Conservatoire du Littoral, il est temps de procèder à une évaluation
M. Jacques Lescault est président de l'association « Les petites Iles de France »
Propos recueillis par Sandrine GORRERI
iFRAP : Votre association représente des propriétaires du littoral et vous êtes très critiques à l'égard du CEL. Expliquez-nous pourquoi.
Jacques Lescault : Notre association représente des propriétaires d'espaces littoraux rares et fragiles. Notre critique à l'égard du CEL porte essentiellement sur son recours exclusif et abusif à la « maîtrise foncière ». La maîtrise foncière est un de ces néologismes créés par la novlangue de l'administration : elle désigne l'appropriation publique autoritaire de biens fonciers privés. Il y a peu de temps, on disait plutôt « nationalisation » ou « collectivisation ». Cependant, le recours à une telle procédure, coûteuse pour les deniers publics, a permis lors de la création en urgence du CEL, en 1975, d'éviter le bétonnage du littoral comme en Espagne. Ce qui est critiquable, c'est la poursuite systématique du procédé alors que d'autres moyens sont apparus.
iFRAP : Comme ?
J. L. : La loi Littoral, en 1986, qui gèle les constructions dans une bande littorale de 100 mètres de large et qui, elle, n'a pas de coût direct pour l'État. On pourrait aussi évoquer Natura 2000, les réserves naturelles…
iFRAP : Quelles sont les raisons qui poussent la puissance publique à persévérer dans le recours à un moyen aussi radical et coûteux en ces temps d'argent rare ?
J. L. : J'y vois deux raisons principales : d'une part, la culture régalienne très forte en France ; d'autre part, le corporatisme qui ne manque pas d'apparaître dès qu'une solution à un problème urgent est pérennisée alors même que le problème a cessé d'être urgent et que d'autres conditions et d'autres solutions sont apparues. Un exemple bien connu est celui des Safer. Le corporatisme a pour conséquence d'écarter des solutions différentes et meilleures. Il conduit aussi à jouer avec la communication. Dans le cas présent, la manipulation avec le tiers sauvage est un bon exemple.
iFRAP : Concrètement, comment cela se passe-t-il avec le CEL ?
J. L. : Lorsque le propriétaire d'un terrain ou d'un bien sur un canton littoral signe une transaction devant un notaire, celui-ci a l'obligation de faire une DIA, déclaration d'intention d'aliéner, et le CEL a deux mois pour répondre et faire une proposition de préemption. Si cette proposition est insuffisante, il est toujours possible d'aller en justice, mais des mois de procédures découragent le plus souvent les vendeurs.
iFRAP : Quelles suggestions faites-vous pour modifer cette situation ?
J. L. : J'en vois trois. Réformer le fonctionnement budgétaire, tout d'abord. Le CEL dispose d'un budget dédié (la taxe sur les navires de plaisance), ce qui est contraire aux règles budgétaires. Mais le problème n'est pas à ce niveau. L'existence d'un budget pré-attribué conduit le CEL à le consommer intégralement sans évaluer sérieusement l'intérêt de ces acquisitions au regard des critères qu'il a lui-même établis. Deuxièmement, simplifier « l'usine à gaz » : le CEL a construit un ensemble de procédures, organisations et zonages qui lui donnent un pouvoir presque sans contrepartie et une mainmise totale sur le foncier le plus cher du pays. Enfin, introduire de l'équité dans les rapports avec les propriétaires. Lorsque les propriétaires littoraux sont amenés à une mutation (la loi Littoral a rendu presque impossible la spéculation sur le tiers sauvage), ils n'ont en général pas la connaissance de artifices du Conservatoire. Ils sont alors très démunis pour contester ou s'opposer aux prétentions du Conservatoire qui bénéficie d'un avantage asymétrique : lui sait, eux ne savent pas. Guillaume le Conquérant, quand il devint suzerain de l'Angleterre, fit dresser en 1086 un inventaire de tous les domaines et de leurs propriétaires du royaume, le Domesday Book. Celui-ci a pacifié dans la longue durée la fiscalité et les mutations. Je propose que soit établie une liste des propriétaires des parcelles convoitées par le Conservatoire un Domesday Book du littoral offrant à ceux-ci un traitement équitable.
iFRAP : Doit-on supprimer le CEL ?
J. L. : Le CEL, dans son état actuel, se comporte comme une agence foncière. Son but initial et toujours actuel demeure la protection du rivage, une mission qu'il doit poursuivre, sans doute en l'infléchissant. Le moment est venu de procéder à un évaluation objective. Mais compte tenu de ce qui a été dit, qui pourra et saura le faire ? Il faut mesure le coût réel de la maîtrise foncière, sachant qu'elle ne saurait tout résoudre et qu'il y a d'autres approches. Il faut également mesurer le coût des autres tâches comme l'assistance à l'État propriétaire ou la maîtrise de l'urbanisation rampante du littoral.