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Crise du lait : après des subventions pour s’installer, des subventions pour abandonner

Alors qu’une mauvaise récolte et la baisse des cours des céréales fragilisent leurs producteurs, la crise du lait persiste et déclenche de nouvelles manifestations dans l’ouest de la France. Certains de ces exploitants agricoles sont effectivement dans une situation désastreuse et doivent être aidés.  Mais les agriculteurs, et surtout les responsables syndicaux et politiques qui administrent l’agriculture française, ne peuvent échapper aux deux questions que tout le monde se pose: comment font-ils en Irlande, aux Pays-Bas, en Allemagne ou au Danemark ? pourquoi en est-on là en France ?

Les données ne semblent contestées par personne : le lait est payé plus cher aux agriculteurs français que dans les pays voisins où les producteurs sont aussi touchés par la baisse des cours mais ne sont pas au bord du désespoir comme les nôtres.

Source Coordination rurale, juin 2016, prix de vente par les agriculteurs en euros / tonne de lait   

Belgique

Irlande

Allemagne

Pays-Bas

Royaume-Uni

Danemark

France

216

237

239

246

254

262

274

 Les écarts sont donc considérables, et encore plus face au coût moyen de production annoncé en France par les manifestants de 330 euros par tonne. Les agriculteurs français étant bien formés et travaillant beaucoup, il n’existe que deux hypothèses pour expliquer cette situation : les agriculteurs français sont handicapés soit par des charges excessives, soit par une bureaucratie envahissante. Dans les deux cas, les politiques sont responsables, et cela depuis des décennies. En ce qui concerne les contraintes sociales et financières, elles sont très fortes en France sur tous les secteurs économiques, mais,  contrairement au secteur des fruits et légumes, les producteurs laitiers employant très peu de personnel et payant peu d’impôts sur les bénéfices et le revenu, ce facteur ne semble pas majeur. C’est la sur-administration agricole qui est la cause majeure de leurs problèmes.

Le constat d’échec

La FNSEA,  le principal syndicat agricole, tout en soutenant sur le terrain les manifestations de désespoir, semble convaincue que le problème va très au-delà d’un relèvement du prix du lait en France : trop d’agriculteurs, choisis par la corporation agricole et les préfectures, ont été installés à coup de subventions sur des exploitations structurellement non rentables. Lucide, Xavier Beulin, président de la FNSEA, a demandé le déblocage d’aides d’État pour réduire le nombre d’agriculteurs par des préretraites et des reconversions pour les agriculteurs des exploitations non compétitives. Une demande confirmée un mois plus tard par Jean Bizet, sénateur de la Manche qui reconnaît que les choix publics ont privilégié « l’aménagement du territoire » et oublié la productivité.

Il faut ajouter à ces motivations des politiques, l’espoir naïf de lutter contre le chômage comme le montrent les instructions officielles : « Privilégier la création ou le maintien d’exploitations agricoles en maintenant le maximum d’actifs agricoles ».  Ce qui se traduit sur le terrain par « il  vaut mieux favoriser 2 exploitations avec 2 emplois, même non rentables, plutôt qu’une rentable avec 1,5 emploi ». Avec les Commissions départementales d’orientation agricole (CDOA), les Schémas départementaux directeurs des structures agricoles (SDDSA), les Projets agricoles départementaux (PAD), les contrôles des structures, les plafonds de surface, les SAFER et les autorisations d’exploiter, l’État et les syndicats agricoles prétendent décider ce qu’il faut faire à la place des entrepreneurs-agriculteurs. L’échec de cette méthode est complet. Pour les gouvernements et certains syndicats, chaque départ en retraite ou abandon d’exploitation devrait être remplacé par un nouvel agriculteur. Le but affiché est d’installer chaque année 10.000 jeunes agriculteurs, et les organismes départementaux d’État sont évalués sur la façon dont elles s’approchent de leur objectif. La pression sur les banques est forte pour leur faire accepter des dossiers « difficiles » (en réalité souvent suicidaires). Par exemple quand un jeune disposant de seulement 10.000 euros reprend en location une exploitation pour laquelle il emprunte des centaines de milliers d’euros (cheptel, machines). Inévitablement, ces producteurs surendettés mais encore sous-équipés, n’ont pas la capacité de surmonter des aléas, inhérents à l’agriculture, mais que subissent aussi de nombreux autres secteurs (tourisme, boissons, habillement, glaces…). 

Les subventions supplémentaires qui vont être accordées à l’agriculture, en plus des 9 milliards d’euros annuels de la PAC, et les nouvelles mesures finançant le retrait d’agriculteurs sont sans doute nécessaires, mais à condition de réformer de fond en comble l’administration de l’agriculture française pour lui donner les mêmes atouts que ses concurrentes. Une réforme facile puisqu’il suffit de supprimer tous les organismes dont il n’existe pas d’équivalent à l’étranger. L’agriculture doit être libérée du carcan où elle se trouve depuis des décennies et retrouver au moins le niveau de liberté de gestion qui existe dans les autres secteurs économiques français (commerçants, artisans, entreprises). 

Lire aussi : Crise agricole, la déroute de la planification publique

Après les mineurs de charbon, les agriculteurs

En 1981, la relance de l’extraction du charbon promise pendant la campagne présidentielle pour faire baisser le taux de chômage avait conduit à l’embauche 10.000 nouveaux mineurs et à l’explosion des déficits de Charbonnage de France. Dès 1984, le constat que la situation est intenable est entériné. Des entreprises comme EDF, GDF ou SNCF sont contraintes  d’accueillir des jeunes mineurs en surnombre, et en 1994, le pacte charbonnier confirme la fin de toute extraction, avec des  pré-retraites à 45 ans !  Le coût financier de cette politique clientéliste d'évalue en milliards d’euros. Le coût humain pour ces jeunes qui ont été trompés et qui n’ont pas pu exploiter leurs talents, est encore pire. Cette leçon ne semble pas avoir servi puisque les mêmes causes vont reproduire les mêmes effets dans le secteur agricole.