Données publiques : l'omerta française
Samuel-Frédéric Servière, expert à la Fondation iFRAP, signe une tribune dans le journal Les Échos sur l'accès aux données publiques. Ce sujet avait fait l'objet d'un dossier dans notre revue Société Civile : "Omerta ou Open Data".
La question de l'accès et de la réutilisation commerciale des données publiques en France comme dans le monde représente aujourd'hui un enjeu crucial. Il s'agit de permettre au citoyen comme au professionnel d'obtenir l'accès le plus large aux informations produites par les administrations.
Et ce, sous deux angles :
Économique, en permettant le libre accès au secteur privé qui en retour pourra exploiter ces données pour offrir de nouveaux services, donc des emplois et de nouvelles recettes (soit un potentiel économique de l'ordre de 27 milliards d'euros pour l'Europe).
Politique, avec l'instauration au profit de la société civile, d'un dialogue plus équilibré sur les performances de la sphère publique.
Or, devant cette révolution en marche, la France paraît, en matière de liberté d'accès à l'information publique, pour le moment étrangement à la traîne. La loi de 1978 relative à l'accès aux documents administratifs semble avoir particulièrement vieilli en raison de la multiplication des exceptions qui la minent.
En Suède, pays qui possède le plus vieux droit d'accès aux documents administratifs (1766), il n'existe pas comme en France, de secret relatif aux délibérations du gouvernement. La correspondance officielle du Premier ministre est librement consultable, ainsi que ses dépenses et sa rémunération. Les personnes travaillant dans la sphère publique disposent de la liberté d'expression et de la liberté de publication. Le délai moyen de réponse pour la communication d'une donnée ou d'un document est généralement de 2 jours. En cas de refus, le citoyen pourra saisir l'Ombudsman du Parlement.
Aux États-Unis, la législation FOIA (Freedom of Information Act) de 1966 prévoit une « présomption de libre communication » des documents administratifs. Ainsi, près de 500.000 demandes sont adressées chaque année aux administrations avec seulement 4 % de rejet. C'est sur cette base que la législation FOIA anglaise a été construite à partir de 2000. A la clef, un délai de réponse de 20 jours sous peine de saisine de l'Information Commissioner. C'est son utilisation judicieuse qui a permis de faire éclater le scandale des dépenses des parlementaires britanniques en juin 2009. Rappelons qu'en France le règlement intérieur des deux Chambres n'est même pas accessible au public !
La réutilisation des données publiques est de surcroît handicapée en France par la liberté laissée par Bercy aux administrations de facturer au prix fort ces informations aux opérateurs privés (y compris en fonction du chiffre d'affaires généré) avec droit de retour à 100 % aux ministères concernés.
Cette orientation vers le « tout-payant » est pourtant en complet décalage avec la démarche résolument gratuite et associative de l'« open data » dans les pays anglo-saxons et scandinaves.
Barack Obama a lancé en décembre 2009 l'Open Government Directive (OGD) et le site Data.gov réunit actuellement près de 307.100 bases de données, en libre utilisation. Par ailleurs 113 municipalités ont décidé d'ouvrir les données consacrées aux transports publics permettant la création d'applications de géolocalisation dans des villes comme New York ou San Francisco.
En Grande-Bretagne, David Cameron a même lancé une politique de transparence sans précédent - et inimaginable en France -pour appuyer son plan de rigueur britannique : mise en ligne des noms et des salaires des fonctionnaires supérieurs à 150.000 livres, mais aussi publication de données économiques et fiscales, géographiques, etc.
En France, la position actuelle est celle de la citadelle assiégée. La transparence semble menacer les situations acquises et la seule réponse publique aujourd'hui semble être celle du « tout-payant »... lorsque toutefois les données sont ouvertes, et l'on doit s'interroger :
Pourquoi les rapports d'activité des opérateurs de l'État ne sont-ils pas systématiquement disponibles ?
Pourquoi les salaires des hauts fonctionnaires ou des dirigeants d'autorités administratives indépendantes (et les logements de fonction) ne sont-ils pas publics ?
Pourquoi les taux d'infections nosocomiales par établissement de santé ne sont-ils pas connus ?
Autant de questions qui restent pour le moment sans réponse, pas pour longtemps. La révolution des données publiques viendra sans tarder - que l'administration le veuille ou non - de la légitime soif citoyenne de transparence aiguisée par Internet.
Vous pouvez suivre la mise à jour de la position de la Fondation après la publication du décret et de la circulaire du 26 mai 2011 relatifs à la réutilisation des informations publiques détenues par l'Etat et ses établissements publics administratifs.