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COP21 vs loi de transition énergétique : promesses incompatibles

Le 15 décembre 2015, à la COP21, la France a pris l’engagement ambitieux de réduire de 40% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Six mois plus tôt, la loi « relative à la transition énergétique et pour la croissance verte » avait pris deux autres engagements très différents : réduire de moitié la quantité d’énergie consommée en 2050 et baisser de 75 à 50% la part de l’électricité d’origine nucléaire dès 2025. Il reste peu de temps avant 2025, mais, dans le secteur électrique, les actions concrètes déjà prises par le gouvernement sont contradictoires avec ces trois promesses. Le report de la présentation de la PPE Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui devait avoir lieu le 8 mars 2016 le confirme. Elle devait définir les scénarios qui permettront, entre autres, de réduire la part du nucléaire à 50% en 2025. "La finalisation complexe des hypothèses et scénarios (...) prend plus de temps que prévu" a indiqué le ministère dans un courrier aux participants. Aucune nouvelle date n'a été fixée. 

Consommation d’énergie électrique

Le premier objectif de la politique énergétique est de fournir à la France l’énergie dont les particuliers, les entreprises et les administrations ont besoin, et à des prix compétitifs avec les autres pays européens et mondiaux. François Brottes, ex-député et acteur central de la loi Transition énergétique, a quitté l’Assemblée nationale en septembre 2015 pour devenir président du réseau de transport national d’électricité (RTE). Dans deux études parues en novembre, il a présenté le bilan prévisionnel 2015-2020 tenant compte des orientations de sa loi, et prévoyant donc la fin de la production de Fessenheim en 2016 ou 2020.

Sur-capacité et sous-capacité

Depuis plusieurs années, ce sont les sur-capacités liées aux tarifs d’achats obligatoires d’électricité renouvelable qui perturbent la gestion des producteurs historiques et, curieusement, renchérissent les prix pour les consommateurs. Mais cela n’exclut pas les risques de sous-capacité en cas de pointe de consommation et de baisse de production des centrales éoliennes et photo-voltaïques. Un souci récurrent à l’entrée de chaque hiver, comme l’expliquait en 2012 Dominique Maillard précédent président de RTE: "La préoccupation qu'on a est plutôt liée à la situation européenne avec la fermeture de huit réacteurs en Allemagne, le développement des énergies renouvelables et l'arrêt de deux réacteurs en Belgique. En février dernier, la France a pu compter sur ses voisins européens, notamment l'Allemagne, pour importer une quantité record de 9.000 mégawatts (MW) d'électricité, soit l'équivalent en puissance d'environ neuf réacteurs nucléaires."

Face à ce problème, le rapport RTE de 2015 dessine une perspective de croissance modérée de la consommation électrique, tant en France qu’en Europe, et fait l’inventaire des capacités mobilisables en périodes de grands froids chez nos voisins européens qui seront fermées d’ici 2020, leur rentabilité ne justifiant pas les coûts de leur mise aux normes. En ajoutant à ces centrales au gaz, au fuel et au charbon l’arrêt du nucléaire allemand en 2022, il existe en Europe un déficit de capacité de 50GW (soit l’équivalent de 40 réacteurs nucléaires actuels). La pointe française de consommation par temps très froid a été en février  2012 de 102GW, chiffre cité par RTE. Côté production, les nouvelles capacités solaires ne fournissent rien les soirs d’hiver, et par temps froid anticyclonique, il n’y a que très peu de vent dans toute l’Europe, si bien que les 37GW d’éolien nouveau n’en fourniraient que moins de 5GW. Or RTE prévoit pour les mécanismes de capacité qui imposeraient à chaque producteur opérant sur le marché de disposer seulement de capacités mobilisables pour  93% de sa demande de pointe prévue. Pour les 7% restants, RTE prévoit de faire appel aux importations après avoir augmenté le potentiel d’interconnexion avec les pays voisins de 8 à 11GW. C’était possible en 2010 et 2012, toute l’Europe étant en surcapacité, mais c’est désormais incertain avec la fermeture de nombreuses centrales nucléaires, à charbon et à gaz en Europe : de nouveaux tuyaux ne créent pas de nouvelles sources.  

Émissions de CO2

C’est dans ce domaine que portent les engagements chiffrés pris par chaque pays à la COP21, tout en restant maître de ses choix pour y parvenir. Mais même s’il n’existe aucun mécanisme contraignant, les 195 autres pays concernés par l’accord de Paris pourront observer notre sérieux grâce aux mécanismes de suivi définis et supervisés par l’ONU. À ce jour, la France a gagné 12% sur nos émissions de 1990, il en resterait  28% à réaliser en 24 ans. Le bilan prévisionnel publié par RTE indique clairement que le secteur électrique ne contribuera pas à atteindre cet objectif mais aggravera au contraire la situation actuelle.   

RTE trace ses objectifs pour le système électrique français dans le tableau suivant :

L’observation de la dernière ligne montre

  1. que le système électrique français, malgré la forte croissance des productions renouvelables intermittentes, augmenterait ses émissions de gaz carbonique entre les années 2016 et 2020, prévues  avec une moyenne climatique de 3 millions de tonnes, ce qui confirme le diagnostic bipartisan des députés Mariton et Goua en 2014[1] 
  2. que la part du nucléaire baisserait très peu, de 77 à 73% et ne se rapprocherait pas de l’objectif de 50%
  3. que la consommation d’électricité continue à augmenter et ne se dirige pas vers une réduction  de 50% de la consommation d’énergie

Méthode de production

La troisième promesse française concerne le mode de production de l’électricité où les options sont multiples (hydraulique, nucléaire, gaz, éolien, solaire). La loi sur la transition a prévu de ramener la part du nucléaire de 75 à 50% en 2025, un objectif de plus en plus irréaliste à 9 ans de cette date. De son côté, l’Agence gouvernementale de l’environnement et de maîtrise de l’énergie (ADEME) a publié une étude assurant que l’on pouvait aller encore plus loin et bâtir un système électrique à base de 100% de renouvelables. Une vision dite « volontariste » qui est certainement théoriquement faisable sous un régime « autoritaire » voire « dictatorial », en rationnant la consommation d’électricité et en fermant une vingtaine de réacteurs nucléaires. Une étude qui, en pratique, ne repose sur aucune base solide. Prudent, le rapport de la CRE laisse ouverte la perspective de conserver Fessenheim jusqu’en 2020 en liant son arrêt à la mise en production complète de la centrale de Flamanville. L’objectif 2016 semble en pratique abandonné par le ministre, peut-être même la fermeture comme des responsables politiques très divers le plaident de plus en plus. 

Conclusion

Le rapport du nouveau président de RTE fait preuve de réalisme en ce qui concerne la quantité croissante d’électricité nécessaire aux Français et la part du nucléaire. Mais l’application de la loi de transition énergétique conduit à augmenter de 12% les émissions de gaz carbonique du système électrique français en contradiction avec les objectifs de cette loi et ceux de la COP21.

La politique de l’électricité doit être rebâtie à partir des besoins des Français et de la France. Les actions suivantes devraient réunir les partisans d’une politique exemplaire réduisant les émissions de gaz carbonique,  avec une saine économie, respectant le pouvoir d’achat des ménages ainsi que la compétitivité et l’autonomie des entreprises, sans négliger la fiabilité et la sécurité :

  • Maintenir en opération toutes les centrales nucléaires satisfaisant les critères de sécurité de l’ASNS et de rentabilité d’EDF ;
  • Supprimer les prix d’achat et les obligations d’achat des énergies non rentables, mais subventionner la recherche ;
  • Ne pas handicaper inutilement les entreprises françaises d’énergie profitables avec une capacité à exporter, tant pour le courant produit, (aujourd’hui 2 milliards) que pour les équipements industriels, gage de l’emploi ; 
  • Maintenir notre très faible contenu carbone de l’électricité, 45g de CO2/KWh, le dixième de l’allemand, réduire les émissions polluantes des centrales fossiles et en profiter pour  diffuser notre électricité propre, en particulier dans le transport et les pompes à chaleur.

Compte tenu des délais nécessaires, des dizaines d’années, il est urgent de se mettre au travail.

Photovoltaïque : des subventions en augmentation

Alors que le prix d’achat de l’électricité photovoltaïque devait baisser à partir de 2015 pour tenir compte des progrès annoncés du photovoltaïque, un décret a décidé au contraire de l’augmenter pour les toitures de moins de 1.000 M2 :

 

Décret 2011

Décret 2015

Evolution 2015

-2 %

+3,6%

Evolution 2016

-10 %

-3 %

Au total, le MWh de ces centrales est donc payé 132,5 euros contre 30 à 50 euros sur le marché. 

 

[1] Et ces chiffres ne prennent pas en compte la production de CO2 liée aux importations d’électricité très probablement produite à partir de charbon ou de gaz.