Une SAFER abuse de son droit de préemption
Une SAFER (Société d'aménagement foncier et rural) vient d'être condamnée pour avoir préempté à tort un terrain, non pour installer un agriculteur comme elle l'avait déclaré officiellement, mais pour satisfaire une demande cachée de la mairie.
Le cas est classique. Au décès de madame Dubois, sa propriété agricole de 50 hectares, située dans un tout petit village, est mise en vente. Elle est louée à un agriculteur proche de la retraite qui en achète une partie. Le problème se concentre sur une autre partie, un terrain de moins d'un hectare, également exploité par l'agriculteur, qui longe la propriété de la famille Dupont, leur résidence principale depuis longtemps.
Pour ce terrain, les héritiers de madame Dubois auraient souhaité qu'il soit constructible, mais la Direction de l'Équipement leur a répondu par écrit qu'il ne l'était pas. Ce terrain est alors vendu séparément et, après dépôt des offres de la mairie du village et des Dupont chez le notaire, il est acheté par ces derniers à 25.000 euros l'hectare. Ce prix est élevé pour un terrain agricole médiocre, mais qui était sans doute important aux yeux des Dupont, pour compléter leur propriété ou assurer leur tranquillité. L'agriculteur exploitant en place conservait son droit d'exploiter ce terrain jusqu'à sa retraite.
La SAFER intervient
Deux mois plus tard, la SAFER préempte ce terrain tout en acceptant le prix demandé, ce qui contraint les héritiers Dubois à vendre à la SAFER. La raison invoquée est « installation, réinstallation ou maintien des agriculteurs ». Le prix d'un terrain agricole de ce type étant de moins de 4.000 euros l'hectare, cet argument semble peu crédible aux Dupont. Quoique novices dans ce domaine, ils se lancent quand même dans l'aventure judiciaire pour faire annuler cette préemption. Ils se procurent peu à peu et difficilement tous les documents administratifs échangés par les organismes concernés, SAFER, Mairie et Commissaires du gouvernement. Ils rencontrent le plus grand nombre des personnes impliquées et, avec leur avocat, présentent un dossier très complet en justice.
La réussite, enfin
Deux ans et demi plus tard, la justice leur donne raison. La SAFER est condamnée à leur rendre leur terrain et à leur verser quelques milliers d'euros de dédommagement. Cette somme est très peu de chose pour compenser des dépenses bien supérieures, le temps investi dans ce combat et les troubles qu'ont subis les Dupont. C'est très long deux ans et demi pour des particuliers. Et cette amende, négligeable pour une SAFER, n'est malheureusement pas de nature à la dissuader d'intervenir à nouveau dans des cas semblables.
Les deux phrases décisives du jugement sont sévères :
« Rien ne donne crédit au motif de préemption allégué par la SAFER qui a manifestement eu pour seul objectif de satisfaire un projet individuel en méconnaissance de sa mission. La préemption sera en conséquence annulée ».
C'est à force de travail sur le dossier que les Dupont avaient compris que la SAFER n'avait pas fourni ses véritables motivations. Officiellement, elle prétendait vouloir préempter pour maintenir l'agriculteur en place, affirmant même qu'il avait encore des enfants à charge, mais comme le note le jugement « En réalité, la SAFER a préempté à la demande de la commune ».
Comme chacun, les SAFER peuvent commettre des erreurs involontaires. Mais dans ce cas comme dans celui que nous avions décrit Encore une SAFER prise les mains dans le beurre, ce qui est le plus choquant, c'est l'acharnement des SAFER quand il est clair qu'une erreur a été commise. Un moyen sans doute d'allonger les délais et d'escompter l'abandon de la contestation par le particulier.
La fin ne justifie pas les moyens
L'attitude de la SAFER peut sans doute s'expliquer (pas du tout se justifier !). La mairie devait penser qu'elle rendrait un jour ce terrain constructible et aurait aimé l'acheter à bon compte. La SAFER devait estimer qu'il serait plus « social » de construire des logements que d'agrandir la propriété des Dupont, et que cela valait bien une entorse à la légalité. Sans la ténacité des Dupont cela aurait pu marcher.
Un point positif Contrairement à ce qui se passe trop souvent, cette SAFER n'a pas fait appel de sa condamnation.Cela correspond à l'une des demandes de la Fondation iFRAP : que les SAFER décident de renoncer définitivement à faire appel quand elles sont condamnées. Cela rééquilibrerait un peu les forces entre les puissantes SAFER, riches en compétences (les 27 SAFER emploient environ 1.000 salariés), en temps et en moyens financiers, et les particuliers généralement stupéfaits et accablés par ce qui leur arrive.
On peut aussi imaginer que ce petit arrangement pouvait améliorer les finances de la mairie et la popularité du maire, tout en rapportant des honoraires à la SAFER. Mais le plus inquiétant, c'est le fait, nécessairement couvert par la hiérarchie de cette SAFER, d'avoir abusé de son pouvoir. Même si elle estimait que ses objectifs étaient louables, la fin ne justifie jamais les moyens !
Note : pour respecter l'anonymat, les noms de personnes et certains détails ne changeant en rien le fond de l'affaire, ont été modifiés.