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Immobilier public, reprendre la main

Plusieurs alertes se conjuguent pour imposer une reprise en main des questions immobilières publiques : au niveau local la question lancinante de l’assurabilité des collectivités territoriales notamment sur les biens meubles et immeubles, mais aussi le basculement au niveau de l’Etat vers une professionnalisation de la fonction immobilière au travers de la mise en place d’une véritable foncière publique. Les enjeux sont lourds et important sur le plan des finances publiques. Reste que les moyens à mettre en œuvre semblent encore sous-dimensionnés pour parvenir efficacement à professionnaliser l’ensemble des acteurs impliqués. 

Les implications assurantielles et immobilières de la non-certification des comptes des collectivités territoriales :

Au niveau local, plusieurs rapports récents ont mis en exergue les risques assurantiels courus par les collectivités territoriales[1]. Tout d’abord ces difficultés assurantielles concernent essentiellement l’assurance « dommages aux biens », mais en outre le marché est aujourd’hui structuré sous la forme d’une double position de monopole, d’une part sur le segment des collectivités de moins de 10.000 habitants avec l’assureur Groupama, d’autre part avec la SMACL Assurances SA pour les autres. Le Sénat relève d’ailleurs que « cette dernière [est] arrivée à une situation financière si grave qu’elle a dû faire le choix de s’adosser à la MAIF à la fin de l’année 2021. » Elle a par ailleurs enregistré des pertes « de près de 140 millions d’euros en 2022 et de 196 millions d’euros en 2023. »

Il faut dire que les risques climatiques et sociaux (gilets jaunes, émeutes de juin 2023), sont devenus très conséquents. La mission d’information du Sénat relevant par exemple que les risques climatiques entre 1989 et 2019 pavaient été estimés sur cette période de 30 ans à hauteur de 74 milliards d’euros, tandis que les prévisions pour la période 2020-2050 ressortaient à 143 milliards d’euros, soit 69 milliards de plus que la période précédente (+93,24%). S’agissant des émeutes de juin 2023, les dommages aux biens représentent 27% de leur coût total soit 200 millions d’euros d’indemnisation pour les collectivités territoriales (sur un total évalué par France Assureurs à 730 millions d’euros[2]). Les émeutes de Nouvelle Calédonie intervenues en mai 2024, affichent un coût provisoire estimé à 2,2 milliards d’euros dont 1 milliard d’euros pour les seules infrastructures publiques[3], avec des pertes fiscales évaluées à 364,4 millions d’euros.

En résumé, la sinistralité à laquelle sont exposées les collectivités territoriales augmente, alors même que le marché de l’assurance auquel elles peuvent avoir accès est aujourd’hui en crise. Cet effet ciseau met donc les acteurs publics territoriaux en situation particulièrement difficile. La mission sénatoriale évoque donc la nécessaire mise en place d’un marché assurantiel concurrentiel au bénéfice des collectivités, ce qui passe par un regard attentif porté par l’Autorité de la concurrence et le régulateur de l’Assurance, l’ACPR, mais aussi, par un recentrage des contrats sur les principaux risques, la diminution de leur coût et la responsabilisation des collectivités dans la gestion des « petits risques ». Encore faut-il que pour mieux cerner ces risques les collectivités puissent « mettre en place des actions visant à mieux connaître leur patrimoine à assurer, à mieux identifier leurs risques et les prévenir (…) afin de négocier des marchés au plus près de leurs besoins réels et au meilleur coût. » Cela peut passer par la constitution d’un inventaire physique exhaustif du patrimoine mobilier et immobilier des collectivités, « précisant l’état du bien en termes de vétusté et de respect des normes de sécurité. »

Or force est de constater qu’en pratique, cette connaissance qui pourrait permettre de rééquilibrer quelque peu la relation contractuelle entre les collectivités et leurs assureurs sur des bases comptables et financières solides fait aujourd’hui défaut. Ainsi selon l’instruction codificatrice M57 chapitre 1 :

  • L’ordonnateur est chargé plus spécifiquement du recensement des biens et de leur identification ; il tient l’inventaire physique, registre justifiant la réalité physique des biens et l’inventaire comptable, volet financier des biens inventoriés.

  • Le comptable (public) quant à lui est responsable de l’enregistrement des biens et de leur suivi à l’actif du bilan ; à ce titre il tient l’état de l’actif ainsi que le fichier des immobilisations. 

Cependant, comme le relève le Sénat « il s’avère que la connaissance par les collectivités, de leur patrimoine mobilier et immobilier est largement perfectible ». D’une part parce que les inventaires physiques sont souvent incomplets (souvent partiel, succinct (insuffisamment renseigné)) est laissent de côté des informations extra-comptables comme la superficie des bâtiments, l’état des biens en termes de performance énergétique, les opérations d’entretien effectuées ou les conditions juridiques d’utilisation etc… D’autre part parce que ces états de l’actif sont souvent erronés à cause d’une absence de mise à jour régulière. Or il faut pour les collectivités non seulement rattraper leur retard comptable et d’enregistrement physique, mais même basculer dans une logique financière à la valeur de marché. C’est ce que démontre l’exemple de certaines collectivités pionnières en la matière telles que le département du Loiret (2015[4]). L’évaluation qui en résulte montre que la valeur de marché de son patrimoine immobilier a été estimée à l’époque à 232 millions d’euros contre une valeur nette comptable de 400 millions. Ces écarts entre la valeur de marché et la valeur historique comptable, pourrait permettre de moduler les primes d’assurance à la baisse.

Or les montants à assurer sont colossaux. D’après le rapport Chrétien/Dagès (avril 2024), le patrimoine des administrations publiques locales atteint 1.948 milliards d’euros en 2022 soit 72% de l’ensemble du patrimoine des administrations publiques (INSEE) et se compose principalement de terrains bâtis (38%), d’ouvrages d’arts (35%) et de bâtiments non-résidentiels dont des bureaux (15%). Mais s’y ajoutent un certain nombre de limites :

  • Une limite comptable, qui tient à la méthode de valorisation des actifs non financiers (coût d’acquisition, coût de production ou valeur vénale (si acquis gratuitement) ;

  • Une limite conceptuelle qui s’attache à la valorisation des monuments historiques et des espaces naturels qui par convention sont valorisés à une valeur nulle et qui rend plus difficile leur assurabilité ;

S’agissant des bâtiments détenus par les collectivités territoriales et qui concentrent la demande d’assurance de dommages aux biens, leur superficie est évaluée à 243 millions m² en 2018 (CdC) ; dont bloc communal (61,7%), départements (20,6%) et régions (16,9%). 

La mission Chrétien/Dagès propose donc d’utiliser les données cadastrales qui pourraient être mobilisées afin de dresser un 1er inventaire. Reste qu’il faut sans doute également expertiser ces résultats afin de tenir compte au plus près de leur valeur de marché (et non de leur valeur administrative « revalorisée »). 

Et c’est ici que l’exercice de certification des comptes des collectivités permettrait de dépasser cette difficulté (sauf pour les plus petites communes en raison du déploiement concentrique de la démarche de certification). Comme nous le notions déjà en septembre 2023[5], s’inscrire dans une démarche progressive de certification des comptes locaux est une démarche nécessaire qui serait de nature à renforcer la fiabilité des informations comptables produites par les collectivités (dont la valorisation correcte de leur actif, vérifier l’existence des inventaires et leur exhaustivité) et permettre ensuite d’opérer les retraitements nécessaires pour une juste valorisation de leur patrimoine à la valeur de marché (analyse financière extra-comptable). La fiabilité des données fournies aux assureurs en serait améliorée et le montant des primes à payer recentré et ajusté. 

L’Etat lance sa foncière publique ? Mais ne s’agit-il pas d’un recyclage de canard boiteux ?

Le Gouvernement Barnier reprend les dossiers en souffrance du précédent gouvernement s’agissant de l’optimisation de la gestion immobilière de l’Etat. Avec au premier chef la mise en place d’une foncière publique opérationnelle. La Fondation iFRAP s’est toujours positionnée pour la mise en place d’une telle structure, professionnelle et plus agile qu’une simple direction immobilière de l’Etat (comme l’actuelle DIE) que l’animation du réseau des directions immobilières ministérielles ne positionnait pas favorablement pour parvenir à en optimiser les différents parcs. Le saut est donc réalisé à l’occasion de l’examen du PLF 2025 par amendement du Gouvernement[6]. Pour rappel le parc immobilier de l’Etat c’est 94 millions de m², dont 23 millions de m² de bureaux. 

L’objectif est donc désormais de pourvoir enfin distinguer les fonction d’Etat propriétaire et d’Etat occupanten responsabilisant les administrations de façon à ce qu’elles optimisent leur gestion du parc en dissociant les fonctions respectives des uns et des autres. Rappelons que le précédent ministre des comptes publics avait assigné un objectif très ambitieux de baisse de 25% des surfaces de bureaux. Désormais, la nouvelle foncière interministérielle devrait incarner l’Etat propriétaire et veiller au respect des différentes normes applicables aux bâtiments, dont leur mise à niveau d’un point de vue environnemental[1]. Les biens en question lui seraient transférés à titre gratuit. Ce modèle devrait s’inspirer d’un parangonnage avec les structures similaires à l’étranger dans la mesure où « Ce modèle de foncière existe déjà dans la majorité des pays européens (Allemagne, Angleterre, Pays-Bas, Finlande, Autriche etc.) aux Etats-Unis »[2]. En outre, il est déjà développé dans de nombreux opérateurs comme Poste Immo par exemple. La DIE devrait intervenir en « garant des intérêts de l’Etat et de la mise en œuvre de la réforme », donc se positionner en tant que régulateur et non plus qu’acteur de la politique immobilière. 

Par mesure d’économie de moyens cependant, la nouvelle foncière de l’Etat prendra la forme d’un EPIC au moyen de la transformation de l’Agile (Agence de gestion de l’immobilier de l’Etat) dont le rôle « se limitait surtout à la promotion de la sobriété énergétique et au développement du photovoltaïque sur les toits des bâtiments publics ». L’Agile proposait déjà des prestations de gestion immobilière au travers de services d’administration de biens et d’entretien-maintenance. Sa mission sera avant tout de dégager des économies sur les charges courantes et d’entretien, mais aussi sur les surfaces occupées qui pourront utilement être valorisées voir cédées. Cela pose à nouveau frai la question de la réintroduction des loyers budgétaires, supprimés en 2019[3] et du respect de leur versement par les administrations occupantes. 

Le Gouvernement veut avancer progressivement via une expérimentation sur des actifs immobiliers de bureaux des services de la DGFiP et du ministère de l’Intérieur dans le Grand Est et en Normandie dans une 1ère phase pilote. Il s’agira véritablement d’un saut en compétence pour l’Agile qui jusqu’à présent n’a pas brillé par le dynamisme de sa gestion passée.

L’Agile est en effet le dernier avatar de la Sovafim, structure de triste mémoire épinglée d’ailleurs en 2008 par la Cour des comptes. Comme nous le rappelle le professeur Philippe Yolka dans un récent article[4] : « en 2006, un pas fut franchi avec (…) la création de la Sovafim (Société de valorisation foncière immobilière), dont la compétence devait être étendue à tous les actifs immobiliers de l’Etat et de ses établissements publics. » La Cour des comptes a cependant montré que les résultats de l’entité avaient été très médiocres : entre 2006 et 2009 son CA était passé de 402,7 M€ à 4,5 M€ et sa rentabilité de 6% à 1% entre 2007 et 2009. En 2008, ses dirigeants demandent une recapitalisation à hauteur de 400 à 500 M€, décision qui lui est refusée. Elle sera racapitalisée en 2010 en loi de finances rectificative à hauteur 60 M€[5]. « Elle était essentiellement chargée des cessions complexes (biens occupés, immeubles à réhabiliter). »

Mise en léthargie progressivement, en mars 2021 à la suite de la proposition de l’APE (Agence des participations de l’Etat) et de la DIE, le réemploi de la Sovafim est approuvé dans le cadre d’une nouvelle expérimentation[6]. Elle devient alors l’Agile[7] et se spécialise dans 3 types d’activités : l’exploitation/maintenance des sites multioccupants, la maîtrise d’ouvrage et l’asset management, la mise en place d’un plan solaire photovoltaïque. 

Parallèlement était mise en place une Foncière Solidaire[8], mais avec vocation à mobiliser le foncier afin de dynamiser le logement social. Cette SFP (société foncière publique) créée en 2017 « fut en réalité absorbée dès 2018 (…) par la Caisse des dépôts et consignations ». 

En somme si la création d’une foncière publique de l’Etat est à souligner, s’appuyer sur une structure technique qui traîne avec elle un passé de canard boiteux peu sembler curieux voir dangereux, sauf à modifier complètement le management et ouvrir son recrutement largement aux experts du secteur privé. La structure est détenue à 100% par l’Etat, n’aurait-il pas mieux valu qu’elle le soit majoritairement par la Caisse des dépôts et qu’il ne s’agisse pas d’un EPIC mais d’une SA ? La perception des loyers budgétaires aurait alors été plus aisément sanctuarisés pour être utilisés au financement des opérations réalisées par la Foncière, ce qui aurait accru la crédibilité de la nouvelle stratégie immobilière de l’Etat. Les expérimentations à venir permettront de juger de la justesse de l’opération en cours.

Conclusion :

En matière d’immobilier public, et face à l’état extrêmement préoccupant de nos finances publiques, les « retards » pris par les collectivités territoriales comme par l’Etat leurs sont préjudiciables :

  • Les collectivités territoriales pêchent sur le versant recensement comptable et valorisation de leurs actifs immobiliers, ce qui les places en mauvaise posture de négociation avec les assureurs pour protéger leurs biens contre les risques climatiques et sociaux ;

  • L’Etat ne parvient toujours pas à dissocier en son sein les fonctions de propriétaire et d’occupant pour parvenir à entretenir correctement ses biens immobiliers et assurer leur correcte rationalisation/valorisation. Le choix d’une foncière ad hoc dédiée va dans le bon sens, mais le réemploi d’une structure capable de gérer les situations complexes mais peu brillante, semble encore difficile à cerner. La structure parviendra-t-elle à s’imposer par son expertise et sa gestion par rapport aux directions immobilières ministérielles ? La question des loyers budgétaires parviendra-t-elle enfin à permettre un entretien réel du patrimoine immobilier de l’Etat ? Autant de questions qu’une première expérimentation à venir devrait permettre de documenter. 

Etonnamment les bonnes décisions ne semblent pas encore prises à date :

  • Imposer une obligation de certification des comptes des collectivités territoriales afin de « fiabiliser » les comptes donc les inventaires immobiliers et mobiliers ainsi que les écritures d’ordres (opérations d’immobilisations et d’amortissement) ;

  • S’assurer d’une professionnalisation réussie de la future foncière publique de l’Etat, en tirant partie du parangonnage des expérimentations étrangères et en réintroduisant de vrais loyers budgétaires affectés en ressources à l’opérateur afin de lui permettre d’auto- financer ses missions ;


[1] Pour n’en citer que deux, Jean-François HUSSON, rapport de la mission d’information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales, Sénat, 27 mars 2024 ; Alain CHRETIEN, Jean-Yves DAGES, L’assurabilité des biens des collectivités locales et de leurs groupements, état des lieux et perspectives, avril 2024. 

[2] https://www.franceassureurs.fr/espace-presse/les-communiques-de-presse/cout-sinistres-declares-violences-urbains-fin-juin-reevalue-730millions-euros/ 

[3] Mais aussi 1,2 milliard d’euros de préjudice pour le secteur privé (destructions, pillages, fermetures d’entreprises), occasionnant pour plus de 24.000 personnes un chômage partiel ou total. 

[4] https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/evaluation-de-leur-patrimoine-les-collectivites-sy-mettent 

[5] https://www.ifrap.org/la-revue/transparence-des-comptes-des-collectivites-locales-le-retard-francais 

[6] https://acteurspublics.fr/articles/immobilier-de-letat-a-quoi-devrait-ressembler-la-future-fonciere-interministerielle 

[7] Voir notre précédente note sur le « mur d’investissement » en la matière, chiffré à quelques 142 millions d’euros en 27 ans. 

[8] Amendement n°II-3394 du 8 novembre 2024, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0324C/AN/3394 

[9] Voir par exemple le rapport du député M. Laqhila, sur les défis et stratégies pour une gestion durable et optimisée du patrimoine de l’Etat, Assemblée nationale, n°2741, 5 juin 2024, et plus récemment le rapport Jolivet/Mauvieux, sur l’évaluation de la politique immobilière de l’Etat, Assemblée nationale, n°559, 14 novembre 2024. 

[10] https://proprietespubliques.fr/2022/04/01/sovafim-est-morte-vive-lagile/

[11]https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/immobilier-de-letat-lechec-de-la-sovafim

[12]https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/immobilier-de-letat-lechec-de-la-sovafim

[13]https://immobilier-etat.gouv.fr/pages/lagile-acteur-operationnel-service-politique-immobiliere-letat

[14]https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/fonciere-publique-pourquoi-sociale