Plan hydrogène : attention à ne pas faire les erreurs du photovoltaïque
L’annonce par le gouvernement d’un plan de développement de la filière hydrogène de 7 milliards d’euros, dont deux milliards dès 2021-2022, a créé un choc. Il y a deux ans, le plan de Nicolas Hulot portait sur 100 millions par an. La France qui semblait focalisée sur les batteries électriques, diversifie ses options.
Notre pays dispose déjà d’industries et de compétences fortes dans ce domaine, et le plan « hydrogène » vise à situer la France dans le groupe des pays qui vont créer cette industrie. Un défi de compétitivité passionnant dans un secteur aujourd’hui mondialement porteur. Mais un défi très difficile à relever qui suppose l’engagement des pouvoirs publics et la délégation des projets à des équipes enthousiastes, concurrentes, libérées des contraintes administratives, et assurées de bénéficier des retombées très positives en cas de succès.
Des milliards ont été engagés en vain dans les plans photovolataïques des années 2000. Pour juger du nouveau plan hydrogène, il faut répondre à deux questions : l’hydrogène, un secteur prometteur ? Le plan hydrogène, la bonne méthode ?
Un secteur prometteur
L’hydrogène est déjà utilisée de façon importante (1 million de tonnes par an en France) dans l’industrie pour ses propriétés chimiques (ex. raffinage, sidérurgie, chimie). Mais les communications les plus séduisantes portent sur l’utilisation de l’hydrogène pour stocker de l’énergie, remplacer des carburants, et stocker des excédents de production de l’éolien et du solaire. Certes, les batteries ont prouvé leur réalité avec des millions de voitures en circulation. Mais malgré des progrès importants, elles présentent encore des inconvénients : capacité de stockage d’où autonomie limitée, durée de chargement élevée, composants rares et polluants, poids et coût élevés, performances se dégradant avec le temps de 2 à 3 % par an en moyenne et de façon variable selon leurs conditions d’utilisation (température ambiante, mode des recharges). Les batteries rendent également des services pour la régulation quotidienne de petits réseaux, par exemple dans les îles. Mais elles restent incapables de répondre à des besoins de stockage inter-saisonniers, d’où la recherche justifiée d’une alternative.
Production de l'hydrogène
Quelle que soit son utilisation finale, la première question est de savoir comment produire l’hydrogène. Actuellement, le procédé est le « vaporeformage », production d'hydrogène par réaction d'hydrocarbures en présence de vapeur d'eau. Ce procédé très émetteur de CO₂ pourrait être amélioré par le stockage du CO₂ émis dans des réservoirs naturels à grande profondeur, solution travaillée par Total. Une méthode propre serait l’électrolyse de l’eau (H₂O) à partir d’une électricité décarbonée. Diverses recherches sont en cours dont un projet mené par le CEA d’une électrolyse à haute température, pouvant utiliser une partie de l’énergie fournie sous forme de chaleur, ce qui pourrait offrir un débouché aux nombreux projets de recherche des SMR (Small modular reactor), petits réacteurs modulaires profitant en France de l’expérience militaire des mini réacteurs de la marine. En effet ceux-ci pourraient fonctionner en cogénération chaleur-électricité.
L’électrolyse de l’eau est une méthode classique, objet de nombreuses recherches, où un nouveau saut technologique sera difficile à réaliser. D’autant plus que le prix moyen de l’électricité va continuer à augmenter dans les décennies à venir. L’utilisation des « surplus » d’électricité produits par les modes de production aléatoire et inévitable (éolien, solaire) pendant les périodes de basse consommation et de pointes de production, est mise en avant pour réduire les coûts d’électrolyse. Mais pour être rentables, les électrolyseurs devant fonctionner à l’image des industries électro-intensives, par exemple la fonderie d’aluminium de Dunkerque, presque en permanence, et pas seulement avec des Mwh « en soldes », seraient amenés à consommer de l’électricité au prix moyen sur toute l’année, dont une grande partie d’origine nucléaire. L’hydrogène, même produit dans ses meilleures conditions à partir de l’électrolyse d’une électricité décarbonée, serait sensiblement plus cher que celui qui est actuellement produit par vaporeformage du gaz, responsable d’environ 2% des émissions françaises de gaz carbonique.
Utilisations de l'hydrogène
L’hydrogène est utilisé dans de nombreuses applications, principalement dans l’industrie actuellement, mais avec de nouvelles perspectives dans l’énergie à l’avenir.
- Industrie
Pour son utilisation dans l’industrie, le remplacement de l’hydrogène-pétrolier par l’hydrogène-électrolyse ne pose pas de problème technologique, mais exposerait les industries concernées soumises à une concurrence mondiale à une perte de compétitivité.
- Stockage de l’énergie : Régulation de l’intermittence des renouvelables électriques
Stocker l’électricité ou l’énergie, comme l’évoque un langage courant ne correspond pas à la réalité de la physique. Il est possible de stocker de la matière dans un état (ex. en hauteur, à forte température, combusible) permettant de l’utiliser pour produire au moment venu de l’énergie, en particulier de l’électricité. Mais l'électricité ne permet par lui-même aucun stockage, alors que l’équilibre d’un réseau exige qu’à tout moment production et consommation soient strictement équilibrées. L’exemple le plus connu de ressource de stockage est l’hydraulique de lac, le stockage d’eau à grande hauteur permettant de faire tourner une turbine par énergie mécanique pour entrainer un alternateur. Dans le cas des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), le rendement global est de 75 à 80%.
Pour assurer un stockage inter-saisonnier l’utilisation de l’hydrogène devrait passer par la production de méthane qui est, lui, stockable économiquement dans les considérables stockages souterrains existant du réseau de distribution géré par GRT gaz, ce gaz étant alors disponible pour produire de l’électricité par les centrales existantes aux moments de forte demande. La cascade de processus conduit à un rendement évalué aujourd’hui à 20 à 25%. C’est ce que l’on appelle le power to gaz, concept préconisé par les partisans d’un système électrique 100% renouvelables[1].
Ces réalités ont conduit l’Académie des technologies à écrire dans son rapport sur l’hydrogène :
« Cependant le stockage massif d’hydrogène pour produire de l’électricité dans la logique Power-to-Gas-to-Power n’a pas de modèle économique convaincant d’ici 2050. »
Rejoignant le jugement de l’Académie des sciences qui avait déjà averti en 1998 dans son cahier d’acteur :
« Dans l’état actuel du débat, nos concitoyens pourraient être conduits à penser qu’il serait possible de développer massivement les énergies renouvelables comme moyen de décarbonation du système énergétique en se débarrassant à la fois des énergies fossiles et du nucléaire. Ce n’est malheureusement pas le cas. »
- Transport
Pour un stockage efficace d’énergie destinée à d’autres utilisations, le transport électrique par exemple, l’hydrogène a trois contraintes : 1) le stockage à -253 degrés centigrades, soit sous pression de 700 fois la pression atmosphérique (700 bars), 2) la complexité de la "pile à combustible" nécessaire pour recombiner l’hydrogène à l’oxygène et produire de l’électricité, 3) la logistique de distribution de l'hydrogène. Hors l’utilisation des tuyaux existants alimentant déjà les plus gros consommateurs en gaz, le coût d’une nouvelle logistique serait exorbitant. Ce dernier facteur a conduit l’Académie des technologies à préconiser que les premiers pilotes de production d’hydrogène décarboné soient localisés à côté de leurs futurs clients, par exemple de dépôts de matériels TER ou centres d’exploitation d’autocars.
Réaliser une logistique complète et sécurisée avec un réseau de distribution d’hydrogène aussi fin que le réseau actuel de stations-services d’essence, représenterait un investissement d’une dizaine de milliards d’euros, sans compter les investissements des grossistes en centres de stockage et moyens de livraison.
Cet objectif d’utilisation de l’hydrogène comme alternative au carburant des véhicules est présenté aujourd’hui comme une solution idéale : la transformation de l’hydrogène en électricité ne produit que de l’eau, et les moteurs électriques sont déjà disponibles pour les voitures électriques à batterie. Mais l’hydrogène doit être conservé dans les réservoirs des véhicules à une pression de 700 bars, et la production d’électricité à partir d’hydrogène par les piles à combustibles est complexe et coûteuse. D’après la description du CETIM, le véritable coût des piles à combustible est, à ce jour, très difficile à évaluer, leurs composants et leur montage final étant réalisés de façon artisanale. De nombreuses options sont encore ouvertes, ce qui est encourageant à moyen terme, et des laboratoires et des entreprises français travaillent sur ces sujets. Une fois les recherches abouties, on saura si les électrolyseurs et piles à combustibles retenus utilisent plus ou moins de ressources rares et polluantes que les batteries.
Synthèse des défis | |
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Trois sujets | Situation actuelle |
Mode actuel de production de l’hydrogène | Produits pétroliers -> CO₂ |
Coût de transformation de l’électricité en hydrogène | Très élevé |
Coût du retour de l’hydrogène en électricité | Très élevé |
Le cycle électricité-hydrogène-électricité n’est pas neutre en termes de rendement : les deux tiers de l’énergie sont perdus au cours de cet aller et retour, entrainant des coûts et une consommation d’électricité très supérieure à celle du cycle électricité-batterie-électricité. La voiture à batterie a un rendement énergétique de 85% de la prise à la jante, trois fois supérieur à celui de la voiture à hydrogène, 25 à 30%. Jean-Marc Jancovici, ingénieur expert de l'énergie et du climat, a évalué que le transfert de tout le transport à l’hydrogène nécessiterait de doubler notre production électrique !
L’utilisation de l’hydrogène pour le transport devrait être testée pour les véhicules dont les poids et dimensions seraient incompatibles avec les volumes et poids de batteries nécessaires, par exemple trains TER, réseaux d’autocars, bateaux navettes, avec production et stockage sur site. Les trains à hydrogène d’Alstom commencent à circuler dans plusieurs régions européennes, mais concevoir un avion à hydrogène relève aujourd’hui de la recherche, le volume des réserves d’hydrogène atteignant huit fois le volume de celui du Kérosène.
La méthode du plan hydrogène
Pour la recherche et développement concernant la production d’hydrogène vert puis celle d’électricité (piles à combustible), le gouvernement s’appuie logiquement sur des points forts de notre recherche et industrie (Air liquide, Total, Engie, CEA, Plastic Omnium…) et sur des start-up (McPhy, Citem, Symbio, Atawey, Europlasma …) Mais dans cette phase initiale, les soutiens ne doivent pas se limiter aux entreprises établies ni même à une seule filière risquant de faire obstacle aux idées neuves, mais d’ouvrir les projets à d’autres candidats potentiels crédibles. Cette méthode a réussi dans la téléphonie (Free), l’automobile (Tesla), le spatial (SpaceX) ou le cloud (Amazon) où un nouvel entrant a contesté avec succès les entreprises historiques.
Pour l’utilisation de l’hydrogène vert dans l’industrie, le gouvernement semble décidé à l’imposer quoiqu’il coûte, à coup de taxes et de réglementations. Parce que ce surcoût ne sera pas apparent pour les particuliers, cette augmentation ne risque pas de dégénérer en « gilets jaunes », mais impacterait la compétitivité des industries concernées déjà fragiles, avec un risque de délocalisation hors de France.
Pour le stockage de l’énergie, les aides à plusieurs expérimentations décentralisées dans les territoires constituent la bonne approche. Une contribution financière significative des acteurs de terrain (entreprises participantes, collectivités locales) devrait éviter le lancement et la poursuite indéfinie de projets sans perspectives.
Le plan défini par le gouvernement est logiquement ambitieux, mais le succès n’est garanti dans aucun des trois domaines : technologiques, économiques et sociétaux. Des objectifs intermédiaires de trajectoire devraient être fixés pour pouvoir être évalués. Sans oublier que la véritable mesure d’un projet à la pointe de la technologie comme celui-ci se mesure surtout par son succès à l’exportation.
Conclusion
La recherche sur les différentes filières de production et d’utilisation de l’hydrogène est pleinement justifiée, à condition de ne pas brûler les étapes comme cela a été fait pour le photovoltaïque[2]. Le système de « guichet ouvert » a conduit à dépenser, chaque année et pendant vingt ans, des milliards d’euros pour subventionner des productions jusqu’à douze fois plus coûteuses que les prix du marché, et sans déboucher sur la moindre production française. Les expérimentations et les prototypes doivent rester au niveau de démonstrateurs et ne pas être propagés à coups de subventions massives tant que les industriels ne peuvent pas s’engager sur des performances rentables. Pendant au moins 30 ans, et contrairement à certaines illusions, dans notre pays, les technologies de l’hydrogène pourront certes apporter quelques progrès dans la réduction de nos émissions de gaz carbonique, mais seulement de quelques %. Elles seront incapables de contribuer au fantasme d’un système électrique basé à 100% sur les énergies dites renouvelables, fiable et compétitif, remplaçant l’actuel à base de nucléaire.
[1] Injecter directement de l’hydrogène, en faible proportion, dans le réseau de distribution de gaz est aussi envisagé.
[2] Et pour l’éolien terrestre et marin dans une proportion moindre.