Créations de postes et réforme des services publics : incompatible ?
Vendredi 22 juin 2012, Atlantico publie en Une une interview de Samuel-Frédéric Servière, au sujet des annonces du gouvernement de François Hollande. Est-il possible simultanément de créer 65 000 postes de fonctionnaires et de mener une véritable réforme des services publics ?
Si le Président décide, comme promis au cous de sa campagne, de créer 65.000 postes sans augmenter les effectifs globaux de la fonction publique, ce ne sont pas 1 emploi sur 2, mais 5 emplois sur 7 qu'il faudra supprimer dans les ministères "non prioritaires".
Atlantico : François Hollande a qualifié ce mercredi d' « invraisemblable » l'information publiée par Le Figaro selon laquelle le gouvernement étudierait le non remplacement de 2 fonctionnaires sur 3, soit une baisse de 2,5% par an des effectifs dans les ministères "non prioritaires" (hors Éducation, Justice et Intérieur). Comment le Président va-t-il pouvoir créer 65.000 postes sans appliquer cette règle ?
Samuel-Frédéric Servière : Je pense que c'est faisable mais difficile. Deux scénarios sont possibles.
D'une part, ce qui paraît être une création nette de 65.000 postes pourrait être en réalité pour partie une suppression du non remplacement de un fonctionnaire sur deux et pour une autre partie une création limitée de postes. Cela permettrait de déboucher sur un solde de créations net d'à peu près 35.000 emplois nouveaux. Partiellement soutenu également par des redéploiements dont on ne peut pas bien mesurer par avance l'ampleur.
L'autre option consisterait à, non seulement stopper totalement le 1 sur 2 pour les missions considérées, et en plus de créer 65.000 emplois nouveaux, mais cette perspective est à notre avis totalement déconnectée des contraintes budgétaires actuelles. Dans ce cas toutefois, nous estimons que la règle qu'il conviendrait d'appliquer aux autres corps ne serait pas celle de la suppression de 2 postes sur 3, mais de 5 postes sur 7 (en moyenne sur la base de chiffres à périmètre constant depuis les années 2000, ndlr).
L'hypothèse la plus soutenable sur le plan budgétaire consiste donc à supprimer la règle du 1 sur 2 dans les ministères de l'Éducation nationale, de la Justice et dans la gendarmerie, mais de la poursuivre et même nécessairement de la renforcer dans les autres, dans la mesure où le gouvernement a annoncé le maintien à effectifs constants des emplois publics d'État. Il faudra donc reporter la charge sur les autres ministères par un accroissement des contraintes sur les départs (volontaires ou à la retraite).
Atlantico : La création de 65.000 postes de la part de François Hollande est-elle essentiellement idéologique ou repose-t-elle sur des arguments économiques ?
Disons que cette mesure s'inscrit résolument à rebours de ce que l'on peut voir dans les plans d'ajustement budgétaire de nos voisins européens. La France ferait ainsi figure d'exception dans la mesure où nos principaux partenaires, au Royaume-Uni (réduction de l'emploi des opérateurs ou quango), Italie ou Espagne, continuent de pratiquer des coupes plus dures dans leurs effectifs publics (comme le non renouvellement pur et simple des départs à la retraite en Espagne par exemple).
Atlantico : Dans une note publiée en janvier par l'iFRAP, vous estimiez qu'il faudrait appliquer une norme de non remplacement de 5 sur 7 fonctionnaires, soit une réduction de 8,42% en moyenne, dans les effectifs des administrations considérées comme « non prioritaires ». Quelles sont ces administrations ?
En moyenne harmonisée et répartie entre tous les ministères et leurs opérateurs, les suppressions se porteraient sur le ministère des Affaires étrangères, l'Agriculture, la Culture, la Défense, l'Écologie et le développement durable, l'Économie et les finances, le ministère du Travail et de l'emploi, ainsi que les services du Premier ministre.
Avec la première hypothèse retenue, les efforts seraient toutefois moindres que ceux que nous avons annoncés dans notre précédente note ; ils seraient d'environ 2.361 postes à l'Agriculture, 1.415 postes sur cinq ans au ministère des Affaires étrangères, 1.070 postes à la Culture, 8.339 postes à l'Écologie et au développement durable etc.
Atlantico : La création de 65.000 postes sur cinq ans, sans augmenter le nombre global de fonctionnaires, nécessite des coupes historiquement élevées en France. Ces suppressions de postes sont-elles possibles sur le plan politique ?
Techniquement, ces suppressions de postes sont réalisables. Mais sur le plan politique, ce sera par endroits très dur. Par exemple, le ministère des Affaires étrangères risque de ne pas voir d'un bon œil des suppressions de postes importantes dans ses services. Il en est de même avec le ministère de l'Économie et des finances ou encore celui de la Défense.
Dès lors, les discussions budgétaires seront extrêmement tendues entre les ministères et Bercy. Les ministères considérés comme étant traditionnellement sanctuarisés par la Gauche, comme celui de la Culture et de la communication ou encore celui de l'Écologie – en charge de dossiers majeurs tels que les transports ou le logement - vont avoir beaucoup de mal à justifier des suppressions de crédits d'autant plus que les coupes seront très substantielles.
Le débat relatif au nombre de fonctionnaires s'opère sur fond d'inquiétudes sur l'équilibre budgétaire. Où se situe la France par rapport à ses partenaires européens ?
Il faut être très discriminant sur cette question. En effet, si nous effectuons des comparaisons en termes de fonctionnaires sous statut, c'est-à-dire protégés par le statut de la fonction publique, la France est alors en première position avec un chiffre oscillant autour des 5 millions. En tenant compte de l'État, des collectivités locales ainsi que de la fonction publique hospitalière, nous sommes nettement au-dessus de nos voisins.
Si nous comptons en termes d'employés auxquels nous appliquons une norme caractérisée d' « emploi public », qu'ils soient sous statut de droit privé, contractuels de la fonction publique (salariés des entreprises publiques et les travailleurs du monde associatif social et solidaire financé essentiellement par des fonds publics) ou intégrés à la fonction publique, la France se trouve alors dans un ordre de 6 à 7 millions de fonctionnaires, ce qui situe notre pays dans la moyenne européenne. Autrement dit, nos partenaires européens ont bien plus recours aux services externalisés, ou gérés par des organismes employeurs de droit privé ou associatif (tiers secteur).
Par exemple, la France comptait 88,3 emplois publics pour 1.000 habitants contre 88,1 au Royaume-Uni en 2008. Nos deux pays sont donc dans la même catégorie. Mais si nous tenons compte des différences de statut, le Royaume-Uni ne compte que 490.000 civil servants, c'est-à-dire fonctionnaires sous statut, contre à peu près 5 millions en France. Le différentiel est composé d'employés contractuels. Seuls 8% des agents publics sont sous statut outre-Manche. La particularité de la France est donc d'avoir 5,3 millions de fonctionnaires sous statut.
La question qui doit émerger dans le débat public est donc celle de l'efficacité de notre système de gestion caractérisé par un nombre important de fonctionnaires sous statut. Malheureusement, celui-ci n'est pas assez flexible. Avec ses agents publics contractuels, le Royaume-Uni peut ajuster rapidement à la marge sa masse salariale, ce qui est impossible en France.
Cela se vérifie d'ailleurs en termes de niveau de rémunération de nos agents publics. Leurs rémunérations représentaient 13% du PIB en 2008, contre 11,5% pour le Royaume-Uni, et 7% pour l'Allemagne. Il faut donc piloter les services publics de manière alternative au tout fonctionnaire statutaire en développant le statut de contractuel qui ne doit pas être synonyme de précarité mais de flexibilité et de responsabilité.
Propos recueillis par Olivier Harmant