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3,6 milliards : le coût de la sinistralité des PGE si les faillites d'entreprises continuent de grimper

Les défaillances d’entreprises augmentent significativement +34,4% depuis 2022. Les commentateurs parlent d’un « retour à la normale » après le retrait des mesures de soutien et d’urgence mis en place à la suite de la crise Covid, de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique. Cependant, par certains côtés cette remontée de la sinistralité des entreprises n’est pas seulement « technique ». En particulier, les ETI et Grandes entreprises sont touchées (avec 57 dossiers de défaillance en 2023 contre 27 l’année précédente et 33 sur la décennie 2010-2019), mais aussi et surtout s’agissant des TPE (+89,1%) et PE (+102,4%) par rapport à 2019. Les Moyennes entreprises sont aussi touchées avec +71,3% par rapport à la dernière année avant crise. Cette remontée de la sinistralité est observée dans l’ensemble des pays d’Europe comparables avec une vigueur encore plus importante pour le Royaume-Uni et l’Espagne. Cependant, la France se caractérise par un nombre incomparablement plus important de défaillances en lien avec un tissu entrepreneurial particulièrement émietté (avec énormément de microentreprises). La situation est donc préoccupante et a amené le Gouvernement à proposer un étalement des remboursements de PGE (prêts garantis par l’Etat) lancés en 2020 jusqu’en 2026. Le risque, une sinistralité des PGE qui pourrait coûter aux finances publiques de l’Etat près de 3,6 milliards d’euros.

La France retrouve un niveau de défaillances d’entreprises datant de 2016-2017

La Banque de France vient de publier les dernières statistiques disponibles des défaillances d’entreprises intervenue en décembre 2023 et en cumulé depuis décembre 2022. Les chiffres affichés sont encore provisoires, mais atteignent déjà d’après la Banque de France 55.492 entreprises « défaillantes » (solde cumulé) fin 2023. Allianz Trade plaide pour un niveau proche des 57.000 entreprises concernées (lorsque les chiffres définitifs seront publiés). La hausse sur un an est significative soit +34,4% par rapport à 2022, tous types d’entreprises et toutes branches d’activités confondues. Par rapport à 2019, soit « avant crise », l’augmentation est de +8,9%, principalement dans l’information et la communication (+33,4%), les activités financières et d’assurance (+21,9%), les activités immobilières (+17,2%) et l’industrie (+14%).

Secteur d'activité

Déc. 2019

Déc. 2020

Déc. 2021

Déc. 2022

Déc. 2023 prov.

Var 2023-2019

Var 2023-2022

Agriculture, sylviculture et pêche (AZ)

1 403

937

1 066

1 208

1 192

-15,0%

-1,3%

Industrie (BE)

3 426

2 107

1 822

3 000

3 906

14,0%

30,2%

Construction (FZ)

11 069

6 133

6 054

8 404

11 660

5,3%

38,7%

Commerce; répartition automobile (G)

11 120

6 801

5 916

9 162

11 985

7,8%

30,8%

Transports et entreposage (H)

2 097

1 227

1 179

1 741

2 264

8,0%

30,0%

Hébergement et restauration (I)

6 834

4 225

2 610

5 370

7 766

13,6%

44,6%

Information et communication (JZ)

1 276

901

845

1 179

1 702

33,4%

44,4%

Activités financières et d'assurance (KZ)

1 086

725

622

974

1 324

21,9%

35,9%

Activités immobilières (LZ)

1 626

1 130

1 213

1 358

1 906

17,2%

40,4%

Conseils et services aux entreprises (MN)

5 810

3 827

3 644

4 784

6 441

10,9%

34,6%

Enseignement, santé, action sociale et service aux ménages (P à S)

5 125

3 131

2 551

4 038

5 273

2,9%

30,6%

Ensemble

50 872

31 144

27 522

41 218

55 419

8,9%

34,5%

Autres (unités légales non connues ou inclassables)

187

109

70

79

73

-61,0%

-7,6%

Grand Ensemble

51 059

31 253

27 592

41 297

55 492

8,7%

34,4%

 Source : Banque de France, janvier 2024. 

S’agissant maintenant de la taille des entreprises concernées défaillantes, on assiste d’abord à un très fort impact sur les ETI-GE (entreprises de taille intermédiaire et grandes entreprises) avec +137,5% par rapport à 2019, puis par les petites entreprises (+102,4%) et les très petites entreprises (+89,1%). Les moyennes entreprises seraient touchées ensuite avec +71,3%.

Taille

Déc. 2019

Déc. 2020

Déc. 2021

Déc. 2022

Déc. 2023 prov.

Var 2023-2019

Var 2023-2022

PME, dont:

51 035

31 205

27 598

41 270

55 435

8,6%

34,3%

Microentreprises et taille indéterminée

48 678

29 464

26 062

38 441

50 938

4,6%

32,5%

Très petites entreprises

1 469

1 016

928

1 781

2 778

89,1%

56,0%

Petites entreprises

637

533

422

787

1 289

102,4%

63,8%

Moyennes entreprises

251

192

156

261

430

71,3%

64,8%

ETI-GE

24

48

24

27

57

137,5%

111,1%

Ensemble

51 059

31 253

27 592

41 297

55 492

8,7%

34,4%

Source : Banque de France, janvier 2024. 

Si l’on prend maintenant un peu plus de profondeur historique, les niveaux atteints en 2023 sont désormais en lignes avec ceux affichés en 2016 (57.780 bruts) et 2017 (54.138), avec des niveaux comparables s’agissant de l’Industrie, de la construction, du commerce et de la réparation automobile et de l’hébergement restauration. 

Source : INSEE, série longue 1990-2022, Banque de France pour 2023.

Une dynamique qui se poursuivrait globalement en Europe (hors Espagne et Royaume-Uni) jusqu’en 2025

Allianz Trade offre une perspective jusqu’en 2025 des défaillances d’entreprise dans les principaux pays d’Europe. 

Pour 2024, la France resterait stable en 2024 à 57.000 défaillances, et en augmentation de 11% par rapport à 2019 à date. L’Allemagne serait moins affectée avec +3% par rapport à 2019, tout comme la Belgique (-1%) ou l’Italie (-8%). Au contraire, les Pays-Bas seraient plus fortement touchés que la France (+15% par rapport à 2019) tout comme le Royaume-Uni (+35%). 

Attention toutefois, en valeur absolue, c’est la France qui présente le nombre de défaillances le plus important : l’Allemagne observerait des défaillances de 19.400 entités (+9% sur un an) en 2024, puis une baisse de 2% (19.100 pour 2025). Au Royaume-Uni, les défaillances s’élèveraient à 29.850 entités en 2024 (+5%) puis en repli en 2025 (-5%) avec 28.400 entités. L’Italie présentant une augmentation de +15% en 2023 (8.250 entités, +1.090 sur un an), puis +24% en 2024 (10.200 entités, soit +1.090) puis stable en 2025. 

Evolution des défaillances d’entreprises en valeur absolue pour un certain nombre de pays européens et projections 2024/2025 : On observe donc le fort émiettement de la taille des entreprises françaises avec énormément de TPE/PME et micro-entreprises. L’Allemagne en particulier bien qu’en fort rebond présente un nombre de défaillances structurelles très sensiblement inférieur au nôtre depuis 2004. 

Des défaillances qui impactent les encours des crédits et les PGE

Les données de la Banque de France permettent de mesurer le poids des défaillances des ENF (entreprises non financières) en termes d’encours de crédits (cumulés sur 12 mois). Et les chiffres démontrent des impacts proches de ceux observés en 2008-2009, pendant la crise des subprimes (en % d’encours des crédits) :

C’est en particulier le cas en matière de crédits aux PE (petites entreprises) dont les crédits des entreprises défaillantes représentent 1,66% des encours de crédits de cette catégorie, soit un niveau identique à celui de décembre 2009. Un constat analogue peut être fait pour les TPE (0,68% en décembre 2023), soit un niveau analogue à celui constaté en octobre 2010 et en avril-juin 2014. Cela montre que les TPE et PE sont tout particulièrement touchées dans la configuration économique actuelle. Une situation visible s’agissant des encours de crédits et qui a nécessairement des implications en matière de remboursement des PGE (prêts garantis par l’Etat) mis en place dans le cadre du soutien des entreprises durant la crise Covid.

A ce titre, dans la dernière enquête de la CPME du 12 décembre 2023[1], parmi les entreprises ayant souscrit un prêt garanti par l’Etat « 28% rencontrent de plus en plus de difficultés pour rembourser le prêt et 3% ne parviennent pas à le rembourser, ce qui va les contraindre à cesser leur activité. » C’est dans ce cadre que le Gouvernement a annoncé[2] « la prolongation, pour trois ans, jusqu’en 2026, de l’accord de place, entre l’Etat, la Banque de France et la Fédération bancaire française, sur les restructurations de prêts garantis par l’Etat. » Dans ce cadre, les entreprises pourront repousser la date de leurs remboursements de PGE, de façon amiable et non juridictionnelle. Une mesure qu’avait soutenu dès la mise en place des PGE la Fondation iFRAP permettant d’étaler le remboursement de ces créances sur 6 ans. 

Les prêts garantis par l’Etat, un risque à 3,6 milliards d’euros pour les finances publiques

Introduits par l’article 6 de la loi de finances rectificative du 28 mars 2023[3], les prêts garantis par l’Etat ont été octroyés au 31 janvier 2023 à hauteur de 143,8 milliards d’euros, 50,7 milliards remboursés et le capital restant dû estimé à 93,1 milliards d’euros. 

A date, les montants appelés en garantie auprès de l’Etat s’élèvent à 1,83 milliards d’euros. Les différentes estimations réalisées sur la sinistralité des PGE anticipaient des pertes nettes (perte brute liée à l’appel en garantie diminuée du trop-perçu et de la commission versée à l’Etat) s’échelonnaient entre 1,4 milliard et 5,3 milliards d’euros[4]. Il semble toutefois que les pertes nettes anticipées sur la durée du dispositif (jusqu’en 2030) devraient s’élever à 3,6 milliards d’euros. Avec cette particularité que 72% des encours des PGE devraient avoir pour échéance finale 2026, d’où la volonté du Gouvernement d’accorder des facilités de remboursement jusqu’à ce terme. 


[1] https://www.cpme.fr/publications/enquetes/economie/la-baisse-dactivite-en-tete-des-preoccupations-des-chefs-dentreprise 

[2] https://www.fibee.fr/signaux-negatifs-sur-la-sante-des-entreprises-en-france/ ainsi que https://www.latribune.fr/economie/france/face-aux-difficultes-de-remboursement-les-pge-pourront-etre-reechelonnes-jusqu-en-2026-987302.html 

[3] Jérome BASCHER, rapport sur les prêts garantis par l’Etat : mieux comprendre les risques pour le budget de l’Etat, Sénat, juin 2023 ; https://www.senat.fr/rap/r22-706/r22-7061.pdf 

[4] https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/alerte-sur-les-cessations-dactivites-volontaires-des-entreprises