30 milliards d'économies ou 40 milliards de hausses des dépenses ?
Pourquoi est-ce si difficile de baisser réellement la dépense publique en France ? Peut-être parce que l'Etat n'a jamais su, ni voulu, compter.
Cette tribune a été publiée dans le journal Les Echos, le 29 janvier 2025 |
Mais de quoi parle-t-on quand on parle d'économies sur les dépenses publiques ? Ne faut-il pas expliquer à nos concitoyens qui entendent matin, midi et soir parler d'économies sur les dépenses publiques que nous n'allons pas du tout baisser les dépenses publiques cette année de 30 milliards mais, bien au contraire, les augmenter de 40 milliards ?
Un ménage ou une entreprise qui veut faire des économies baisse ses dépenses en euros. Mais ce n'est pas du tout le cas de l'Etat, de la Sécurité sociale ou des collectivités locales. Cela paraît évident pour tous ceux qui travaillent sur les chiffres des comptes publics : les économies sur les dépenses publiques se calculent en volume. Evident pour eux. Mais peut-être pas pour tout le monde ?
Quand le gouvernement nous dit qu'il va faire 30 milliards d'euros d'économies entre 2024 et 2025, il les calcule non pas par rapport aux dépenses de l'an dernier mais par rapport à ce qu'aurait été la croissance spontanée de cette dépense, c'est-à-dire par rapport à son évolution moyenne en euros constants. Ce que l'on appelle dans le jargon le « tendanciel » de hausse de la dépense. En clair, au lieu de dépenser 70 milliards de plus, on dépense 40 milliards de plus et on dit qu'on fait des économies.
Une dérive de 100 milliards d'euros en deux ans
En valeur, cela donne une augmentation des dépenses centrales (Etat + opérateurs) entre 2024 et 2025 de 10 milliards d'euros, une augmentation des dépenses locales de 9 milliards et une augmentation de 19 milliards des dépenses sociales. En 2023, les dépenses publiques totales, toutes administrations publiques confondues, étaient de 1.591 milliards d'euros. Pour 2025, nous nous dirigeons vers les 1.700 milliards d'euros de dépenses totales. Une augmentation en valeur de 100 milliards de plus en deux ans. On ne peut pas dire que le freinage sur les dépenses soit vraiment au rendez-vous…
Evidemment, les experts diront qu'il ne faut pas compter comme cela et comparer le niveau des dépenses par rapport au tendanciel retenu. Sauf que ce tendanciel, personne ne le connaît. Il n'est pas rendu public. Donc nul ne peut vraiment vérifier que la baisse des dépenses affichée est bien réelle. De surcroît, qui croit encore aux prévisions de croissance pour 2025 ? Plus grand monde. Une correction à la baisse rendrait virtuelle une partie des économies annoncées.
Serons-nous à 56,6 % de dépenses publiques par rapport à la richesse nationale cette année ou à beaucoup plus ? Mystère ! Dès l'an dernier, nous avions déjà atteint peu ou prou les niveaux de dépenses attendus en valeur pour 2025 dans la loi de programmation des finances publiques 2023 - 2027. Un an d'avance sur la dépense. Pas là non plus de signe d'un freinage patent.
Le dérapage de la Sécurité sociale
Et on annonce même maintenant un relèvement de l'Ondam [Objectif national de dépenses d'assurance maladie], donc de la dépense d'assurance maladie, de 2,6 % à 3,3 %. Cela va encore réduire les économies dégagées sur la dépense sociale ! Pourtant, l'éléphant dans la pièce sur le sujet du dérapage des dépenses et du déficit public, ce n'est pas l'Etat qui en réalité a gelé les dépenses de son budget général en valeur mais bel et bien la Sécurité sociale.
Pourquoi ne sait-on pas faire de vraies économies en France ? Parce que nous n'avons pas de comptabilité analytique systématique ni au niveau de l'Etat, ni au niveau des collectivités territoriales. Seulement 2 % des indicateurs de performance de la loi organique relative aux lois de finances relèvent de l'efficience de la dépense. Avec une organisation budgétaire pareille, on n'a pas fini d'entendre parler d'économies tout en ne voyant pas baisser les dépenses !