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Energie : comparaison des stratégies proposées par le NFP et le RN

Après la flambée des prix de l’énergie en 2021-2023 les principaux partis en lice pour les élections législatives 2024 s’accordent sur le besoin de préserver le pouvoir d’achat. S’ils s’opposent sur la façon d’obtenir une baisse des prix, ils s’opposent également sur la stratégie pour retrouver une souveraineté énergétique : tandis que le RN espère y parvenir en sortant des règles européennes de fixation des prix et grâce à un plan de relance du nucléaire en stoppant le développement de l’éolien notamment, le NFP ne dit pas un mot sur le nucléaire (sujet de dissension dans le bloc de gauche) et mise sur la planification écologique et le développement des filières renouvelables françaises pour garantir une sécurité d’approvisionnement. 

Du côté d'Ensemble pour la République, les seules propositions sur le sujet consiste à reprendre :

  • D'un côté, l'annonce du gouvernement actuel de fixer l’objectif de baisser les factures d’électricité de 15% dès l’hiver prochain,
  • De l'autre, de poursuivre les annonces d’Emmanuel Macron à l’occasion desa conférence de presse du 12 juin 2024, qui annonçait vouloir construire "huit nouveaux réacteurs nucléaires", en plus des six premiers réacteurs EPR2 déjà confirmés. 

Que proposent-ils pour baisser les prix de l’énergie ?

Sur la question énergétique, les principaux partis politiques en lice pour les législatives ont comme point commun de vouloir agir sur les prix. Ce consensus s’explique par la crise énergétique que nous avons connue pendant l’hiver 2022-2023 dont les causes sont, à la fois internationales… pénurie d’énergie mondiale liée à la reprise économique post-covid, dès 2021, invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, avec des sanctions prises sur les importations de pétrole et de gaz russes. Et nationales : indisponibilité historique du parc nucléaire français avec jusqu’à 32 réacteurs arrêtés pour maintenance sur les 56 réacteurs du parc, amplifiée par une remise en route laborieuse en raison de la crise sanitaire, du manque de personnels, du Grand Carénage et de la découverte de corrosion sous contrainte qui a affectée 12 réacteurs. Conséquence : les prix du gaz et de l’électricité ont explosé, sont devenus extrêmement instables, et ont contribué à une forte poussée de l’inflation. Autant d’éléments qui ont pesé sur le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes.

Ces envolées sont de plus considérablement amplifiées par le remplacement, sans moyens de stockage complémentaires, de capacités pilotables (nucléaire et fossiles essentiellement) par des capacités intermittentes dont la production oscille rapidement de presque zéro à de fortes puissances. Production et consommation devant être équilibrée pour éviter un risque de black-out, le marché devient volatil et donc spéculatif. Les engagements européens rendent ce risque inéluctable.

Selon l’Insee, le pouvoir d’achat des ménages a été affecté par la hausse des prix de l’énergie et, malgré les aides mises en œuvre par le gouvernement ( bouclier tarifaire, remise à la pompe, indemnité inflation, chèque énergie), le revenu disponible des ménages a été réduit de 720 € par rapport ce qu’il aurait été si les prix de l’énergie (électricité, gaz, fioul, carburants) étaient restés ceux de 2020. Ce sont les foyers les plus modestes et ceux vivant hors des centres urbains qui ont logiquement été les plus touchés :

Les deux partis ont donc placé la question des prix de l’énergie au cœur de leur campagne :

  • Le NFP a précisé vouloir bloquer les prix des biens de première nécessité dont l'alimentation, l'énergie et les carburants,
  • Le RN a annoncé une baisse de la TVA de 20% à 5,5% sur les produits énergétiques.

Ces mesures ont en commun de couter très cher à l’Etat:

  • 16,7 milliards € pour la proposition du RN (+ un retour sur TVA liée à la consommation stimulée, de 6,7 milliards),
  • 21,5 milliards € pour les propositions du NFP.

La mesure présentée par le camp présidentiel ne devrait pas représenter a priori un coût élevé pour les finances publiques compte tenu des projections anticipant une baisse des prix de l’électricité. L’Institut Montaigne a toutefois chiffré à 2,4 milliards € l’engagement de baisser de 15% les factures d’électricité si la baisse des prix ne devait pas se répercuter spontanément et devait se traduire par une nouvelle baisse de la fiscalité. Le prix de l’électricité suit les prix de gros des 12 derniers mois. Ceux de 2023 qui servent de base aux tarifs 2024 ont considérablement baissé par rapport à 2022.

Source Selectra 

Les anticipations pour le futur sont également à la baisse : voici l’évolution des prix des contrats pour une livraison en 2025 :

Source  Selectra

Pour le RN, la question du coût de la mesure a été anticipée avec une taxation renforcée sur les super-profits des énergéticiens et éventuellement la suppression de la niche fiscale dont profitent les armateurs. 

Le député RN, Jean-Philippe Tanguy, souhaite taxer les profits et les marges exagérés réalisés par certains secteurs économiques, notamment celui de l’énergie. “La Cour des comptes vient de nous apprendre que les distributeurs d’énergie avaient fait plus de 30 milliards de surprofits”, en 2022 et en 2023, avance le député du Rassemblement national qui plaide pour une taxe sur ces surprofits. “C’est de l’argent indu, de l’argent volé sur les factures ou sur les aides de l’Etat. Il faut récupérer l’entièreté de ces 30 milliards”, il souhaite “appliquer une vraie taxe sur les énergéticiens”. 

De son côté Jordan Bardella avait déclaré vouloir mettre fin à certaines niches fiscales, notamment celles sur les armateurs [estimée selon le président du parti à 5 Mds € mais qui pourrait coûter beaucoup moins en 2024], et abaisser de 2 Mds € dès cet été la contribution de la France au budget de l’UE.

Pour le RN, une interrogation concerne la baisse de la TVA qui pourrait ne pas être entièrement répercutée par les énergéticiens. Là encore, le député Jean-Philippe Tanguy estime que les consommateurs pourront faire jouer la concurrence. Autre difficulté : l’équité de la mesure qui profite indifféremment à tous les consommateurs, quels que soient leurs revenus, et la nécessité d’utiliser leurs véhicules pour se déplacer. Mais la question qui se pose est surtout la compatibilité de cette mesure avec les règles européennes : comme le rappelle Le Figaro, la TVA sur l’électricité atteint 20% «sur le montant des consommations d'électricité, sur l'accise sur l'électricité, ainsi que sur la Taxe Communale sur la Consommation Finale d'Électricité (TCCFE)», et 5,5% sur l’abonnement «et sur la Contribution Tarifaire d'Acheminement» (CTA). Idem sur le gaz, où le taux atteint 20% pour le montant des consommations et sur la «taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN)», et 5,5% sur l’abonnement au gaz ainsi que la CTA. 

Selon Euractiv, abaisser la taxe sur l’électricité et les énergies bas carbone ne pose pas de problème au titre de la directive européenne sur la TVA, jusqu’à un minimum de 5 %. En revanche, abaisser la taxe sur le carburant en dessous de 15 % est interdit. En 2022, les États membres de l’UE ont même expressément rejeté la possibilité de réduire le taux ou d’exonérer de TVA les carburants et autres produits ayant des effets néfastes sur l’environnement.  Il faudrait donc négocier avec la Commission européenne, soit pour demander une dérogation temporaire et circonstanciée au droit communautaire, comme l'a fait la Pologne en 2022, soit une modification de la directive, ce qui prendrait plusieurs années. À défaut, il faudrait s’exposer à une amende.  

Pour le NFP, on notera la contradiction entre son programme qui prône l’interdiction de tout financement des énergies fossiles et qui propose, « en même temps », de bloquer les prix des carburants et d’annuler l’augmentation des prix du gaz, ce qui revient à subventionner les énergies fossiles. De même, le NFP veut abolir la taxe Macron de 10% qui n’est autre que le retour à la normale sur l’ex-CSPE dont le montant avait été abaissé durant la crise énergétique de 2022-2023. Mais il est paradoxal de s’attaquer à une taxe qui finance pour l’essentiel la charge de service public des énergies renouvelables que la coalition veut massivement développer. Cependant ces mesures s’incluent dans un cadre plus large qui vise à défendre le pouvoir d’achat des plus modestes. On trouve ainsi dans le programme une annulation de la hausse programmée du prix du gaz au 1er juillet, l’interdiction des réductions de puissance d'électricité, des coupures d'électricité, de chaleur et de gaz, la gratuité des premiers kilowattheures. Au NFP aussi, les profits des énergéticiens sont dans le viseur pour financer une partie des mesures.

Sur l’annulation de la hausse des prix du gaz au 1er juillet, il faut rappeler que cette hausse est en partie due à des investissements dans les réseaux qui sont nécessaires mais qui s’amortissent moins bien en raison d’une baisse de la consommation. A cela s’ajoute une hausse des prix du gaz sur les marchés internationaux, en particulier du gaz liquéfié, qu’il faudra bien compenser en cas de gel des prix. Toujours selon Euractiv un blocage des prix de l’énergie ne pourrait être que temporaire et circonstancié à des situations exceptionnelles de crise, ou d’anomalie du marché. Il y a donc des risques que l’Europe recadre la proposition.

La mesure n’est pas sans poser un problème là aussi en ce qu’elle favorise tous les consommateurs, quels que soient leurs revenus. Elle pourrait aussi être considérée comme un avantage conféré aux entreprises françaises favorisant une concurrence déloyale au sein de l’Europe. Il faudrait donc que le différentiel de prix entre la France et les autres pays d’Europe reste mesuré. Or, les prix de l’énergie sont, en comparaison de ce qui se fait ailleurs en Europe, plutôt bon marché.

Quelles sont les propositions pour soutenir la souveraineté énergétique de la France ?

Pour restaurer notre souveraineté énergétique, le RN souhaite :

  • Sortir des règles européennes de fixation des prix de l’énergie, 
  • Lancer un plan de relance du nucléaire (EPR, SMR, réacteurs à neutrons rapides). Selon le quotidien Les Echos, Jean-Philippe Tanguy avance la mise en chantier de 20 nouveaux réacteurs nucléaires, avec un calendrier de mise en service porté à une vitesse jamais vue dans l'histoire récente du nucléaire : « 10 réacteurs entre 2033 et 2037, puis 10 en 2037-2042 », soit 2 par ans. Pour mémoire, la France a construit 5 réacteurs par an fin 70 début 80) dans un contexte différent de grande maîtrise des process de production.
  • Protéger les barrages hydroélectriques de la mise en concurrence voulue par Bruxelles et investir dans ces barrages,
  • Sortir définitivement du charbon en convertissant les centrales en biomasse et développer les énergies vertes comme l’hydrogène et la géothermie. 

Le projet du NFP souhaite voter une nouvelle loi climat avec comme objectifs :

  • Renforcer la structuration de filières françaises et européennes de production d’énergies renouvelables (de la fabrication à la production),
  • Revenir sur la fusion entre l’ASN et l’IRSN,
  • Faire de la France le leader européen des énergies marines avec l’éolien en mer et le développement des énergies hydroliennes,
  • Refuser la privatisation ou la mise en concurrence des barrages hydroélectriques.

On distingue tout de suite une différence fondamentale entre le projet RN qui s’appuie sur le nucléaire tout en refusant de développer plus avant les renouvelables et le projet du NFP qui ne dit rien du sort du nucléaire dans la stratégie climat. 

Si le programme du Nouveau Front populaire évite le sujet du nucléaire, c’est faute de consensus entre les partis de la coalition. Le PCF est pro nucléaire tandis que LFI et les Ecologistes sont pour un plan 100% renouvelables d’ici 2050. Pour le parti socialiste, le nucléaire est «une énergie de transition».

Sur ce sujet, Eric Coquerel (LFI) a expliqué face au Medef que [LFI] est pour la sortie du nucléaire, on le sait. Mais là, le mandat que nous donnons, c’est de ne pas toucher au parc [nucléaire] actuel», et de remettre «aux élections présidentielles» les décisions sur ce sujet, tandis que Boris Vallaud (PS) expliquait préférer «la décarbonation avant la dénucléarisation» 

Sur TF1, Olivier Faure a indiqué qu’il n’y aurait pas de sortie du nucléaire tant que nous n’aurons pas amené les EnR à maturité, tant que nous ne serons pas souverains sur le plan énergétique et tout le monde est d’accord pour dire que le nucléaire est une énergie de transition.

L’accord qui a été trouvé n’est toutefois pas rassurant car l’énergie est une industrie de temps long et les projets ne peuvent pas être suspendus à une éventuelle remise en cause en 2027. Or au-delà de la mise en route de Flamanville, les études ont déjà démarré pour les deux futurs EPR de Penly mais elles ont besoin d’être confirmées pour que le démarrage soit bien possible en 2035. Au-delà, il faut rappeler que les scénarios 100% renouvelables ont été abandonnés par RTE compte tenu de leur coût global et surtout pour éviter d’être en sous capacité et de courir des risques de black-out face à des usages électriques qui vont considérablement augmenter. Quant à miser sur des filières de production d’énergies renouvelables françaises et européennes, cette proposition risque de se heurter à l’environnement fiscal et social des entreprises et ne sera pas possible sans des subventions massives. Vu la situation actuelle, avec des importations massives (solaire, éolien, PAC, batteries, .. ;) et domination de la Chine sur certains matériaux, le temps d’une autonomisation de l’Europe est au mieux hypothétique.

Au total, il est contradictoire de constater que le programme du NFP souhaite à la fois agir sur le pouvoir d’achat en baissant les prix de l’énergie tout en n’agissant pas dans un second temps sur les conditions d’un renforcement de la production, y compris nucléaire, condition pour faire baisser les prix.

Du côté, du RN, la proposition est d’accélérer massivement la construction d’EPR tout en n’investissant plus dans les énergies renouvelables. Le président du parti veut un moratoire sur la construction de nouveaux chantiers d’éoliennes mais n’envisagent plus de les démanteler. Jean-Philippe Tanguy évoque la possibilité de ne pas renouveler les concessions. Cette situation pourrait présenter des risques surtout en attendant le démarrage des nouveaux EPR (2035), sauf si une dizaine de GWe de turbines à gaz étaient construites, comme le projette l’Allemagne , ce que n’évoque pas le programme de Jordan Bardella. Par ailleurs, le RN envisage bien de réinvestir dans les barrages hydro-électriques en refusant leur mise en concurrence, tout comme le NFP d’ailleurs, mais le potentiel de développement du secteur hydro-électrique sera-t-il suffisant en attendant le démarrage des réacteurs nucléaires ?

Surtout cette proposition sur les énergies renouvelables risque là encore de mettre la France en opposition avec ses partenaires européens alors qu’elle est souvent pointée du doigt pour ne pas avoir atteint le seuil d’énergies renouvelables fixé par le pacte vert européen (part minimum d’énergies renouvelables d'au moins de 42,5% à l’horizon 2030 ; la France encourt des sanctions financières pour ne pas respecter 23 % d’ENR en 2022). De ce point de vue, le RN devrait reprendre le flambeau de l’opposition d’Agnès Pannier-Runacher qui a défendu la stratégie française pour le climat avec l’un des mix électriques les plus décarbonés d’Europe.

Le RN voudrait aussi ouvrir une autre brèche avec l’Union en sortant des mécanismes européens de fixation des prix de l’énergie (il avait même été parfois évoqué la sortie du marché européen de l’électricité). Or la France avait obtenu de haute lutte que la réforme du marché de l’électricité initiée en 2021, inclue le nucléaire, y compris historique, pour les contrats de long terme. Il n’est pas sûr que les autres pays européens aient envie de rouvrir des négociations sur tous ces sujets et accueillent favorablement les nouvelles revendications françaises. Pourtant la France a besoin de rester dans un marché européen de l’électricité comme on l’a vu en 2022 lorsque nous sommes devenus importateurs nets d’électricité et même d’en améliorer le fonctionnement compte tenu du développement des ENRI de nos voisins qui se sont engagés dans la réalisation de capacités considérables et qui créent des risques sur les interconnexions transfrontalières, quand les surproductions viennent déborder sur le réseau français.