Coût des énergies renouvelables : Bruxelles impose un début de transparence
« L’heure est venue pour les énergies renouvelables d’entrer sur le marché » a annoncé Joaquim Almunia, vice-président de la Commission européenne, chargé de la concurrence (avril 2014). Pour favoriser le développement des nouvelles énergies renouvelables, plusieurs méthodes ont été utilisées: subvention directe, tarif d’achat fixé par le gouvernement avec ou sans quota, appel d’offre ou dialogue compétitif. Ces aides strictement financières sont peut-être justifiées et chacune présente des avantages et des inconvénients, mais toutes entretiennent le flou sur la valeur réelle pour les consommateurs de l’énergie produite par ces centrales (éolien, photovoltaïque, biomasse…). Face à la centaine de milliards d’euros par an de leur surcoût en Europe, Bruxelles a décidé qu’il était temps de mettre un peu de transparence dans ce secteur pour que les consommateurs et les contribuables jugent en connaissance de cause de leur utilité.
Quel que soit le mode d’aide appliqué jusqu’à présent, la question qui reste sans réponse est : pour le consommateur final, quel est le surcoût de ces énergies intermittentes et aléatoires ? Et comme les consommateurs finaux ne sont pas directement reliés aux centrales éoliennes ou solaires, la question est plus précisément : à quel prix EDF, ENGIE, Direct Energie ou d’autres fournisseurs français ou étrangers sont-ils prêts à acheter la production annuelle d’un ensemble d’éoliennes ou de centrales photovoltaïques ? Déterminer ce prix d’achat économiquement attractif est très complexe puisqu’il faut tenir compte du caractère intermittent et incontrôlable de la production de ces centrales. Seules les entreprises qui fournissent les clients finaux ont la capacité technique et économique de déterminer un prix d'achat rationnel en prenant en compte leurs propres productions, la consommation de leurs clients elle aussi très variable et le niveau des divers prix de vente. En France, le tarif heure creuse est deux fois moins élevé que le tarif de la journée. Une tendance qui va se développer, avec le compteur Linky les prix seront de plus en plus variés pour mieux coller aux coûts et optimiser la production d'énergie.
La Commission de Bruxelles a donc décidé que les tarifs garantis fixés par les États devaient être abandonnés, et que les producteurs d’électricité devraient vendre leur production d’électricité sur le marché en négociant librement les prix avec les distributeurs intéressés. Une mesure nécessaire mais dont l’application est beaucoup plus obscure que ce qui était annoncé.
Complément de rémunération
En plus du prix payé par l’acheteur, les producteurs recevront un « complément » fixé par chaque État destiné à combler l'écart entre le prix de marché et un prix cible fixé par filière par le ministère « pour assurer une rentabilité normale des producteurs ».
La formule de calcul du complément de rémunération (CR) donne une idée de la complexité du système :
Application pratique : Calcul du Complément de rémunération
Centrale électrique | Eolienne, 5 fois 2 MW |
Période | Mars |
Production (31*24*2*5)*0,25 | 1.860 MWh |
Coût théorique de production / MWh | 90 € / MWh |
Prix moyen sur le marché / MWh | 35 € /MWh |
Rémunération (vente sur le marché) | 65.100 euros |
Prime à l’électricité | 102.300 euros |
Complément de rémunération | environ 100.000 euros |
Capacité : cette prime sera réduite si le producteur n’assure pas un niveau de production garanti, et que d’autres doivent avoir des capacités en stand-by (centrales à gaz ou nucléaires).
Prime de gestion : sa prime sera augmentée de frais de gestion liés à l’administration de ce mécanisme complexe.
En utilisant, à la fin de la période (ex. un mois ou un an), la moyenne des prix pratiqués sur le marché, ce système ne prend pas assez en compte la grande variabilité dans le temps des consommations et des productions, et n’encourage pas leur optimisation. Le solaire, par exemple, ne produit pas de 18 à 22 heures, aux heures de pointe, d’octobre à mars, ce qui est un gros inconvénient, mais pas non plus de minuit à quatre heures du matin, ce qui est un gros avantage.
Les valeurs de la douzaine de paramètres de la formule ci-dessus qui permet de calculer le complément de rémunération sont largement arbitraires (voir texte en annexe ci-dessous). Leur fixation est propice à toutes sortes de petits arrangements entre responsables politiques, nationaux ou locaux, et producteurs, aux dépens des consommateurs. L’objectif même d’assurer aux producteurs une « rentabilité normale » est étrange, laissant à penser que bons et mauvais entrepreneurs doivent recevoir une rémunération identique[1]. Une forme de retour au contrôle des prix par l’administration qui n’a jamais fonctionné nulle part : « Lorsque les archives du Gosplan furent accessibles, il devint impossible de nier l’évidence: en l’absence de marché libre, les responsables du Gosplan étaient littéralement incapables d’établir une échelle de prix et en étaient réduits à utiliser les espions du KGB pour récupérer les catalogues de La Redoute ou de Sears. » (Georges Kaplan)
Mais il y a pire : si aucun acheteur n'est interessé par la production d'une centrale éolienne ou solaire, un "acheteur en dernier recours" sera désigné par le gouvernement ! Même au temps du contrôle des prix en France (jusgu'en 1987), aucun acheteur n'était contraint d'acheter leurs invendus aux boulangers.
Un progrès limité de transparence
Le niveau du « complément de rémunération » restera discrétionnaire et le surcoût pour les consommateurs aussi élevé qu’actuellement. Cette nouvelle technique de subvention ne change donc rien pour les producteurs dont les revenus seront garantis et ne répond pas aux questions de fond : pourquoi faut-il subventionner ces énergies non compétitives ? pendant combien de temps faudra-t-il encore le faire pour les « faire décoller » ?
Avec l’existence officielle d’un complément de revenu, le surcoût de ces nouvelles énergies sera rendu indéniable, ce qui constituera déjà un progrès. Tant que ce complément de revenu ne sera pas nul, il ne sera pas possible de défendre que ces énergies ont atteint la parité avec les productions existantes.
Pour un vrai marché
La complexité et le flou de l’usine à gaz mise en place ne permet toujours pas de répondre à la question : quelle est la vraie valeur des MWh produits par ces techniques ? Pour le savoir, la seule méthode serait de créer un véritable système d’enchères où les producteurs proposeraient leur production future aux fournisseurs (sur une période annuelle ou pluri annuelle). Le niveau des prix acceptés par les acheteurs mesurerait clairement l’utilité des MWh éoliens et solaires. Si les gouvernements l’estiment nécessaire, il serait toujours possible de compléter le prix d’achat par des subventions standards.
Le tableau ci-dessous illustre une répartition éventuelle entre prix payé par l’acheteur et subvention publique à la charge des consommateurs ou des contribuables.
En euros par mégawattheure | Éolien terrestre (6 fois 2 MW) | Photovoltaïque |
Tarif achat obligé actuel | 90 € | 105 € |
Prix achat libre aux enchères | 25 € | 20 € |
Complément de rémunération | 65 € | 85 € |
Total | 90 € | 105 € |
Une réforme française minimale
La Commission de Bruxelles a admis des dérogations temporaires à l’application de sa timide réforme. En France, le gouvernement a décidé de les utiliser au maximum. Les productions de la plupart des nouvelles éoliennes terrestres, des éoliennes marines, du photovoltaïque sur les bâtiments de moins de 100 kW, du biogaz d’une puissance de moins de 500 kW vont continuer à bénéficier de l’opacité total des tarifs garantis d’achat. Curieusement, les producteurs qui bénéficiaient de prix garantis peuvent demander à passer aux compléments de rémunérations, et même revenir aux prix garantis s’ils le souhaitent. Des facilités obtenues par les producteurs mais dénoncées à juste titre par la Commission de régulation de l’énergie comme pénalisantes pour les consommateurs.
Conclusion
Ces obligations d’achat ont été votées en 2000 et les tarifs d’achat mis en place en 2002, dans l’idée d’aider au décollage de ces énergies. Quinze ans après, mettre en place un nouveau mécanisme de prix administrés montre malheureusement que le déploiement massif de ces technologies a été prématuré[2] et que ces subventions ne sont pas en voie de disparition. L’électricité produite par les éoliennes marines qui seront mises en service en France en 2020 coûtera plus de 200 euros par MWh (soit 5 fois les prix actuels sur le marché) aux consommateurs jusqu’en 2040. Des crédits pour faire de la recherche dans le domaine de l’énergie auraient donc été beaucoup plus utiles. La réforme décidée par Bruxelles constitue un léger progrès de transparence mais ne garantit pas la fin des surcoûts de ces nouvelles énergies.
Délibérations de la Commission de régulation de l’énergie (CRE)
[1][1] Une démarche similaire se développe pour fixer le « juste prix du lait » et d’autres prix agricoles
[2] C’est d’ailleurs ce que confirme le 18è rapport annuel de CAP Gemini « Observatoire des marchés européens de l’Energie » publié le 27 octobre 2016