Actualité

Relance de l'industrie : préserver notre atout électricité

Avant même la crise actuelle liée au Coronavirus, la France avait décidé d'engager la bataille de la réindustrialisation. Une action nécessaire après les pertes de tissu industriel subies au cours des trente dernières années. Et que l'effondrement économique causé par cette pandémie rend encore plus indispensable. Quand le secteur des services (transport, tourisme, spectacle, restauration...) sont atteints, la France s'avère plus pénalisée que les autres pays européens, handicapée par sa faiblesse industrielle.

Une bataille où la disponibilité de l’énergie d’avenir, l’électricité, en quantité suffisante et à des prix compétitifs, est essentielle. Deux conditions que le Grenelle de l’environnement de 2007 et la loi de transition énergétique de 2015 avaient négligées, tout comme la Programmation pluriannuelle de l’énergie qui vient d'être publiée, en fixant un objectif de quantité d'énergie irréaliste et aucun objectif de prix.      

La version définitive de la PPE 2020 publiée le 29 avril ne répond pas aux questions soumises par le public pendant les deux mois de la période de consultation, notamment sur le coût de l'électricité. La vingtaine de nouveaux modes de production d'énergie promus par la PPE (éoliennes marines posées et flottantes, éoliennes terrestres, agro-carburants, méthanisation, chaleur renouvelable, solaire photovolataïque et thermique, individuel ou collectif, petit hydraulique, hydroliennes...) conduisent chacun à une augmentation de coût sur la période 2020-2028 couverte par la PPE. Mais le  chapitre 7.3 de la PPE 2020 consacré à la compétitivité prix ne fixe aucun objectif ni aucune évaluation de ce critère essentiel. Ses mesures ne proposent pas d'optimiser les coûts de production mais de subventionner l'énergie, subventions à la charge d'EDF ou des contribuables.

Programmation pluriannuelle de l'énergie, avril 2020

7.3 Assurer la compétitivité des prix de l'énergie

 

Conjoncture industrielle

Avant même la crise actuelle, la conjoncture était médiocre, avec seulement 1,2% de croissance pour 2019, et 1,3% prévu pour les années suivantes. Un niveau correspondant au scénario noir (le plus pessimiste) du rapport Coeuré-Chriqui du Centre d’analyse stratégique. L'effondrement en cours va considérablement aggraver ces chiffres qui vont devenir fortement négatifs au moins en 2020, et 2021 sans réformes de fond.

En 2019, une des rares bonnes nouvelles venait pourtant des évolutions de différents indicateurs sur l’attractivité de la France pour les investisseurs mondiaux et de la reprise des embauches, y compris pour les emplois qualifiés de l’industrie. Il apparait que l’attrait de la France était passé maintenant avant ceux du Royaume-Uni et de l’Allemagne. Les investissements industriels étaient repartis à la hausse et l’emploi avait cessé de baisser. Les observateurs qualifiés y reconnaissent un effet des mesures prises à la fin du quinquennat Hollande et par le président Macron, baissant le coût du travail et assouplissant le marché du travail. Mais soyons réalistes, les décisions d’investissement d’aujourd’hui ne produiront des effets sensibles sur l’emploi et les revenus que très progressivement dans les années à venir. Il faudra du temps pour rattraper la récession catastrophique de l’industrie française amplifiée par la crise de 2008, avec une production inférieure de 13% par rapport à son pic de 2000 et de 12% par rapport au début des années 1990, soit trente années de régression.

Malgré cette tendance, les données de INSEE montraient encore une baisse générale du climat des affaires dans l’industrie depuis 2018. La baisse de consommation d’électricité par l’industrie de 2,9% en 2019 en fournit une mesure objective.

 

Sans une industrie en croissance, il ne sera pas possible de répondre aux besoins d’emplois qualifiés et bien payés que demandent les Français. D’où une certitude, généralisant le rejet par les bonnets rouges et les gilets jaunes de toute écologie punitive :

La transition écologique ne sera acceptable par les Français que dans le cas d’une forte croissance de l’économie, et qui tourne enfin le dos à la désindustrialisation.

L’industrie et l’électricité

L’industrie consomme 20% de toute l’énergie utilisée en France, et la part de l’électricité est constamment croissante. Sur la période de 1981 à 2011, sa part a augmenté de 54%, un peu moins que le gaz, une énergie de plus en plus utilisée, moins polluante que le pétrole, mais que l’électricité devrait largement remplacer à l’avenir. C’est ce qu’ont annoncé par exemple les industriels du verre engagés à construire ensemble un premier four électrique de grande capacité. Un prototype visant à réduire les émissions de CO², destiné à être généralisé vers 2040 mais très sensible au prix de l’électricité,

Parmi tous les secteurs industriels, cinq se distinguent nettement comme électro-intensifs (cimenterie, sidérurgie, papier, chimie, alimentaire).

La compétitivité des 523 usines électro-intensives françaises est très sensible au prix de l’électricité, et les fonderies d’aluminium constituent un cas extrême, mais important. Le prix élevé de l’aluminium pour des volumes relativement faibles rend supportable les coûts de transport, et exacerbe la concurrence mondiale. La lettre 92 de Géopolitique de l’électricité : Union européenne résume la situation :

« Les États de l’Union européenne ont jeté l’éponge : leur industrie électrique fragilisée par la transition énergétique est de moins en moins apte à alimenter les fonderies d’aluminium. L’UE est désormais tributaire à 70% de l’extérieur pour ses besoins primaires en ce métal, essentiel pour toute économie du XXIème siècle. La fonderie de Dunkerque, la plus importante de l’UE, alimentée par une centrale nucléaire, fait exception.  Les fournitures de Rusal, entreprise russe proche du Kremlin, sont indispensables. On l’a bien vu en 2018 lorsque ses clients européens ont été menacés de sanctions américaines. Ce qui les aurait amenés à se tourner davantage vers le nouveau géant de l’aluminium, la Chine, dont les exportations « tuent lentement » ce qui reste de l’industrie correspondante européenne (suivant un dirigeant de la profession). »

Que restera-t-il de l’usine d’aluminium de Dunkerque alimentée par la centrale de Gravelines à des conditions préférentielles si un ou deux réacteurs de cette centrale sont arrêtés, et que la France renonce à un projet d’une paire d’EPR sur ce site d’ici 2050 ? D’autres entreprises électro-intensives (ex. cimenteries) sont moins exposées à la concurrence internationale, mais l’augmentation de leurs coûts se répercuterait directement sur celui des logements et des autres bâtiments.

Les investisseurs étrangers intéressés par une localisation de leurs activités en France reconnaissent que la qualité de notre système électrique est un des facteurs de compétitivité de notre pays.

L'industrie de l'électricité

L’arrêt du premier réacteur de Fessenheim a provoqué la stupeur d’une partie des Français et des étrangers. Dans des domaines récents, la France a courageusement remis en avant la raison cartésienne. Il est par contre étrange que, dans le domaine de l’énergie, les gouvernements se laissent totalement guider par l’émotion. Parmi de nombreux autres, le texte d’Elie Cohen sur Telos décrit bien l’incohérence des décisions concernant l’énergie. Ségolène Royal avait au moins prévu cette fermeture au moment de la mise en production de l'EPR de Flamanville. Dès les prochains mois, des centaines de salariés d’EDF vont quitter Fessenheim, et cinq cents employés des sous-traitants seront bientôt sans emploi. Aucun projet industriel concret de remplacement n’est en voie de réalisation. En plus des conséquences locales désastreuses, la politique de renchérissement du coût de l’électricité, voire de pénurie, a des conséquences moins visibles, réparties à travers toute la France, mais beaucoup plus nocives.  

Alors que les annonces du 27 novembre 2019 du président de la République insistaient sur les conditions relatives aux fermetures de réacteurs, à savoir pas de nouvelles centrales fossiles et la sécurité électrique, le nouveau texte de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) retient que 14 réacteurs devraient être fermés d’ici 2035. Si la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim pouvait passer pour un trophée accordé aux personnes hostiles au nucléaire, la fermeture de 12 autres constituerait un véritable plan de désindustrialisation. La PPE constate que la filière nucléaire représente 6,7% des emplois industriels et que prolonger la vie des réacteurs est bien la solution la plus économique. Alors pourquoi prévoit-elle la fermeture de 14 réacteurs entrainant la suppression de 14.000 emplois dans sept territoires ? A titre de comparaison, l’année 2018 a été célébrée pour 60 créations d’usines contre 40 fermetures, et 62 agrandissements d’usines existantes, les créations d’emplois se chiffrant en centaines par établissement, jamais en milliers.

Parallèlement à la fermeture par l’Allemagne et d’autres pays européens de leurs centrales nucléaires (Allemagne, Belgique, Suisse), à charbon et à lignite d’ici 2038, la fermeture par la France de 14 centrales nucléaires pose le problème de la sécurité d’approvisionnement en électricité en Europe, pendant les pointes de consommation, et les baisses de production des renouvelables. Pour se protéger, l’Allemagne a clairement annoncé la construction de centrales au gaz acheminé par le nouveau gazoduc Nord Stream 2 qu’elle a fortement soutenu, augmentant ainsi la dépendance de l’Europe au gaz russe. Le futur décret PPE n’a pas indiqué comment il est prévu d‘assurer une production « à la demande » suffisante, dans le cadre d’une augmentation de la consommation d’électricité liée aux véhicules électriques notamment. Une situation qui explique la prise de position de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN) : « Les leviers pour relocaliser l’industrie en France incluent un accès de long terme à une électricité de base non intermittente, décarbonée et compétitive ». Une façon de dire, sauf révolution technologique imprévue, qu’il faut maintenir un parc très significatif d’électricité d’origine nucléaire.

Perspectives de coûts de l’électricité

L’annonce par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) d’une demande d’augmentation de 6% du tarif de l’électricité a été démentie par le gouvernement, mais l’histoire récente a montré que ces demandes finissent par être étalées mais effectives. L’augmentation du prix de l’électricité résultera d’abord des surcoûts des énergies renouvelables sur les 25 prochaines années, correspondant aux subventions garanties aux producteurs en France et dans les autres pays. Par exemple, le prix d’achat de la production des six centrales éoliennes marines françaises attribuées en 2012, est d’au moins 120 euros par Mwh, soit le triple des prix du marché. Ces puissantes machines dont l’installation ne fait que commencer, produiront à ce prix jusqu’en 2045-2050. Les éoliennes terrestres et les sources solaires actuelles ou en cours d’installation, produiront toutes pendant encore une vingtaine d’années à des coûts supérieurs au prix net du marché. Et les 33 milliards d’euros demandés par RTE pour adapter le réseau électrique aux caractéristiques des énergies renouvelables, contribueront aussi à l’augmentation du prix de l’électricité pour les particuliers, et pour l’industrie.

Cette augmentation des prix est récente mais va s’accélérer, remettant en cause l'un des avantages dont disposait la France dans la compétition internationale. 

Désindustrialiser : facile ; Réindustrialiser : très difficile

Que ce soit à La Souterraine (GMS), à Amiens (Whirlpool) ou à Grandrange (Arcelor Mittal), la désindustrialisation s’est faite sur une décision instantanée, sans doute inévitable, et les réindustrialisations se sont avérées très difficiles, voire infaisables. Raphaël Schellenberger, député de la circonscription de Fessenheim et de la vallée de Thann a obtenu la présidence d’une commission sur le suivi de la fermeture de Fessenheim, et a aussi interpellé le gouvernement sur l’abandon d’Astrid, prototype des centrales nucléaires de 4ème génération post-EPR. Partant d’une situation locale, il organisera des tables rondes traitant ce cas dans l’ensemble français. Sera mis en évidence un véritable sinistre industriel. Le projet EDF d’un centre de compétence sur le démantèlement de 150 emplois s’est heurté à une opposition allemande. Aucun projet industriel n’est proposé, alternatif aux 2000 emplois supprimés selon une étude Insee demandée par Hervé Mariton en 2014. Conclusion à ce jour : au total, malgré toutes les promesses formulées par les nombreux représentants du gouvernement, il n’y a qu’un plan social, celui d’EDF, qui reclasse tous ses salariés sur d’autres sites, et rien pour les sous-traitants et le territoire. Une généreuse distribution d’argent aux collectivités locales tentera certainement d’acheter leur silence, mais sans recréer de véritables activités industrielles. Les 500 emplois du grand projet de Toyota à Onnaing, ou les 850 négociés par Huawei, donnent la mesure de ce que représentent les 2000 de Fessenheim.  

De son côté, la Cour des comptes s’inquiète, dans son rapport du 4 mars 2020, du flou sur le coût de l’indemnisation, de 2 à 3 milliards d’euros par réacteur arrêté prématurément. Le protocole Etat-EDF, aujourd’hui signé, prévoit une dotation initiale de 400 Millions complétée pour la période  2020-2041 par des montants annuels dépendants des prix de marché, actuellement prévus à la hausse, et des performances du palier 900 MW des centrales sœurs de Fessenheim.

Emplois industriels des renouvelables

Malgré les milliards d’investissements d’AREVA, CEA, Naval group et du Plan d’investissement d’avenir (PIA), l’industrie française dépend totalement des cellules solaires chinoises. Sa contribution est pratiquement nulle pour l’éolien terrestre, et nulle pour les grands projets d’hydroliennes marines qui ont été arrêtés. La seule exception concernant l’industrie française sera la contribution d’usines de Général Electric France à la construction de pales et de nacelles pour les éoliennes à l’off-shore. Au total, la majorité des emplois liés aux nouvelles énergies renouvelables se concentrent, en France, principalement sur le montage, l’installation, l’opération et l’entretien des centrales, des emplois moyennement ou peu qualifiés. Un fossé par rapport aux technologies de pointe du nucléaire.

L’Allemagne s’engage vers une transition qui inquiète ses industriels

Jusqu’ici l’Allemagne a su mieux que la France sauvegarder son patrimoine industriel. L’expert Hartmut Lauer fait le point sur les dernières orientations de la transition énergétique allemande puisqu’après de longs débats, le gouvernement et le Parlement viennent de préciser les conditions de sortie du charbon.[1]

Ce rapport note que l’Allemagne ne croit pas aux 100% renouvelables, puisque pour remplacer le charbon et le lignite, les investissements en renouvelables seront complétés par la construction de centrales au gaz émettant deux fois moins de gaz carbonique au Kwh.

Mais l’industrie électro intensive allemande dépend à la fois de l’électricité allemande la plus compétitive, aujourd’hui celle des centrales au lignite, et de la chaleur des centrales au charbon à cogénération, système envisagé pour de nouvelles centrales au gaz. Or celles-ci produiraient plus cher que le charbon et le lignite, d’où la demande des industries allemandes notée par Hartmut Lauer, que ces  fournitures d’énergie soient subventionnées demain. Problème, le faire accepter par Bruxelles.

La sortie du charbon est un problème pour la compétitivité allemande. Il n’est pas étonnant que politiquement des voix de ce pays aient conditionné sa sortie du charbon à la sortie du nucléaire français, prétextant de la proximité de Fessenheim pour réclamer sa fermeture à François Hollande.   

Programmation pluriannuelle de l’énergie vs. Nouveau nucléaire

De même pour les réponses de la ministre aux questions des députés Chassaigne et Schellenberger sur les finalités du projet de restructuration d'EDF (Hercule), Elisabeth Borne s’est refusée à envisager que les profits qu’EDF pourrait tirer de l’exploitation du parc actuel de centrales nucléaires soient consacrés aux nouveaux EPR « simplifiés ». Par provocation ou par habileté, elle a ajouté qu’EDF devait réfléchir à un scénario 100% renouvelable (Ce serait la mort d’EDF producteur d’énergie concurrencé alors par des dizaines de monteurs de panneaux solaires et éoliens importés de Chine, d’Allemagne et du Danemark ayant moins de frais généraux).

En clair, la ministre admet que certains réacteurs soient prolongés jusqu’à 50 ans[2] en relais d’un 100% renouvelable hypothétique et fait l’impasse sur le nouveau nucléaire. En effet si les recherches sur les petits réacteurs nucléaires (SMR) sont citées, nous savons que ces technologies seraient une opportunité d’exportation vers des pays neufs n’ayant pas les moyens d’exploiter des réacteurs classiques trop puissants pour leurs économies, mais en aucun cas une solution pour la France. Or le nucléaire, 6,7% des emplois industriels, emplois qualifiés et bien payés (de l’ordre de 5000€/mois en moyenne), ne peut attirer les jeunes ingénieurs que s’il offre une visibilité à long terme.

Conclusion

La façon dont les prix de l’électricité sont modulés en Allemagne en faveur de l’industrie, montre l’importance de cette énergie pour ce secteur économique : alors que les coûts de production de l’électricité y sont supérieurs à ceux en France, son prix pour l’industrie y est comparable, mais deux fois plus élevé pour les particuliers, seuls à supporter ces surcoûts. Faute d’électricité compétitive, la France serait face au même choix : pénaliser son industrie ou ses consommateurs particuliers. Tant que ne sera découverte aucune autre solution d’électricité disponible à la demande, à un prix acceptable, non émettrice de CO², procrastiner sur le nouveau nucléaire, c’est handicaper notre industrie et condamner à mort à terme l’industrie nucléaire. Or, ni les batteries ni l’hydrogène ne fourniront avant longtemps[3] une solution satisfaisante au problème du stockage. Le rendez-vous de 2021 sur le nouveau nucléaire est capital. Alors que la consommation d'électricité va augmenter dans les secteurs de la mobilité, du bâtiment et de l'industrie, y renoncer, c’est dépendre à terme des positions dominantes de la Chine et de la Russie.


[1] PJ Lauer. La sortie du charbon coûtera 50Mds

 

[2] Aux Etats-Unis, des réacteurs identiques vont fonctionner pendant 60 ans et peut-être 80.

[3] La batterie géante en Australie, utile pour sécuriser un secteur très isolé du réseau, occupe un hectare pour 150 Mwh. La consommation moyenne horaire de la France est d’environ 50.000 Mwh.