Les raisons de la colère des médecins
Cette tribune a été publiée dans le journal Les Échos du 21 novembre 2012.
Dans le secteur public, l'Etat et les autres employeurs ont du mal à évaluer leurs salariés. Les carrières à l'ancienneté servent à contourner le problème mais démotivent le personnel, notamment les plus brillants. En rémunérant les professionnels de santé en fonction de tarifs fixes, l'Etat et l'Assurance-maladie vont plus loin. Une méthode qui ne peut conduire qu'à la médiocrité ou à la révolte.
Les rémunérations des avocats, des architectes ou des consultants varient de 1 à 10, et même beaucoup plus. Sans que cela choque personne, cette échelle correspondant au talent et au travail reconnus. Dans la fonction publique, la gestion des ressources humaines est médiocre, mais leur situation évolue quand même en fonction de leur ancienneté, et un peu en fonction de leur performance. Les médecins, eux, sont à la merci des seuls Etat et Assurance-maladie qui ont poussé à l'extrême la non-gestion des carrières. Ils vivent dans un système égalitariste, négation de l'expérience, de la compétence et des résultats, qui aurait dû révulser les professionnels de haut niveau qu'ils sont.
Dans les hôpitaux publics, la grille de rémunération des médecins interdit de payer les meilleurs à leur juste prix. Pour contourner le problème, 10 % des praticiens hospitaliers sont autorisés à traiter une clientèle privée à l'hôpital public et à appliquer des dépassements d'honoraires. Le montant de ces dépassements est de 150 millions par an pour un budget de 54 milliards d'euros. Il aurait été plus simple de rémunérer ces professionnels comme ils le méritent.
Pour les médecins libéraux en secteur 1, le piège est parfait. Des tarifs obligatoires sont définis pour chacun des actes tels que prothèse de la hanche, accouchement, chirurgie cardiaque, consultation de spécialiste (28 euros) ou de généraliste (23 euros). Ces professionnels ne peuvent améliorer leurs revenus qu'en travaillant plus vite ou plus d'heures.
Avec les dépassements d'honoraires, les médecins libéraux en secteur 2 ont obtenu un petit espace de liberté. Mais, selon les accords qui viennent d'être signés, l'écart maximal de revenu entre deux chirurgiens de même spécialité pratiquant le même nombre d'actes sera inférieur à 2 : leur tarif ne doit pas dépasser 2,5 fois le tarif de base Sécurité sociale, et une proportion significative des actes doit être facturée en respectant ce tarif. Quelle profession accepterait comme perspective de carrière, entre le débutant « moyen » et le confirmé « exceptionnel », des revenus ne progressant que du simple au double ? A ce stade, les médecins sont face à un choix fondamental : être quasi-fonctionnaires sans aucune perspective de carrière (secteur 1), ou avec une perspective de progression modeste (secteur hospitalier ou nouveau secteur 2), ou accepter d'être évalués et rémunérés en fonction de leur performance.
Pour ceux qui choisiront la liberté et l'évaluation, reste à trouver qui les évaluera. Seule une multiplicité d'évaluateurs permet un traitement crédible et équitable. Ce travail de conseil ne peut donc pas être fait par un monopole comme la CNAM ou l'Etat, qui doivent se concentrer sur la fixation et le contrôle des standards de qualité. Ce sont donc des organisateurs indépendants de réseaux de soins, ou des assureurs et mutuelles complémentaires devenus responsables au premier euro qui peuvent fournir ce service. Professions de santé, assureurs et assurés, tous adhérents volontaires à ces structures, pourront se mettre d'accord sur des pratiques médicales variées et construire des parcours de soins plus efficaces, valorisant les médecins à leur juste mérite. Les médecins ont raison de se révolter enfin contre l'abaissement de leur profession, mais à condition qu'ils aillent jusqu'au bout de leur démarche de liberté et de responsabilité.