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Programmation pluriannuelle de l’énergie 2019-2028 : toujours irréaliste

En 2015, la COP21 avait déchaîné l'enthousiasme, et en 2018, le débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie avait suscité des milliers de contributions. Mais contre la nouvelle PPE mise en débat en février 2019, c’est la colère alimentée par l'augmentation massive, après celle des carburants, du prix de l'électricité pourtant produite en France (40 à 50% en 10 ans). Le report de 2025 à 2035 de l’objectif phare « 50% d’électricité d’origine nucléaire », puis l’abandon de « l’augmentation de la taxe carbone » et « la croissance des émissions de CO₂ en 2018 » ont convaincu les Français que ces plans spectaculaires n'étaient pas crédibles mais coûtaient des dizaines de milliards d'euros par an aux consommateurs et aux contribuables. 

Objectifs de la révision 2019 de la PPE

La synthèse de la PPE 2019-2028[1], constatant qu’aucune baisse de la consommation d’énergie finale ne s’est produite depuis 2012, a simplement décidé de conserver les mêmes objectifs mais de les repousser de cinq ans, tout en maintenant inchangé celui de 2050 : « Le niveau de consommation finale d’énergie était de 1.643 TWh en 2017. Dans le (nouveau) scénario de référence, elle baisse de 7% en 2023 et de 14% en 2028 par rapport à 2012 pour atteindre 1.420 TWh ».

Objectifs de baisse de la consommation d’énergie finale par rapport à 2012 suivant les PPE 2016 et 2019

 

2018

2023

2028

2050

PPE 2016

-7 %

-12,6 %

 

-50 %

PPE 2019

 

-7 %

-14 %

-50 %

 Soit en térawattheures :

En TWh

2012

2017

2023

2028

2050

Consommation finale d’énergie

1 651

1 643

1 535

1420

825

Une stabilité confirmée, en millions de tonnes d’équivalent pétrole, dans le diagramme publié par le Commissariat général au développement durable dans les « Chiffres clés de l’énergie du (9/2018).

 

Et une stabilité qui s’explique par une baisse de l’intensité énergétique de 1 à 2% par an compensée par une hausse du PIB aussi de 1 à 2% par an.

Évaluation de l’objectif de consommation PPE 2019-2028

Pour atteindre le premier objectif (en 2023), la consommation doit baisser de 7% dans les six années restantes (2018-2023) soit de 1,2% par an.  Pour le second objectif (2028), le rythme de baisse devrait être aussi de 1,2% par an sur 11 ans.  Ce rythme n’a jamais été atteint sauf pendant les crises économiques majeures. Les réformes proposées par l’iFRAP ne visent à créer ni une crise économique ni une décroissance voulue de l’économie, mais au contraire une croissance de 2% du PIB par an et par personne.

Supposer comme la PPE 2019-2028 que la baisse de la consommation d’énergie va s’accélérer est hasardeux alors que tout plaide pour qu’elle ralentisse : pour les voitures automobiles par exemple, il est beaucoup plus difficile de passer d’une consommation de 4 à 2 litres aux 100 kilomètres, que de 8 à 4 ; la règle des rendements décroissants s’applique aussi aux autres véhicules de transport, aux appareils ménagers, de chauffage et de climatisation et aux machines industrielles ; pour les logements, les plus rentables à isoler ont été traités les premiers ; et pour l’éclairage, le rythme de remplacement des ampoules classiques par des LED est actuellement à son maximum.

Seules des révolutions technologiques sensationnelles (du type des LED) pourraient inverser la tendance et accélérer le rythme de baisse au lieu de subir son ralentissement. D’où la demande constante de l’iFRAP de consacrer plus de ressources à la recherche et moins au déploiement de technologies non rentables.

En milliartds d'euros par an2019-2028
Subventions à la production éolienne et photovoltaïque8 Md €
Budget CNRS3 Md €
Budget total recherche publique18 Md €

Énergies renouvelables

Les projections PPE 2019-2028 de croissance des énergies renouvelables sont très ambitieuses, mais présentées de façon difficile à synthétiser :

  • Les quantités de gaz et de chaleur renouvelables sont évaluées en production attendue ;
  • Les quantités d’électricité renouvelables en puissance installée[2] ;
  • Les quantités d’électricité d’origine nucléaire en nombre de réacteurs.

 

2023

2028

2035

 

Quantité

Croissance
vs. 2017

Quantité

Croissance
vs. 2017

Quantité

Croissance
vs. 2017

Gaz renouvelable

-

-

14 à 22 TWh

+3300 à 5500 %

-

-

Chaleur renouvelable

196 TWh

+25 %

218 à 247 TWh

+40 à 60 %

-

-

Electricité renouvelable

74 GW

+50 %

102 à 113 GW

+100 %

-

-

Electricité nucléaire

-

-7 réacteurs

-

-

-14 réacteurs

-50 %

Pour le gaz renouvelable, l’objectif est donné « sous réserve d’une forte baisse des coûts », une contrainte qui n’est pas imposée aux autres modes de production, laissant entendre qu’ils continueront à être déployés quels que soient leurs coûts.   

Coût de l’énergie PPE 2019-2028

Le coût total de la PPE 2019-2028 se répartit entre montants d’investissements pour les particuliers, les entreprises, les collectivités locales et l’État et en montants de dépenses de consommation dus aux augmentations des coûts de production de l’énergie. Les augmentations de taxes sont traitées par ailleurs.

Le rapport fournit des projections pour les coûts de production de certaines énergies renouvelables, curieusement pas pour l’éolien marin, pourtant un sujet critique (page 256).

En € / MWh

2023

2028

Prix de marché
(deux hypothèses)

40

44

42

56

Coût de production des nouvelles installations

Éolien terrestre

68

58

Photovoltaïque au sol

60

50

Photovoltaïque grandes toitures

73

60

Biomasse

Non publié

Non publié

Méthanisation

200

200

Éolien en mer

Non publié

Non publié

Géothermie électrique

Non publié

Non publié

Biogaz injecté

67

60

 Dans 15 cas sur 16, les coûts bruts resteront supérieurs au prix du marché, même en 2028 pour les nouvelles installations, contrairement à ce qui est souvent asséné. Ces coûts de production ne prennent pas en compte la valeur moindre des MWh éoliens et solaires due à leur production aléatoire. Le rapport y fait allusion de façon elliptique : « Les prix de vente moyens de l’électricité produite par les installations de production d’électricité renouvelable des filières mentionnées ci-dessus sont plus faibles que les prix moyens de l’électricité sur les marchés, en raison de la corrélation de la production électrique des installations au sein d’une même filière. La production d’électricité solaire, par exemple, intervient au même moment de la journée pour toutes les installations, et l’augmentation des capacités installées d’ici 2028 conduit à une baisse du prix de marché de l’électricité sur ces heures, réduisant le prix moyen perçu par les installations. Une décote doit donc être prise en compte par rapport au prix de marché moyen, pour calculer le soutien public aux installations de production. »

Le problème signalé est bien réel, mais dans le cas du photovoltaïque par exemple, le principal handicap est que le soleil ne brille pas pendant les pointes de consommation d’automne-hiver de fin de soirée, là où les besoins et les prix sont élevés. Plus généralement, c’est l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque, et l’impossibilité de moduler leur production en fonction des besoins des consommateurs qui réduisent la valeur de leurs MWh produits. Ce facteur n’est pas clairement pris en compte dans le rapport PPE 2019-2028.  

Pour tenter de protéger les consommateurs des augmentations de prix de l’électricité liées aux énergies renouvelables, la PPE 2019-2028 indique que « Le gouvernement proposera les modalités d’une nouvelle régulation du nucléaire existant qui permette de garantir la protection des consommateurs contre les hausses de prix de marché au-delà de 2025 en les faisant bénéficier de l’avantage compétitif lié à l’investissement consenti dans le parc nucléaire historique, tout en donnant la capacité financière à EDF d’assurer la pérennité économique de l’outil de production pour répondre aux besoins de la PPE dans des scénarios de prix bas. ». Une phrase alambiquée pour viser deux objectifs contradictoires, en faisant subventionner les énezrgies renouvelables par l’électricité nucléaire pour dissimuler les écrats. Une méthode qui déplace le surcoût sans le réduire.

En ce qui concerne les investissements liés à l’isolation des bâtiments publics et privés, la transition vers des transports publics et privés plus écologiques et le développement annoncé des transports publics, la PPE les estime à 271 milliards sur la période 2019-2028. 

Des « soutiens publics » de 30 milliards supplémentaires sur la période, sont aussi mentionnés pour l’électricité, qui s’ajoutent aux 95 milliards d’euros déjà engagés (7 à 9 milliards pour le gaz). Des soutiens qu’il faut comprendre comme engagés par la puissance publique mais payés par les consommateurs puisqu’ils sont financés par des taxes sur l’énergie. C’est ce qui explique la majorité de l’augmentation des tarifs réglementés de l'électricité depuis 10 nas et des 5,9% prévus pour le mois prochain. Des taxes imposées pour financer la production des énergies renouvelables et aussi les complexifications des réseaux électriques (haute, medium et basse tensions) nécessaires pour prendre en charge des dizaines (bientôt centaines) de milliers de producteurs et leurs productions aléatoires. 

Niveau de vie des Français sous PPE 2019-2028

La quasi-totalité des actions envisagées par la PPE-2019 sont théoriquement « faisables », mais sont à nouveau présentées sans évaluation de l’acceptabilité des conséquences économiques et sociétales nécessaires. Exemples : le maximum de température à 19° ; l’utilisation massive des transports en commun même à la campagne ; l’augmentation des prix de l’énergie due aux nouvelles énergies renouvelables ; les augmentations des taxes sur l’énergie (Taxe carbone), et les contraintes sur les fournisseurs (Certificat d’économie d’énergie) répercutées sur les consommateurs ; l’augmentation des coûts de construction des nouveaux bâtiments et de rénovation des bâtiments existants. Le texte de la PPE évoque le recours à la contrainte sur les Français. Par exemple en interdisant la location de logements mal isolés ou en rendant obligatoires les travaux d’isolation à chaque mutation. Des mesures qui aggraveraient la crise du logement. 

L’augmentation annoncée du PIB dont se félicite la PPE 2019-2028 est vraisemblable, se produisant grâce à des dépenses publiques massives faites à crédit et généralement pas économiquement rentables (c’est pourquoi elles sont subventionnées). Mais comme dans un pays en guerre, le PIB peut augmenter, tout en faisant baisser le revenu disponible des personnes : les taxes, les prix de l’énergie, des produits industriels, des transports, des logements et de l’alimentation augmentent, le PIB par personne peuvent augmenter mais les consommateurs voient leur niveau de vie baisser. Par d'autres calculs, la PPE 2019-2028 admet que les ménages seront perdants en 2030, mais que "l'horizon 2050 en revanche demeure très largement  favorable" (page 228).  

Paris vaut bien une centrale nucléaire : Au cours des dix prochaines années, la situation de l’électricité pendant les pics de consommation va être très tendue en France et en Europe, jetant même un doute sur la possibilité de fermer les 4 dernières centrales françaises à charbon. La centrale de Fessenheim va quand même être sacrifiée sur l’autel d’accords électoraux. Les Français y sont résignés. En 1981 déjà, la centrale bretonne de Plogoff a été condamnée, et en 1997 celle de Creys-Malville a été arrêtée pour les mêmes raisons. Des décisions qui ont créé de graves problèmes d’approvisionnement en électricité en Bretagne et des surcoûts pour tous les consommateurs français, et ont abandonné aux Russes et aux Chinois notre position de leader dans la recherche sur les surgénérateurs.   

Equilibre du réseau

En parallèle avec la PPE 2019, le ministère de l’Énergie a obtenu du gestionnaire du réseau électrique (RTE)[3] la garantie que malgré la fermeture de Fessenheim et des 4 centrales à charbon, aucun risque de pénurie d’électricité et de black-out n’existerait en France. Une promesse assortie prudemment d’une vingtaine de conditions, dont le niveau de consommation d’énergie, le rythme et la durée des périodes de maintenance des réacteurs nucléaires, le rythme de déploiement des centrales éoliennes terrestres et marines, et   photovoltaïques. Et une promesse qui reste très dépendante des décisions inconnues qui seront prises par les autres pays européens avec lesquels le réseau français est très interconnecté.  

Conclusion      

Le projet PPE  2019-2028 va maintenant être discuté au sein de plusieurs instances qui rendront un avis, demandé par la loi :

  • L’Autorité environnementale (AE) sur l’évaluation environnementale stratégique de la PPE ;
  • Le Conseil national de la Transition écologique (CNTE) ;
  • Le Conseil supérieur de l’énergie (CSE) ;
  • Le Comité d’experts pour la transition énergétique (CETE) ;
  • Le Comité de gestion des charges de service public de l’électricité ;
  • Le Comité du système de distribution publique d’électricité ;
  • Les Etats voisins.

Le public sera ensuite invité à donner son avis sur la PPE par internet à l’issue de l’Avis rendu par l’Autorité environnementale. 

La PPE va coûter très cher, mais il est probable que le prochain gouvernement constatera, comme l’a courageusement fait Nicolas Hulot en août 2018 et Emmanuel Macron en janvioer 2019, qu’elle est techniquement, financièrement et socialement intenable. Il produira alors une nouvelle PPE, accentuant le découragement et l'hostilité même de ceux qui sont convaincus que cette transition est importante.

La Fondation iFRAP demande que la France

  1. Se fixe des objectifs raisonnables prenant en compte sa bonne performance écologique actuelle ;
  2. Se concentre sur l'objectif de réduction des émissions de CO₂ et non pas sur la chasse aux sorcières (nucléaire) ;
  3. Accroisse ses efforts de recherche dans le domaine énérgétique, utiles pour notre pays, et indispensables pour tous les pays du monde, notamment ceux en développement ;
  4. Se prépare à lutter contre les effets du changement climatique, quasi certain si le GIEC a raison, vu la croissance des émissions de CO₂ des pays étrangers, notamment en développement.    

[1] Page 6

[2] Pour le photovoltaïque, la production effective est six fois inférieure à ce que serait la production à puissance annoncée constante. Le facteur varie entre 4 et 5 pour l'éolien.  

[3] Son président est l’ex-député François Brottes, porteur de la loi de transition énergétique de 2013. Il est étrange que ce soit le transporteur (RTE) qui décide combien de MWh il aura à transporter. Dans les autres secteurs du transport, routier, ferroviaire ou aérien, ce sont les clients ou les fournisseurs (dans ce cas EDF, Total, Engie, DirectEnergie…, ailleurs FNAC, AMAZON, La Redoute, Zalendo.…) qui font ces prévisions, le transporteur s’adaptant ensuite à leurs besoins.