisses serait porté par le compartiment Energie/Climat notamment à cause de la mise en place des mesures de protection liées à la crise de l’énergie provoquée par le conflit en Ukraine et au blocage imposé à la Russie : significativement en matière de gaz et de pétrole et par contre-coup sur le prix de l’électricité (à cause du coût marginal de l’électricité produite avec des centrales à gaz). Sur ce segment « Energie/Climat », les baisses s’élèveraient à -3,7 milliards d’euros en 2023 par rapport à 2021, et en baisse cumulée totale de -8,1 milliards d’euros, à 38,27 milliards d’euros.

Les remises accordées sur les prix à la pompe expliquent l’essentiel de la quasi-stabilité de la TICPE sur 3 ans ainsi que la baisse de la consommation (report modal, modifications des habitudes de transport). En réalité il existe une baisse de produit pour l’Etat, mais les fractions transférées aux collectivités territoriales ne sont pas concernées par les baisses décidées par l’exécutif, ce qui amoindrit, voire neutralise ces baisses (voir tableau infra s’agissant des taxes environnementales concernant le Budget de l’Etat) au niveau global.

 

2021

2022

2023

Var 22-21

Var 23-22

Total Var

Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE)

30 322

31 328,5

30 992,4

1 006,5

-336

670

 dont Accise sur les énergies -Fraction perçue ex-TICPE prise en charge par l'Etat

20 231

19 976

18 816

-255

-1 160

-1 415

 dont Accise sur les énergies -Fraction perçue ex-TICPE transférée aux collectivités territoriales

10 091

11 353

12 176

1 261,5

823,9

2 085,4

Source : Annexes au PLF 2023, V&M tome 1 et Budget vert de l’Etat 2023.

Ainsi que le détail le rapport relatif aux Voies et Moyens tome 1 annexé au PLF 2023, « Hormis transferts spécifiques, les montants de TICPE garantis aux régions et départements (…) sont calculés à partir des fractions appliquées à des consommations historiques. Les volumes qui leurs sont transférés chaque mois s’appuient toutefois sur les volumes de l’année en cours. » Mais si en fin de gestion « certains montants transférés » s’avèrent plus faibles que les « montants annuels garantis, les régions et départements bénéficient d’une régularisation en fin d’année à partir de la part de TICPE revenant à l’Etat conformément aux garanties constitutionnelles s’attachant aux droits à compensation[3]» Ainsi les montants versés aux collectivités sont garantis[4], tandis que les montants perçus par l’Etat sont impactés par la garantie que ce dernier leur offre.

Les recettes de TICGN sont également impactées et ne croîtraient que très faiblement sur la période à cause du gel décidé des « tarifs réglementés de vente du gaz naturel (TRVg) » qui ont été gelés « à leur niveau d’octobre 2021 ». Il en résulte une hausse de 103 millions d’euros sur 3 ans.

TICFE : une baisse en trompe l’œil pour une recette fiscale dynamique

Le produit de la TICFE s’effondrerait puisqu’elle serait baissée à son niveau plancher dans le cadre du bouclier énergétique[5] (conventionnellement estimée à zéro dans le budget vert de l’Etat). La baisse de la TICFE s’ajouterait à la baisse de la TCCFE (taxe communale sur la consommation finale d’électricité), l’ensemble de ces taxes de concert avec la TDCFE (taxe départementale sur la consommation finale d’électricité) étant recentralisées progressivement en 2022 (part départementale) et en 2023 (part communale) dans le cadre de leur inclusion au sein d’une Accise sur les énergies unique incluant également la TICPE[6]. Le bilan de cette baisse de la TICFE est massif, puisqu’il représente une baisse en trois ans de 8,2 milliards d’euros. Une baisse documentée en comptabilité nationale comme une perte atteignant même près de 9,4 milliards d’euros en 2023 après 7,4 milliards en 2022 à cause du dynamisme même de la taxe[7].

Mais attention, lorsque les dispositifs du bouclier énergétique seront supprimés, la fraction électricité de la nouvelle accise sur les énergies devrait de nouveau augmenter et constituer une recette dynamique dans le panier des taxes environnementales.

Il est ainsi possible de modéliser le produit de la TICFE en 2024 si la crise énergétique ne durait encore qu’un an et que les mesures fiscales soient les premières à être rapportées en comptabilité nationale. Si l’on tient compte de la montée en puissance de la consommation d’électricité au travers des véhicules électriques[8] (+6% pour les particuliers et les entreprises à cette date) : le produit de la taxe attendue pour 2024 pourrait s’établir à 10,6 milliards d’euros (en comptabilité nationale), et cela ne serait qu’un début dans la mesure où la consommation électrique pourrait quasiment doubler (+64% dans les 20 prochaines années si le parc de véhicules électriques parvenait à se généraliser à cet horizon) :

Au niveau de l’Etat, les taxes environnementales baisseraient de 8,7 milliards d’euros depuis 2021

L’apparence de baisse est la plus sensible au niveau de l’Etat puisque c’est là que les pouvoirs publics ont décidé de centraliser le produit de la nouvelle accise sur l’énergie et en particulier sa composante électrique. En conséquence le Bilan de la fiscalité environnementale de l’Etat offre un profile conjoncturellement flatteur :

 

2021

2022

2023

Energie/climat

30 501

25 500

21 801

Accise sur les énergies -Fraction perçue ex-TICPE

20 231

19 976

18 816

Accise sur les énergies -Fraction perçue ex-TICGN

2 298

2 370

2 401

Accise sur les énergies -Fraction perçue ex-TICC

20

10

10

Taxe incitative à l'utilisation d'énergies renouvelables dans les transports (TIRUERT - ex-TRIB)

1

1

4

Accise sur les énergies - Fraction perçue ex-TICFE

7 381

2 573

0

Taxe sur les installations nucléaires de base

560

560

560

Taxe additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base, dite "recherche"

10

10

10

Transport

221

602

753

Taxe sur l'immatriculation des véhicules

0

4

4

Taxe sur le renouvellement du permis de conduire

1

3

3

Taxes sur l'affectation des véhicules à des fins économiques (ex-TSVR)

12

182

189

Taxe sur les recettes d'exploitation du réseau autoroutier concédé

0

88

113

Taxe sur les recettes d'exploitation du réseau autoroutier concédé

2

 

 

Taxe sur le transport aérien de passagers - tarifs de l'aviation civile

206

325

444

Pollutions/ressources naturelles

1 105

1 059

1 131

Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)

824

952

1 019

Taxes et redevances milieu aquatique

22

0

0

Taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d'art, de collections et d'antiquités

95

95

100

Redevance d'archéologie préventive

153

 

 

Taxe sur la cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles

11

12

12

Total

31 827

27 161

23 685

Source : Budget vert de l’Etat 2023.

Une taxe environnementale cachée : la TVA sur les produits énergétiques

La fiscalité environnementale qui frappe les prix de l’énergie n’est pas exclusive de la perception d’un produit de TVA assis sur la même assiette et qui s’ajoute au prix déjà chargé par les taxes sectorielles dédiées. La TVA agit donc comme une « surtaxe » environnementale.

D’après les dernières données disponibles, la TVA assise sur ces produits énergétiques représentait un produit de 14,5 milliards d’euros en 2018[9], puis de 14,64 milliards en 2019.

 

Produits pétroliers raffinés et biocarburants

Gaz naturel

Electricité

Total

TVA 2018

9 047

1 433

4 060

14 540

TVA 2019

8 815

1 621

4 205

14 641

 Source : Les chiffres clés de l’énergie, 2020, 2021

Or en 2021, le gouvernement estimait un gain de TVA lié à un début de hausse de la facture énergétique sur le gaz de 600 à 620 millions d’euros[10]. De quoi pouvoir anticiper pour 2023 une augmentation de la « surfacture énergétique » de TVA (malgré le contrôle des prix) d’au moins 1 milliard, celle-ci pouvant avoisiner, voire dépasser les 15 milliards d’euros.

Conclusion

Attention aux bonnes nouvelles péremptoires : la fiscalité environnementale ne baisse à compter de 2022 jusqu’en 2023 que grâce aux mesures de soutien énergétique offertes aux Français. Tout d’abord s’agissant de la TICFE qui est mise au plancher technique autorisé par la Commission européenne (et qui devrait donc produire des « rémanences » d’un volume maximal de 300 millions d’euros environ), mais qui, dès que les mesures d’accompagnement fiscal seront levées retrouvera un rythme global de croisière (soit 10,6 milliards d’euros en y ajoutant les taxes additionnelles désormais recentralisées). A un moindre degré s’agissant de la TICPE qui n’est amoindrie que par la baisse des volumes consommés et de l’impact des garanties de produit de l’Etat aux collectivités territoriales garanties constitutionnellement. Tous les autres secteurs de la fiscalité environnementale sont par ailleurs en augmentation (transport et pollutions/ressources naturelles) en valeur absolue sur la période considérée.

Reste un impensé dans ce bilan de la fiscalité environnementale, le poids additionnel de la TVA qui vient se rajouter au prix des biens/énergies frappées en sus de la fiscalité sectorielle. Celle-ci était estimée à 14,6 milliards en 2019, en hausse de 0,7% par rapport à l’année précédente. Compte tenu de l’année atypique 2020 puis de la reprise économique en 2021 avec les premières tensions inflationnistes sur les énergies et de la guerre en Ukraine à compter de mars 2022, nul doute que la facture de TVA « énergies » pourrait aisément dépasser les 15 milliards d’euros.


[1] Consulter les derniers documents connus : le Bilan énergétique de la France 2021, avril 2022, ainsi que Bilan environnemental de la France 2021, ainsi que Fiscalité environnementale, bilan des connaissances mars 2022. Mais ces documents ne donnent pas d’éléments prévisionnels pour 2022 et 2023…

[2] Notamment via le rapprochement entre le « Jaune » budgétaire opérateurs et le rapport relatif aux Voies et Moyens tome 1.

[3] Voies et Moyens tome 1, p.35.

[4] Comme le relève le tome 1 du rapport général Cazeneuve relatif au PLF 2023, p.106, les transferts opérés vont aux départements et aux régions, mais aussi à l’AFITF, ainsi qu’à IDF Mobilités (ORT de la région Île-de-France).

[5] Elle est évaluée à zéro, mais rapporterait en réalité un produit non nul mais négligeable avec 1€/MWh pour les particuliers et 0,5€/MWh pour les professionnels, soit environ 272,9 millions d’euros, pour la TICFE. Voir par exemple, https://www.lelynx.fr/energie/comparateur-electricite/consommation-electrique/france/#:~:text=moyenne%20d'%C3%A9lectricit%C3%A9-,Quelle%20%C3%A9tait%20la%20consommation%20%C3%A9lectrique%20moyenne%20en%20France%20en%202020,%C3%A0%20460%20t%C3%A9rawattheures%20(TWh).

[6] Unique mais composée de plusieurs fractions.

[7] RESF 2023, p.64,  https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/5b9dd056-db45-43ca-973d-2320c5157d59/files/7d5a8ecc-fc65-4a02-960d-000aa71a191b#page=64, voir également rapport Cazeneuve tome 1 op. cit, p.41 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b0292-ti_rapport-fond.pdf#page=41

[8] https://www.fiches-auto.fr/articles-auto/voiture-electrique/s-2588-y-a-t-il-assez-d-electricite-pour-charger-des-millions-de-voitures-electriques-.php

[9] Chiffres clés de l’énergie, Bilan 2020, Ministère de la transition écologique, p.75 : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-11/datalab_70_chiffres_cles_energie_edition_2020_septembre2020_1.pdf#page=72 ainsi que le millésime 2021, p.77 : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2021/pdf/chiffres-cles-de-l-energie-edition-2021.pdf#page=77. Intervenant généralement en septembre, la publication du rapport pour 2022 devrait intervenir en novembre 2022 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/agenda-des-parutions.

[10] https://www.tf1info.fr/economie/hausse-des-prix-du-gaz-et-de-l-electricite-deux-milliards-d-euros-en-plus-l-etat-comme-l-assure-xavier-bertrand-2198259.html