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Bonus écologique et prime à la conversion : des mesures trop et mal ciblées

Le président de la République a présenté le 26 mai son plan de soutien à la filière automobile. Le décret d'application des mesures envisagées vient de paraître. Le bonus écologique comme la prime à la conversion sont pour le moment «provisoires» à six mois : c'est le cas par exemple des primes et bonus qui devront se clore au 31 décembre 2020, la nouvelle prime à la conversion ne concernant que les 200.000 premiers véhicules. Côté bonus écologique, celui-ci passe de 6000 à 7000 euros pour l'achat d'un véhicule électrique par un particulier et de 3000 à 5000 euros pour une personne morale (collectivité ou entreprise). Par ailleurs, la gamme des bonus écologiques est étendue pour comprendre l'achat d'un véhicule hybride rechargeable (2000 euros)

Cette première salve de mesures a de quoi laisser sur sa faim. En effet, l'inclusion des véhicules hybrides dans le champ du bonus écologique est nécessairement une bonne décision, mais le cantonner aux seuls hybrides rechargeables raye d'un trait l'ensemble des acheteurs potentiels urbains vivant en immeuble. À part l'hypothétique réutilisation à Paris des bornes Autolib pour se brancher, le dispositif ignore le fait que la plupart des clients potentiels ne disposent pas d'un habitat pavillonnaire ou de parkings équipés. Ce n'est donc pas très réaliste.

Par ailleurs, si l'on comptait au 1er avril 245.964 véhicules électriques et 66.803 hybrides rechargeables, il ne faut pas se leurrer sur la présentation des statistiques. En effet, le parc des hybrides non rechargeables représentait en 2019 une augmentation de +16% des ventes (+106.780 véhicules), soit un stock d'environ 462.500 véhicules, près de 6,9 fois le stock d'hybrides rechargeables. Si l'on voulait orienter massivement la demande sur l'hybride il aurait mieux valu le faire sur l'hybride non rechargeable ou cinétique.

Des véhicules haut-de-gamme en majorité

Mais aussi, ce bonus est assujetti à un plafond sur la valeur du véhicule de 45.000 euros. Ceci constitue une vraie mauvaise nouvelle à raison du profile des véhicules produits. En effet, les véhicules hybrides ou électriques produits en France sont majoritairement des véhicules haut de gamme (hors la Renault Zoé) : on pense à l'Alpine A110 produite à l'usine de Dieppe, la 3008 hybride à Sochaux, la DS 7 Crossback hybride à Mulhouse. Au contraire, les petits véhicules sont majoritairement produits hors de l'Hexagone. Ainsi la production de la Renault Clio, la Citroën C3, la Peugeot 208, est partie comme la Renault Twingo en Slovénie ; la Renault Mégane en Espagne, etc. Il en résulte que le plan de soutien pour les voitures thermiques existantes et les petites hybrides, risque de favoriser les voitures stockées importées au détriment du « Made in France ». Ce plafond de 45.000 euros est contre-productif.

Côté prime à la conversion, compter jusqu'à 3.000 euros pour un véhicule thermique et jusqu'à 5.000 euros pour un véhicule hybride rechargeable ou électrique. Il s'agit clairement d'une mesure permettant de rajeunir le parc en s'attaquant au stock de 500.000 véhicules invendus (pour une valeur de 10 milliards d'euros) victimes du Grand Confinement. Mais là encore; le diable se cache dans les détails, puisque c'est le revenu fiscal de référence qui pose problème. En effet, on limite l'usage de cette prime à des ménages dont le revenu fiscal de référence (RFR) n'excède pas 18.000 euros par part. S'agissant des particuliers dont le RFR excède 18.000 euros, ils n'auront accès qu'à l'ancienne version de la prime, dont les montants et les conditions avaient été révisés drastiquement en juillet 2019. La prime, en plus d'être limitée dans le temps (31 décembre), sera limitée dans sa cible : pas plus de 200.000 véhicules… Les ventes excédentaires retomberont dans l'ancien dispositif, moins avantageux. Pour pallier cette difficulté et bien montrer que la vraie cible sont les « rurbains », les collectivités qui institueraient de leur plein gré une bonification de la prime à la conversion dans les zones à faible émission seront accompagnées par l'État qui doublera cette bonification dans la limite de 1.000 euros, sans limitation de durée. Il s'agit donc d'un mécanisme spécifique aux zones rurales, qui n'est pas destiné aux zones urbaines denses où elle serait la plus nécessaire. Les critères de mise au rebut sont élargis aux véhicules Crit'air 3 (essence d'avant 2006 et diesel d'avant 2011).

En outre, la nouvelle prime à la conversion ne cible que très partiellement les véhicules d'occasion, alors même qu'un Français sur quatre chaque année en fait l'acquisition. Ainsi, seuls sont éligibles les véhicules d'occasion thermiques immatriculés depuis le 1er septembre 2019, ce qui représente une faible proportion du parc des véhicules d'occasion.

Enfin, le gouvernement met en place sans limitation de durée une prime pour la transformation d'un véhicule à motorisation thermique en motorisation électrique à batterie ou à pile à combustible. Cette mesure « rétrofit » tombe toujours sous le critère d'éligibilité du revenu fiscal de référence avec 80% du prix d'acquisition dans la limite de 5.000 euros en deçà et 2.500 euros au-delà.

Des mesures moins puissantes qu'en Allemagne

L'ensemble des mesures prises par le décret du 30 mai 2020 ne doit pas impressionner. Elles sont en tout cas beaucoup moins puissantes que celles mises en place en Allemagne (plan de 130 milliards d'euros du 3 juin) avec la baisse de la TVA de 19% à 16% à taux normal jusqu'au 31 décembre 2020 et augmentation du bonus écologique pour achat d'un véhicule électrique passant de 3.000 à 6.000 euros. En effet, la baisse de 3 points de TVA du taux normal va mécaniquement faire baisser les prix des véhicules eux-mêmes sur l'ensemble du parc automobile, au lieu de cibler les ménages les plus modestes en tentant de solvabiliser leur acquisition de petits véhicules peu produits en France (contrairement aux hybrides non rechargeables : Toyota, Yaris, etc.) Ces mesures couvriront en outre des motorisations électriques mais aussi thermiques, alors que les dispositifs instaurés en France ciblent principalement les véhicules électriques, qui sont largement subventionnés alors qu'ils ne représentent aujourd'hui qu'une faible part des ventes (2% des ventes en 2019).

Le plan français, à trop vouloir catégoriser les acquéreurs, ne redynamisera pas le marché une fois le stock d'invendus épuisé.